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Budget 2025-2026

Le choix politique de Ramgoolam…

31 mai 2025, 04:49

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Pourquoi il nous faut produire, taxer mieux, redistribuer avec justice

Après l’euphorie de l’alternance, voici venu le retour au réel. À peine six mois après l’élection de l’Alliance du changement, les masques tombent. Le paysage budgétaire hérité du régime précédent n’est pas simplement dégradé : il est structurellement vicié. Les chiffres officiels sont passés du vert au rouge sans passer par le feu orange – ce qui aurait permis de freiner progressivement. Ainsi après révision, le déficit budgétaire «réel» atteint 9,5 % du PIB ; la dette publique frôle les 91 %, tandis que les mécanismes de stabilisation – notamment le Price Stabilisation Account – sont à sec. L’État mauricien, hypertrophié dans sa fonction distributive, apparaît désormais incapable de jouer son rôle productif.

Dans ce contexte, le Budget 2025-2026, le premier de l’Alliance du changement, ne saurait être un exercice comptable ordinaire. Il n’a pas d’alternative que de provoquer un moment de rupture, diamétralement opposé aux promesses électorales. D’où le besoin de courage politique.

Il s’agit moins de présenter un tableau de chiffres que de redéfinir le contrat social à l’heure des limites écologiques, démographiques et financières. Comme le montrent les travaux sur les trajectoires budgétaires dans les États post-crise, la question centrale n’est pas de savoir s’il faut couper ou dépenser, mais où, comment et pour qui.

La décennie précédente a été marquée par un keynésianisme de façade : des transferts sociaux tous azimuts, financés non pas par la richesse produite mais par l’endettement et une politique monétaire permissive. Cette stratégie a entretenu l’illusion d’une prospérité partagée, tout en rognant méthodiquement les marges de manœuvre de l’État. Le résultat ? Une dépendance structurelle aux importations, un tissu productif atrophié, et une fiscalité régressive épargnant largement les rentes foncières, les plus-values patrimoniales et les grandes holdings.

Le gouvernement Ramgoolam, qui a hérité de cet édifice instable, ne peut se contenter d’un plan d’austérité classique. Car l’austérité linéaire – celle qui frappe indistinctement hôpitaux, écoles et aides sociales – est à la fois économiquement contre-productive et politiquement suicidaire. Le véritable enjeu est la recomposition stratégique des dépenses et recettes publiques.

Il y a au moins trois axes à considérer. Le premier axe concerne la reconquête productive. Il est urgent de réconcilier la nation avec le travail productif, de revaloriser les filières techniques, de planifier la formation professionnelle en fonction des projections sectorielles à 10 ou 20 ans, et de numériser massivement l’agriculture, l’industrie et la construction. L’État doit devenir stratège et investisseur – non pas en subventionnant la consommation, mais en catalysant les investissements dans les infrastructures, l’économie verte et la recherche.

Le deuxième axe touche à la justice fiscale. Il faut sortir d’une fiscalité paresseuse centrée sur la TVA, et s’attaquer aux inégalités réelles. Cela implique de taxer les plus-values immobilières, d’instaurer un impôt sur la fortune latente, et de reconfigurer les exonérations qui profitent aujourd’hui davantage aux insiders qu’aux innovateurs. Une réforme en profondeur de l’administration fiscale est indispensable, avec un renforcement des moyens de lutte contre l’évasion des grandes structures économiques.

L e troisième axe relève de la reconfiguration du contrat social. Les prestations sociales universelles doivent évoluer vers un modèle plus ciblé, fondé sur des critères d’équité, de besoin et de contribution. Il est moralement et économiquement absurde de verser les mêmes prestations à un rentier de Grand-Baie et à une travailleuse précaire de Plaine-Magnien. La logique doit être celle de l’émancipation par le travail et l’éducation, non celle de l’assistance perpétuelle.

Le Budget 2025-2026 arrive dans un contexte de désillusion croissante avec comme toile de fond un mécontentement populaire dans la rue. Le pouvoir d’achat, qui avait bénéficié d’une embellie artificielle en 2024 via des hausses salariales et des aides sociales électoralistes, est à nouveau sous pression. Les perspectives 2025 sont moroses : modération salariale, hausses d’impôts anticipées, ralentissement de la consommation. La demande intérieure ne peut plus être le moteur de la croissance.

C’est dans ce contexte que l’exécutif devra faire preuve de clarté stratégique. Le dilemme n’est pas entre rigueur et largesse, mais entre réformes ciblées et perpétuation du désordre. Soit le gouvernement choisit le statu quo, et avec lui le lent déclin. Soit il assume un virage courageux : vers un État stratège, fiscalement équitable, socialement juste et économiquement efficace.

Il serait illusoire de croire que ce tournant sera accepté sans résistance. La société mauricienne, comme tant d’autres, est traversée par des attentes contradictoires : plus de protection, mais aussi moins d’impôts ; plus de services publics, mais moins d’endettement. Dans ce contexte, il appartient au gouvernement de faire œuvre de pédagogie économique. Expliquer que la gratuité universelle est insoutenable. Que l’assainissement budgétaire n’est pas une punition, mais une condition de souveraineté (et souligner que les fonds du Chagos ne dépassent pas 2 % du PIB par année fiscale). Bref, que la redistribution ne peut précéder la production.

L’heure n’est définitivement plus aux slogans, mais à la rigueur dans la justice. Le Budget 2025-2026 sera jugé non seulement sur ses chiffres, mais sur sa capacité à restaurer la confiance – celle des citoyens, des investisseurs, et des générations futures. Car c’est là que réside, in fine, la véritable mesure du courage politique.

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