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Scandales Politico-Financiers
La réputation de “Mauritius Inc.” …
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Scandales Politico-Financiers
La réputation de “Mauritius Inc.” …

La récente double arrestation de l’ancien ministre des Finances, Renganaden Padayachy, marque un tournant symbolique dans la séquence politico-judiciaire qui agite Maurice depuis le changement de régime en novembre 2024.
Parallèlement aux allégations d’abus de pouvoir et de trafic d’influence à l’encontre de Renganaden Padayachy, plusieurs piliers de la sphère économique et financière, dont le CEO de la Mauritius Investment Corporation (MIC), Jitendra Bissessur, l’ex-gouverneur de la Banque de Maurice, Harvesh Seegolam, et l’ancien Premier ministre Pravind Jugnauth, ont également été inquiétés par la Financial Crimes Commission dans des enquêtes distinctes portant sur des allégations de détournement de fonds publics, fraude ou blanchiment d’argent.
«Je suis serein. Je crois en l’état de droit», a déclaré Renganaden Padayachy à sa sortie du tribunal, jeudi, entouré de ses avocats et de plusieurs membres de son ancienne équipe ministérielle. Sa famille politique, le Mouvement socialiste militant, évoque une «opération de persécution politique», pointant du doigt une instrumentalisation des institutions dans un contexte post-électoral tendu.
Un ancien ministre des Services financiers se dit «choqué par la brutalité de certaines méthodes», mais appelle à «laisser la justice faire son travail». Un ancien juge de la Cour suprême va plus loin : «Il ne s’agit pas d’un problème de personnes, mais de système. Quand plusieurs institutions clés sont concernées, il faut s’interroger sur la gouvernance structurelle.»
Ces propos font écho à une inquiétude plus large dans les milieux d’affaires. «Nous recevons déjà des signaux d’alerte de certains clients internationaux», confie un banquier opérant dans le Global Business. «Ce qui faisait notre force – stabilité, sérieux, réputation – est aujourd’hui mis en doute», fait, pour sa part, ressortir Azad Jeetun, économiste et ancien directeur de la Mauritius Employers Federation, le tort causé dépasse la sphère judiciaire. «Que les accusations soient fondées ou non, le mal est déjà fait. Ce n’est pas seulement la réputation de nos dirigeants qui est en jeu, mais celle de l’ensemble de nos institutions», affirme-t-il.
Pour les investisseurs, le choc est réel. «L’affaire Padayachy, c’est plus qu’un nom : c’est toute la narration de ‘Mauritius Inc.’ qui prend un coup», affirme Mahen Virahsawmy, un conseiller en stratégie basé à Londres. «On se demandera désormais si Maurice est toujours ce refuge réglementaire en Afrique.»
Sur le plan économique, cette turbulence intervient au pire moment. Le gouvernement de l’Alliance du changement prépare son premier Budget (celui de l’année financière 2025-2026) dans un climat d’incertitude. Le FMI a récemment ramené ses prévisions de croissance à 3,3 % pour 2025, pointant des vulnérabilités persistantes. Des risques géopolitiques, une pression sur les ressources hydriques, la lente reprise du tourisme et un essoufflement des exportations accentuent les défis.
Un nouveau déclassement de la note souveraine par Moody’s est redouté. «Si les institutions de gouvernance sont perçues comme défaillantes, cela impactera directement notre coût d’emprunt et la confiance des bailleurs», avertit le ministre du Travail, Reza Uteem, dans une récente interview à l’express de Maurice.
Mais au-delà des chiffres, c’est la cohésion sociale et démocratique qui vacille. «Le peuple souffre. Les prix augmentent. La confiance recule. Il faut réagir vite, et fort», martèle un ancien ministre des Finances, qui souligne que c’est la première fois qu’un Grand argentier se retrouve derrière les barreaux, même si Renganaden Padayachy est présumé innocent et que pour l’heure il n’y a que des charges provisoires contre lui.
«Une démocratie se mesure à sa capacité à juger ses puissants avec équité», rappelle l’ex-juge de la Cour suprême, qui réclame une cour de justice séparée pour juger des crimes financiers impliquant de serviteurs de l’État.. Pour de nombreux observateurs, Maurice se trouve à la croisée des chemins. Le pays peut sombrer dans la défiance généralisée ou faire de cette crise l’occasion d’une refondation. «La balle est dans le camp du gouvernement», conclut un diplomate européen en poste à Port-Louis.
L’enjeu dépasse les affaires individuelles : il s’agit désormais de restaurer la crédibilité de toute une juridiction.
Un dossier à portée diplomatique
La dimension bilatérale du dossier prend une tournure plus sensible alors que le président français Emmanuel Macron est attendu à Port-Louis dans les prochains jours pour une visite officielle axée sur la coopération régionale, le climat et les enjeux indo-pacifiques. Des sources diplomatiques confirment que la situation de Renganaden Padayachy, qui a aussi la nationalité française, a été «signalée aux plus hauts niveaux», sans pour autant préciser si le sujet sera officiellement abordé pendant la visite présidentielle.
Dans l’attente de la conclusion des enquêtes de la FCC et des suites judiciaires, le climat politique reste tendu. Le MSM parle d’«acharnement». Le gouvernement, lui, se défend de toute manœuvre. «L’État de droit s’applique à tous, quelle que soit la fonction occupée», affirme un conseiller du Premier ministre.
Dans un contexte déjà marqué par des incertitudes économiques et une pression internationale croissante sur la gouvernance, cette affaire mêlant justice, diplomatie et politique nationale pourrait peser lourd sur l’agenda de la visite présidentielle et la relation entre Port-Louis et Paris.
Dans les coulisses
Un ancien juge de la Cour suprême évoque une «crise d’intégrité systémique». Pour lui, «ce n’est pas seulement l’ancienne majorité qu’il faut interroger, mais l’ensemble du contrat social et institutionnel mauricien».
Dans les cercles économiques, l’onde de choc est palpable. «Ce qui faisait la force du centre financier – transparence, stabilité, sérieux – est en train de fondre comme beurre au soleil», soupire un investisseur étranger. Déjà affaibli par une croissance molle, un tourisme lent à redémarrer et des alertes du FMI, le pays redoute une nouvelle dégradation de sa note souveraine.
Sur le port, les bateaux de croisière accostent comme si de rien n’était. Les touristes sirotent leurs cocktails face au lagon turquoise. Mais derrière la carte postale, une île s’interroge.
«On ne peut plus se cacher derrière les cocotiers», lâche Roshi Bhadain, un ancien ministre des Services financiers et de la Bonne gouvernance, jadis membre du MSM, aujourd’hui à la tête de son propre parti, le Reform Party. «Il faut choisir : soit on nettoie, soit on coule.»
À Maurice, le temps de l’innocence semble révolu. Reste à savoir si celui de la reconstruction viendra.
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