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Prem Saddul
«Le changement climatique n’est pas le seul responsable des inondations»
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Prem Saddul
«Le changement climatique n’est pas le seul responsable des inondations»
Prem Saddul, géomorphologue-hydrogéologue, ancien président de la CWA.
Prem Saddul, géomorphologue-hydrogéologue, explique dans un langage simple les raisons des inondations qui sont de plus en plus fréquentes. Il ne faut pas tout mettre sur le dos du changement climatique. Le bétonnage, la déforestation et la néglgience y sont pour quelque chose. En somme, l’humain est le plus grand responsable.
Les inondations sont de plus en plus fréquentes. Le manque d’infrastructures en est-il la cause ?
Depuis quelque temps, les flash floods sont devenues le premier risque naturel à Maurice, avec les conséquences que l’on sait. On n’a pas pu jusqu’à l’heure tirer les leçons du passé. Si on continue à pointer du doigt l’effet du changement climatique, on rate le coche. Car, pour moi, la cause principale, c’est l’homme qui construit avec trop de béton en zone inondable et en pratiquant la déforestation, entravant le bon fonctionnement des cours d’eau. Quand le débit augmente à un point que la rivière déborde et sort de son lit, c’est l’inondation. En zone montagneuse et dans des cuvettes, ces inondations résultant des crues éclairs sont destructrices.
Tranquebar, Vallée-Pitot, Champ-de-Mars, Les Guibies, notamment, sont des régions qui se trouvent à l’intérieur des «amphithéâtres» où les sols sont très imperméables avec du magnesium clay. Durant les fortes pluies, l’eau, ne pouvant plus s’infiltrer dans le sol, reste à la surface et ruisselle alors rapidement vers les cours d’eau pour les gonfler, tout en prenant de la vitesse et pour finalement provoquer des dégâts sur son passage.
Aussi, le manque d’entretien des lits des cours d’eau, par exemple au niveau des ponts, peut favoriser l’apparition de «bouchons» de débris qui bloquent la circulation de l’eau. Le changement climatique va accentuer les extrêmes météorologiques. On doit être proactif et faire de sorte que les crues soient évacuées en un temps minimal. Il faut que Port-Louis, par exemple, soit une drain city au lien d’une rain city. Cela doit être notre objectif principal.
Des buissons et des arbres sont coupés et enlevés pour y mettre des villas. Cela peut-il affecter le déplacement de l’eau de pluie ?
Effectivement, il existe un lien évident entre la déforestation et les inondations. Les haies de bambous, les buissons et les arbres constituent une zone naturelle se comportant comme une éponge qui intercepte et retient un pourcentage important d’eau de pluie. En outre, elle produit des sols poreux et filtrants, qui peuvent stocker des volumes importants d’eau et favoriser l’infiltration, diminuant ainsi l’intensité des crues, les débordements des rivières et les dégâts éventuels qui pourraient y être causés. Le maintien ou la restauration de ces zones naturelles est donc essentiel.
Qu’est-ce qui a contribué à l’effondrement de la maison de Tranquebar ?
La maison effondrée à la rue Swami Sivananda, à Tranquebar, est directement liée aux conséquences des pluies torrentielles de ce triste dimanche (NdlR, du 21 avril). Plusieurs raisons sont évoquées. Il a beaucoup plu et un phénomène accentué par le changement climatique, mais «la main de l’Homme» est aussi responsable. Tranquebar se trouve à une élévation de 60 mètres dans un couloir étroit bordé de montagnes avec des pentes assez raides. Environ quatre torrents de montagnes convergent au village et alimente le Ruisseau du Pouce. Les sols sont hautement imperméables ce qui favorise des torrents en surface. J’ai visité l’endroit et j’ai suivi le ruisseau du Pouce et les rues jusqu’à la Chaussée. J’ai constaté que les drains ne sont pas bien entretenus et il y a des goulots d’étranglement à l’aval des ponts. Il est essentiel de préparer des storm hydrographs afin d’analyser le facteur temps entre les grosses averses et la montée maximale des eaux le long des rivières, canaux et drains.
Des maisons sont construites de plus en plus haut dans la région de Tamarin, sur le flanc de la montagne, ou à Sorèze. Quels sont les risques ?
Nos montagnes datent de plus de 8 millions d’années et, avec le temps, les pentes en contrebas sont de- venues une zone d’accumulation de colluvion, c’est-à-dire des dépôts des sédiments et des débris. Ceci rend la zone très instable et avec une pente de plus de 30°. Les risques de glissements de terrain, voire des éboulements se sont accentués. Une étude géophysique que j’ai entreprise en 2010 sur les pentes de la Tourelle de Tamarin a démontré des signes très distincts de cette instabilité. Il y avait des fissures sur les murs, des écoulements en surface de l’eau souterraine, des pylônes électriques et des arbres inclinés notamment. Octroyer des permis de construction dans ces zones de solifluxion constitue un risque majeur.
Est-ce que construire sur les flancs peut inonder les biens de ceux qui habitent au pied des montagnes ?
Oui. L’exemple type est le village de Fond-du-Sac qui se trouve non loin du volcan Butte-aux-Papayes, une colline de 142 mètres avec des pentes allant jusqu’au village. La colline était autrefois sous culture de canne à sucre et elle était boisée au sommet. Depuis 2000, la colline a été bétonnée, asphaltée et transformée avec des villas. Tout cela a rendu les versants de la colline imperméable et, à chaque averse, les rues se transforment en cours d’eau. Les épisodes de pluies diluviennes de 2013, 2016 et en avril 2019 ont ainsi déclenché des flash floods dévastatrices affectant des centaines d’habitants et des commerçants. Les risques sont identiques pour les habitants au bas de la Tourelle de Tamarin et autres flancs de montagne.
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