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Inauguration à Agaléga
La vie n’a pas (trop) changé
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Inauguration à Agaléga
La vie n’a pas (trop) changé
Le PM a dévoilé hier la plaque du «passenger terminal», en compagnie de la haute-commissaire de l’Inde, avant que les Agaléens ne voient l’avion de près.
Après des années de constructions et de spéculations, les nouvelles infrastructures d’Agaléga ont été inaugurées hier. La série de koup riban a été suivie d’un concert d’artistes mauriciens, dont des Agaléens. Sur l’île, l’ambiance était à la fête toute la journée, même si les problèmes du quotidien ont vite refait surface.
Les attentes
La veille, tous se préparaient. Isola France est la seule coiffeuse de l’île. Son salon est situé au cœur du Village 25. Sa spécialité, ce sont les tresses. La jeune agaléenne de 21 ans avance que la clientèle dépend de la saison. Par exemple, à l’approche de Pâques ou encore de la SaintSylvestre, elle finit très tard. Puis, il y a des jours sans personne. En marge des inaugurations, sa clientèle n’a certes pas atteint les chiffres des fêtes, mais a certainement augmenté.
Ailleurs, sous les arbres, des coiffeuses de fortune tressaient les cheveux de leurs proches pour les mêmes raisons. Près du centre social, les techniciens de Fujiland étaient à l’œuvre pour mettre en place la scène et les marquises qui accueilleront le concert par la suite.
La journée d’hier a été décrétée fériée, tout comme aujourd’hui, pour permettre à un grand nombre d’habitants d’assister aux inaugurations. Il faut dire que les attentes pour une vie meilleure étaient grandes. La veille de l’événement, Fernando, 25 ans, expliquait que depuis 2015, il n’y a plus de constructions dans l’île. De ce fait, les membres des familles, au fil des mariages et naissances, s’entassent dans le même espace. «Apré péna travay. Dépi mo éna 18-an mo pé ‘apply’ pou ‘handyworker’ OIDC. Ziska ler, mo pankor gagné», confie-t-il. C’est un cercle vicieux. Sans être un employé de l’Outer Islands Development Corporation (OIDC), il n’a pas droit à une maison. «Pa les nou amenn tol mem dépi Moris pou nou aranzé», déplore-t-il.
L’événement a attiré quelques Agaléens, qui s’étaient réunis sous le hangar pour le début des événements. L’ATR 72 transportant le Premier ministre, des membres de l’opposition et d’autres dignitaires, dont le chef du cabinet et le commissaire de police, a atterri à 10 h 50. Ont suivi, une multitude de cérémonies. La piste a été inaugurée conjointement par Pravind Jugnauth et Narendra Modi. La liaison vidéo, assurée par la Mauritius Film Development Corporation, n’a pas buggé, contrastant grandement avec la couverture téléphonique sur l’île. L’assistance a eu droit à des vidéos mettant en avant les projets de développement de l’Inde sur l’île. Parmi les plus récents, qui ont été également inaugurés hier, outre la piste d’atterrissage, figurent le centre communautaire de Village 25, la Bibliothèque du Nord, la Fourche Fish Landing Station, la Boutique du Nord, le centre polyvalent Sainte-Rita, le kiosque La Pointe du Nord.
«Pas de base militaire»
Lors de son discours, Pravind Jugnauth a été clair. Il n’est pas question de base militaire et Maurice conserve la souveraineté territoriale sur Agaléga. «Les accords entre Maurice et l’Inde portent essentiellement sur l’amélioration des infrastructures maritimes et aériennes. Cela permettra aussi une meilleure surveillance de notre zone économique exclusive», a-t-il déclaré. Après le discours en anglais, le Premier ministre a prononcé quelques mots en kreol, réitérant le fait que la connectivité maritime et aérienne est «le poumon des développements». Selon lui, il ne faudra plus attendre des mois avant d’avoir le Trochetia pour le ravitaillement. De plus, cela annonce une nouvelle ère économique pour l’île.
Son homologue indien a prononcé un discours dans la même veine, affichant la fierté que l’engagement qu’il a pris pour Agaléga en 2015 se réalise. Il a aussi affirmé qu’il sera plus facile pour les étudiants de passer d’Agaléga à Maurice. «There are several challenges affecting our economies. India and Mauritius are partners in maritime security», a-t-il fait ressortir.
«Nou touzour pé gagn problem»
L’inauguration de la Fish Landing Station à La Fourche devait être suivie d’une série de koup riban à Village 25. Mais cette partie a été reportée à l’après-midi. À 15 heures, sous le grand badamier au centre du village, plusieurs habitants attendaient. «Nou kontan éna dévélopman. Mé la, dépi 13h, nou pé atan transpor pou al kot nou…» Ils ont fait le déplacement pour les inaugurations et devaient participer à un événement culinaire qui faisait partie des festivités de la journée. Mais avec le changement de plan, ils ont dû rentrer chez eux, car il n’y a pas de bateau le soir. «Plas mem pou nou péna isi», réitère le groupe, ne cachant pas sa tristesse car ils ne pourront pas participer à l’événement.
