Publicité

Le coût du retard

11 mai 2025, 04:37

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Il fut un temps, pas si lointain, où le village où j’habite, vivait au rythme des coupes de canne. Les saisons avaient le goût âpre du jus écrasé, et les conversations, dans les marchés ou sous les tôles, se teintaient de mots comme quotas, raffinerie, subvention. La monoculture n’était pas qu’une culture : c’était une manière de penser le monde, en rangs serrés, comme les lignes de canne que le vent fait plier mais jamais déraciner. Malgré les alertes, malgré les chiffres rouges et les rendements en berne, nous avons continué, pendant longtemps, à panser un mort. On irrigue, on dépierre, on subventionne, mais on n'a pas diversifié les produits agricoles, oubliant qu’une île ne peut survivre dans le miroir éteint de sa propre nostalgie.

2025.Ce n’est plus le sucre qu’il faut sauver. C’est Maurice. Le coeur de l’économie bat ailleurs, mais les artères restent obstruées par les habitudes. En mars dernier, Maurice a atteint une consommation énergétique record de 600 MW, flirtant dangereusement avec la capacité maximale de 626 MW du CEB. Sur la corde raide, nous voilà contraints d’importer une solution flottante – une «powership», comme ils disent – ancrée à la hâte dans la rade, le moteur encore tiède d’avoir déjà servi d’autres nations à bout de souffle. Le ministre Assirvaden parle de résilience, de transition, de flexibilité. On entend surtout une improvisation structurelle. Les moteurs ont 30 ans. Le charbon s’épuise. Les turbines d’urgence deviennent le quotidien.

Dans l’ombre du Budget 2025-2026, entre deux promesses recyclées, une idée souffle : celle d’un virage manufacturier. L’Association of Mauritian Manufacturers sort du bois avec un chiffre : Rs 44,2 milliards de valeur ajoutée perdue depuis 2004 (trois points de croissance). L’industrie locale, elle aussi, se meurt – mais d’indifférence, pas d’usure.

Alors on parle d’un label, Made in Moris, comme on rallume une lampe dans une pièce longtemps abandonnée. On imagine des incitations, des taux réduits, des champions industriels. Peut-être, oui peut-être, que ce pays peut se réinventer. Mais il faudra bien plus qu’un slogan. Il faudra revoir nos priorités, rediriger nos milliards vers les vivants, pas les morts. Planter autre chose. Fabriquer autre chose. Penser autrement.

Publicité