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Questions à…
Laura Jaymangal: «Les partis politiques n’existent pas en dehors des périodes électorales, mais ils reçoivent des donations»
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Questions à…
Laura Jaymangal: «Les partis politiques n’existent pas en dehors des périodes électorales, mais ils reçoivent des donations»

Laura Jaymangal, «Executive Director» de Transparency Mauritius.
Le classement de Maurice dans le Corruption Perception Index (CPI) 2024 rendu public mardi reste stable à 51 points, mais cette stagnation masque une baisse continue depuis 2012. Pour Laura Jaymangal, Executive Director de Transparency Mauritius, plusieurs réformes structurelles s’avèrent essentielles pour inverser cette tendance. Parmi elles, la Freedom of Information Act et un cadre législatif sur le financement des partis politiques, deux leviers cruciaux pour assurer une plus grande transparence et prévenir les abus. Selon elle, il est impératif que les réformes soient entreprises dès le début du mandat gouvernemental, mais avec une réelle volonté politique et une concertation avec la société civile. Elle insiste également sur l’urgence de garantir une gestion transparente des fonds climatiques et sur la nécessité de renforcer l’indépendance des institutions, notamment à travers une gouvernance plus rigoureuse de la Financial Crimes Commission.
Maurice reste stable dans le CPI 2024 avec 51 points, mais cette stagnation masque une baisse continue depuis 2012. Selon vous, quelles réformes structurelles sont essentielles pour inverser cette tendance et améliorer réellement la lutte contre la corruption ?
De nombreuses réformes sont nécessaires aujourd’hui et certaines le sont même depuis plus de dix ans. La première mesure dont on parle constamment est la Freedom of Information Act, car c’est l’un des principaux outils de lutte contre la corruption. Elle permet une plus grande transparence et donne une visibilité accrue au public. Un cadre légal pour le financement des partis politiques est également essentiel. Il ne s’agit pas seulement de surveiller comment les partis dépensent leur argent, mais surtout de comprendre d’où proviennent leurs fonds. Il est crucial de retracer l’origine des dons afin de s’assurer qu’ils ne proviennent pas de sources illégales ou d’acteurs cherchant à influencer les décisions du gouvernement. La transparence sur le financement politique permet non seulement de savoir qui finance, mais aussi dans quel but ces fonds sont utilisés. Pour renforcer notre démocratie et améliorer nos classements aux indices internationaux, il est indispensable de revoir en profondeur le sys- tème mauricien, qu’il s’agisse du cadre constitutionnel, de l’équilibre des pouvoirs ou encore du rôle des nominés dans les institutions publiques.
On entend souvent parler de réformes comme la «Freedom of Information Act», mais au final, rien ne se concrétise et la situation reste la même. Pensez-vous qu’il y ait une réelle volonté politique d’aller vers plus de transparence ou est-ce un simple discours de façade ?
La Freedom of Information Act avait été annoncée il y a dix ans par l’ancien régime et figurait comme un engagement fort dans sa campagne électorale. Pourtant, une fois au pouvoir, sa mise en place a été sans cesse repoussée. Quant au financement des partis politiques, la réforme a fini par voir le jour lors du dernier mandat du précédent gouvernement, mais elle a été introduite presque du jour au lendemain, sans réelles consultations ni travail approfondi. Était-ce une véritable avancée ou un simple jeu politique ? La question fondamentale demeure : voulons-nous réellement instaurer des réformes pour bâtir un meilleur système ? Ces dix dernières années ont été marquées par un manque de volonté manifeste. Aujourd’hui, un nouveau gouvernement est en place, et son discours-programme met en avant la démocratie et la bonne gouvernance – un engagement que l’on n’avait plus vu depuis longtemps. Cela pourrait témoigner d’une volonté différente, mais tout dépendra de l’application concrète de ces mesures. Quel sera le plan de travail pour la mise en œuvre de ces réformes ? Et surtout, quels seront les Key Performance Indicators (KPIs) permettant d’évaluer leur succès ?
Transparency Mauritius souligne un manque de transparence dans l’utilisation des fonds climatiques, compromettant l’efficacité des politiques environnementales. Quels mécanismes concrets devraient être mis en place pour garantir que ces financements soient utilisés de manière transparente et éviter tout risque de détournement ou d’abus ?