Mais Melissa Perle, 20 ans, est plus optimiste. Même s’il n’y a pas eu de réponses précises dans le discours, il a été clair que dans le futur, il y aura des vols commerciaux entre Maurice et Agaléga. Aujourd’hui, elle est au chômage, mais le développement à venir changera certainement la donne.
Même son de cloche chez Kesley Augustin, 20 ans également. «Zordi, avion kapav pozé, nou kapav al Moris pli fasil.» Quant aux polémiques sur la base militaire, elles ont été pour le moment oblitérées par la possibilité d’un changement de vie. «Ki koné, pou kapav asté linz isi enn zour.» Car, même cela, les Agaléens ne peuvent pas faire, vu qu’il n’y a pas de commerce…
Cédric Rekha est le fils de la gérante de la Boutique 25, l’unique commerce du village. Installés devant sa caisse, les rayons quelque peu vides s’étirent derrière lui. Dessus, des conserves, de l’huile, du dentifrice, du savon et des bouteilles de boissons alcoolisées. Dans sa vitrine de présentation, quelques gâteaux. «Isi gagn bann zafer dé baz. Mé la, péna konzélé ditou», dit-il. Même les légumes sont rares. Le Trochetia est arrivé le week-end dernier et il attend d’être approvisionné à nouveau. Les mois se ressemblent tous. Lorsque le bateau arrive, sa boutique est achalandée. Au fil des semaines, le stock diminue, les produits se font rares, les résidents doivent faire avec ce qu’ils ont jusqu’au prochain bateau.
Le supermarché La Boutique du Nord, qui a été inauguré (virtuellement) hier, se trouve en face de chez lui. Cédric Rekha n’a absolument pas peur. Le manque d’informations aide la confiance qu’il a en son petit commerce. La veille de l’inauguration, personne ne savait qui allait opérer le supermarché ou encore quels produits s’y trouveraient. «Laboutik lamem ‘main’ la. Tou ban abitan vinn isi. Sa pa pou sanzé», soutient-il.
Ailleurs, malgré le développement proclamé, les attentes restent les mêmes. Isola France explique que le salon appartient à sa mère, qui est employée par l’OIDC, et elle y travaille depuis qu’elle a 12 ans. Aujourd’hui, elle en a 21, et vit toujours de sa passion. Mais elle souhaiterait avoir un travail stable. «Mé ziska zordi, pankor gagné. Sak fwa dimandé, zot dir nou atan bidzé, pou dir ladan», relève-t-elle, sans lâcher la chevelure de la cliente. Cette dernière ajoute d’ailleurs qu’elle a 20 ans et vit la même chose. Elle attend un travail depuis des lustres. Quel travail attend Isola France ? «Moi j’aimerais me former professionnellement. Mo’nn aprann ek mo mama, me mo ti anvi suiv enn kour, gagn enn sertifika, konn fer plis zafer.» Pour cela, il faudra se rendre à Maurice, car il n’est pas possible de se former à Agaléga. Mais l’espoir d’une île développée renaît…
Réactions sur place
Aadil Ameer Meea
«Je prends note de la déclaration du Premier ministre à l’effet qu’il n’y aura pas de base militaire et que Maurice gardera sa souveraineté territoriale. C’est une bonne chose. Mais s’il n’y a vraiment rien à cacher, il faut que le gouvernement rende l’accord avec l’Inde public afin de mettre fin à toutes les polémiques concernant une base militaire. Par ailleurs, il faudrait que tous les projets de développement incluent les habitants de l’île. Il faut que ce partenariat soit inclusif. Concernant la piste et la jetée, elles sont très impressionnantes.»
Ehsan Juman
«Ce sont des infrastructures impressionnantes pour l’île. Nous remercions l’Inde pour sa collaboration. Cependant, il faudrait que le gouvernement rassure la population quant à une éventuelle base militaire. Il faudrait aussi garder en tête que le développement de cette envergure doit respecter le cachet et l’environnement de l’île.»
Sudheer Maudhoo
«Ce nouveau port et la Fish Landing Station représentent une opportunité pour Agaléga. Bientôt, cette station sera équipée d’un système de réfrigération. Il y a aussi une éventualité qu’Agaléga exporte le poisson vers Maurice. Il y a des opportunités extraordinaires.»
Stephane Noël, commandant d’Air Mauritius de descendance Agaléenne
Sa grand-mère est Agaléenne. Il est né et a grandi à Maurice et aujourd’hui, il a été le deuxième commandant de l’ATR 72 qui a atterri à Agalega lors du vol inaugural. Il n’a pas caché ses émotions en retrouvant sa terre ancestrale.
En images
(Cédric Rekha est le fils du propriétaire de la Boutique 25. Le supermarché inauguré juste en face ne lui fait pas peur car il considère que son commerce restera le principal de l’île.)
(Isola France, coiffeuse, explique qu’il est toujours très difficile de trouver du travail.)
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