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La République ou les ego ?
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La République ou les ego ?
Maurice n’a ni pétrole ni or. Ses seuls trésors : ses ressources humaines et sa réputation. Et pourtant, sur les hauteurs du pouvoir monétaire et financier, deux hommes de savoir, deux vétérans du sérail économique, se livrent à un duel d’ego à ciel ouvert, comme si la République n’avait plus rien à perdre.
Le gouverneur de la Banque de Maurice, Rama Sithanen, et l’ancien gouverneur, Rundheersingh Bheenick, tous deux bardés de diplômes des meilleures universités britanniques, de convictions et d’un passé politique assumé, se regardent aujourd’hui en chiens de faïence. Le premier, nommé par Navin Ramgoolam, incarne l’idée d’un retour à l’indépendance institutionnelle après l’humiliation Seegolam. Le second, lui aussi nominé par Ramgoolam, veut prendre les rênes de la SBM – mais se heurte au refus de son ancien employeur de lui délivrer le sésame du «fit and proper».
L’express ne prend pas parti. Mais l’express appelle à la raison. Car le pays ne peut plus se permettre de sacrifier sa réputation et sa stabilité monétaire sur l’autel de querelles d’anciens camarades devenus nouveaux ennemis. Quand la devise chancelle, quand l’inflation repart, quand la confiance des investisseurs devient plus volatile qu’un tweet de Trump, le rôle de la Banque centrale est vital. Ce n’est pas un terrain de règlements de comptes.
Le différend entre Sithanen et Bheenick n’est pas qu’un débat juridique sur une certification. C’est une ligne de fracture sur la gouvernance. Sithanen ne veut pas cautionner la nomination d’un homme qui poursuit la Banque centrale pour Rs 270 millions, dont Rs 56 millions ont déjà été versées. Il y voit un conflit d’intérêts et d'appétit, une atteinte à la crédibilité du régulateur. Bheenick, lui, soutient qu’il ne peut être pénalisé pour avoir réclamé ce qui lui est dû. Deux logiques. Deux récits. Une République, pourtant.
Mais là où le débat dérape, c’est avec l’entrée en scène du Second Deputy Governor, Gérard Sanspeur. Déjà fragilisé par des accusations internes de sa hiérarchie, il tente de se refaire une virginité en semant la discorde entre ses deux supérieurs et le camp qui soutient Bheenick (au sein du Parti travailliste, entre autres). Fuites organisées, rumeurs savamment distillées, manipulation de l’opinion : voilà Sanspeur qui, au lieu de protéger l’institution, y jette de l’huile sur le feu. Ce jeu-là est dangereux. Car il n’y aura pas de vainqueur. Que des perdants – à commencer par la crédibilité du secteur financier mauricien.
Maurice est un centre financier international. Pas un champ de bataille pour technocrates frustrés. Nous avons besoin de prévisibilité, de solidité, de sang-froid. Pas d’un feuilleton à la HBO entre BoM et SBM. Le monde nous regarde. Les agences de notation aussi. Et le FMI n’est jamais loin. Chaque hésitation, chaque fuite, chaque clivage entre le régulateur et les opérateurs se paie en points de crédibilité, en taux d’intérêt plus élevés, en investisseurs refroidis.
C’est pourquoi nous appelons à un compromis rapide et rationnel. Un geste républicain. Un signal fort. Le plus sage des scénarios : que la Banque centrale déclare Bheenick «fit and proper», à condition que ce dernier retire sa plainte. L’honneur est sauf. L’avenir aussi.
Car il faut savoir choisir ses batailles. Et celle-ci n’en vaut pas la peine. Pendant que les ego s’affrontent, la République s’effrite. La dette monte. La croissance stagne. Et les institutions, elles, vacillent.
Nous ne demandons pas l’oubli. Ni l’aveuglement. Juste un peu de grandeur. Que chacun, à sa place, se souvienne que servir l’État, ce n’est pas se servir. Que l’indépendance des institutions n’est pas un prétexte pour cultiver sa revanche, mais un devoir d’exemplarité.
Sithanen, Bheenick, Sanspeur : que chacun dépose les armes. Le pays n’a pas besoin d’un vainqueur. Il a besoin d’un cap.
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BoM et SBM : une liaison dangereuse ?
Depuis 2018, l’express n’a cessé de tirer la sonnette d’alarme : entre la Banque de Maurice (BoM) et la State Bank of Mauritius (SBM), le mur du feu réglementaire est plus que poreux. Ce n’est pas un secret : certains gouverneurs, plutôt que de faire preuve de vigilance, ont fermé les yeux – ou pire, tendu la main. D’autres ont préféré se taire, quitte à devenir complices.
En 2016, à la tête de la SBM, on a souvent écrit sur les dérives de gouvernance. Le silence de la BoM à l’époque était assourdissant. L’ombre du PMO planait. Plus récemment, les frictions entre Harvesh Seegolam et l’ancienne direction de la SBM ont révélé un autre mal chronique : le brouillage des rôles entre le régulateur et l’opérateur.
Sur le papier, la Banque centrale est censée surveiller. Dans la pratique, elle hésite, négocie, ajourne. Un exemple ? Le risk-based supervision framework – pourtant recommandé par des institutions internationales – reste toujours embryonnaire. Résultat : des failles de surveillance, des avertissements ignorés et une supervision trop souvent réactive plutôt que préventive.
Quant aux nominations aux postes clés, elles ressemblent plus à des deals d’alcôve qu’à des processus transparents. Que ce soit à la BoM ou à la SBM, trop de sièges ont été occupés par des comptables aux ordres, plutôt que par des économistes ou financiers libres et aguerris à la complexité monétaire.
L’ironie est cruelle : Maurice se rêve en hub financier régional, mais ses deux piliers bancaires – le régulateur et l’opérateur d’État – semblent parfois rejouer la comédie du serpent qui se mord la queue. Il y a un contexte aussi : quand on demande au pays des sacrifices, il apparaît inopportun d’exiger un peu plus de Rs 200 millions des caisses par ailleurs déjà établies «vides»...
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