La stratégie de Transparency International cette année met un accent particulier sur le climat, car il s’agit de la plus grande menace à notre existence. Pourtant, à l’échelle internationale, les avancées en matière de climate action restent limitées en raison d’un manque criant de transparence sur les fonds dédiés au climat. D’importants financements provenant des grandes puis- sances circulent, mais ils sont soit détournés vers d’autres usages, soit inefficacement exploités, ce qui freine les actions concrètes. À Maurice, l’intégration du climat comme priorité gouvernementale est relativement récente. Or, pour garantir que ces engagements se traduisent en mesures tan- gibles, la mise en place d’une Freedom of Information Act est essentielle. Cet outil permettrait d’assurer une transparence totale sur l’utilisation des fonds climatiques et de vérifier si des actions concrètes sont réellement menées. L’urgence climatique est plus pressante que jamais. Nous ne savons même pas si nous parviendrons à atténuer les effets du changement climatique. Mais avons-nous un plan ? Avons-nous les fonds nécessaires ? Il y a un véritable manque d’informations à ce sujet et il est impératif d’y remédier.
Le gouvernement prévoit d’introduire une législation sur le financement des partis politiques. Pensez-vous que cette mesure sera suffisante pour garantir une réelle transparence et éviter les financements occultes ?
On ne sait pas. Oui, il est essentiel d’avoir une législation de base. Actuellement, les partis politiques eux-mêmes n’existent pas en dehors des périodes électorales : ils n’ont aucun statut légal. Pourtant, ils reçoivent des donations, que ce soit en campagne ou en dehors, sans qu’il y ait de véritables moyens de contrôle, d’audit ou de transparence. Une loi sur le financement des partis politiques permettrait de leur donner une existence légale et d’instaurer un cadre réglementaire pour surveiller qui les finance et comment ces fonds sont utilisés. Car, quoi qu’il arrive, les partis politiques disposeront toujours d’argent – les campagnes électorales coûtent extrêmement cher. L’objectif n’est pas d’interdire le financement, mais de garantir la transparence : d’où provient l’argent et à quoi sert-il ? Un cadre légal exercerait une pression sur les partis pour qu’ils respectent des règles strictes et se conforment à des normes de bonne gouvernance.
Selon vous, à quel moment du mandat un gouvernement devrait-il mettre en place une législation ?
Ces réformes doivent être mises en place dès le début du mandat si le gouvernement veut réellement marquer une différence. Elles doivent arriver rapidement, mais sans pour autant être bâclées. Il est crucial qu’elles fassent l’objet de consultations approfondies avec des experts et la société civile. Avec une majorité absolue, le gouvernement pourrait certes faire passer ces lois sans concertation, mais ce que l’on attend, c’est une véritable intégrité parlementaire. Il faut un projet de loi réfléchi, élaboré à partir d’un peer learning basé sur des législations existantes dans d’autres pays similaires au nôtre. Il est essentiel d’ouvrir un dialogue avec la société civile. Si cela prend un an pour aboutir à une loi solide et bien construite, tant mieux. Mais ces réformes ne peuvent pas non plus traîner pendant cinq ans.
L’abolition de la Financial Crimes Commission (FCC) au profit d’une agence nationale de lutte contre les crimes financiers est présentée comme une avancée. Quelles garanties sont nécessaires pour que cette nouvelle institution soit réellement indépendante et efficace ?
La FCC en elle-même n’est pas un problème. C’est même une idée innovante de regrouper tout sous une seule ombrelle. Le problème réside dans sa gouvernance, notamment dans la manière dont l’organisation est dirigée. Il est essentiel de s’assurer que cette institution ne soit pas dirigée par un nominé politique, car un tel dirigeant serait tenu de répondre au gouvernement. Or, l’objectif est que la FCC soit une entité indépendante. Une solution pourrait être la mise en place d’un panel distinct, chargé de choisir le directeur de la FCC. Cela pourrait être une première étape vers une gouvernance plus transparente et indépendante. Quant à la proposition de créer une agence nationale de lutte contre les crimes financiers, ce n’est pas une mauvaise idée en soi. Cela revient un peu à reprendre l’idée existante et à la réinventer à leur manière. L’es- sentiel sera de garantir que cette nouvelle structure puisse fonctionner de manière autonome, que son directeur général n’ait pas à rendre de comptes au Premier ministre ou à un autre ministre et que l’organisation dispose des ressources nécessaires pour mener ses enquêtes efficacement.
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