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Mᵉ Rashid Ahmine, Directeur des poursuites publiques
Le dernier rempart
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Mᵉ Rashid Ahmine, Directeur des poursuites publiques
Le dernier rempart
Tradition oblige, nous décernons notre titre de Mauricien de l’année à un citoyen qui a marqué les esprits et dont le combat force le respect. Cette année, le choix s’est porté sur Mᵉ Rashid Ahmine, le Directeur des poursuites publiques, qui a pris ses fonctions le 21 décembre 2022. En douze mois, nous avons tous assisté à une guerre larvée entre le bureau du DPP d’un côté et le commissaire de police et le gouvernement de l’autre. Chose certaine : l’homme est resté digne face aux attaques et ne baisse pas les bras, loin de là…
Le bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP), avec à sa tête Mᵉ Rashid Ahmine, a dominé l’actualité dans différentes affaires, les unes plus complexes que les autres. Comme celles impliquant Bruneau Laurette, Akil Bissessur et sa compagne Doomila Moheeputh ainsi que le frère de l’avocat, Avinash Bissessur, tous arrêtés par la Special Striking Team (SST). Il y a eu encore la contestation par le DPP de la grâce présidentielle accordée au fils du commissaire de police (CP), Chandra Prakashsingh Dip, et l’enregistrement de nouvelles charges formelles de fraudes en sus de celles de blanchiment d’argent contre ce dernier. Il y a eu aussi la décision de Mᵉ Rashid Ahmine de rayer l’accusation provisoire qui pesait sur Mᵉ Rama Valayden après qu’il a été arrêté par la SST ou plus récemment l’affaire Vimen Sabapati. Le bureau du DPP risque aussi d’occuper l’actualité en début d’année car on s’attend à ce qu’il conteste le très controversé Financial Crimes Commission (FCC) Bill qui sera acté bientôt.
Mais une chose est sûre, dans tous les cas cités plus haut, celui qui assure le poste de DPP a su se positionner sans crainte ni faveur. Il a su, confient ceux qui le côtoient, conservé son intégrité, son indépendance et s’est fait un devoir d’effectuer son travail malgré toute les pressions exercées sur lui et autour de lui. Pour toutes ses raisons, le titre de Mauricien de l’année, décerné chaque année par l’express, lui revient en toute légitimité pour 2023...
Reprenons depuis le début : l’hostilité du gouvernement envers le DPP, Mᵉ Rashid Ahmine aurait commencé depuis l’affaire MedPoint. Car c’est lui qui était en charge de ce dossier et qui a plaidé l’affaire au tribunal. Et après que la Cour suprême a renversé le jugement des magistrats Niroshi Ramsoondar et Azam Neerooa, le DPP s’est alors tourné vers le Privy Council. Il faut savoir cependant que le bureau du DPP était alors dirigé par Mᵉ Satyajit Boolell, parti à la retraite depuis.
Beaucoup pensent aussi que le désamour envers le bureau du DPP naîtrait de la position adoptée par le même DPP dans l’affaire Betamax. On se rappelle que le bureau du DPP avait recommandé de mettre fin aux poursuites contre l’ancien Premier ministre et cinq autres personnes. Pravind Jugnauth vient d’ailleurs de rappeler cette affaire lors de son discours sur le FCC Bill le 12 décembre. Pour rappel, le CP d’alors, Mario Nobin, avait tenté de demander une révision judiciaire de cette décision du DPP mais il n’y a pas été autorisé par la Cour suprême.
Après les élections de 2019, notamment après l’éclatement de toute la saga entourant la mort de l’ex-agent orange Soopramanien Kistnen, on apprenait que le DPP avait recommandé des enquêtes supplémentaires et des poursuites éventuelles contre Yogida Sawmynaden, ancien ministre du Commerce et actuel député du MSM. Le bureau du DPP venait de prendre connaissance du rapport de l’enquête judiciaire sur la mort de Kistnen de la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnath.
Mais c’est en 2023 que la guerre entre le DPP et le CP a vraiment commencé. Ouvertement. Lorsque la magistrate Jade Ngan Chai King accorde la liberté conditionnelle à l’activiste et politicien Bruneau Laurette, le 21 février et que le DPP annonce le 27 février qu’il ne compte pas contester cette décision, c’est le CP, Anil Kumar Dip, qui s’en prend à lui. Dans un communiqué émis le 28 février, Anil Kumar Dip s’attaque frontalement au DPP en alléguant que ce refus de contester créera un «evil precedent». Depuis, certains commencent à parler de la ‘convergence’ des intérêts du CP et du gouvernement. On prendra connaissance d’ailleurs en même temps des attaques du Premier ministre non seulement contre le DPP mais aussi contre la magistrate qui avait libéré Bruneau Laurette. Il faut savoir que cette décision a été longuement explicitée par la magistrate Jade Ngan Chai King, ce qui aura convaincu le DPP de ne pas aller de l’avant avec un «bail review». La magistrate avait d’ailleurs imposé des conditions assez lourdes à Bruneau Laurette. Dix mois après, nombreux sont ceux qui pensent avec recul que la décision de libération de Laurette et celle du DPP de ne pas faire appel étaient justes car non seulement on n’a vu aucun développement dans l’enquête policière mais il n’y a pas eu de violation des conditions de sa libération par l’activiste.
En mars de cette année, le CP déposera tout de même un «bail review» en Cour suprême, contestant la décision du DPP de ne pas faire appel contre la décision de la magistrate Jade Ngan Chai King de libérer provisoirement Bruneau Laurette. Cette affaire est toujours au stade d’échanges d’affidavits et contre affidavits. Et le 17 juillet 2023, le CP dépose également une plainte constitutionnelle devant la Cour suprême – une première – contestant d’une façon générale les pouvoirs du DPP, qu’il accuse d’usurper les siens. En d’autres mots, le CP veut avoir le contrôle total sur un suspect jusqu’à ce qu’une charge formelle soit retenue contre ce dernier. Même si cela doit prendre des années.
Tout cela, le gouvernement et le CP le justifient par leur intention de combattre le trafic de drogue… Il est bon de noter qu’à ce jour, la police n’a pas encore bouclé son enquête sur aucun de ces high profile cases. Alors que le cas de Franklin, lui, condamné à La Réunion pour trafic de drogue, ne semble pas intéresser la police. Aucune enquête pour trafic de drogue n’a été initiée contre lui, sauf une accusation de blanchiment d’argent portée par l’Independent Commission Against Corruption.
La tension est montée d’un cran entre la police et le DPP lors de la demande de remise en liberté des frères Bissessur, Avinash et Akil, ainsi que la compagne de ce dernier, Doomila Moheeputh, en juin dernier, dans l’affaire de saisie d’un colis d’ecstasy effectuée par la même SST. En cour de Mahébourg, le surintendant Gungadin, le patron d’Ashik Jagai, avait parlé de volteface du DPP. Ce dernier n’avait pas objecté à la remise en liberté des trois «suspects». En septembre, encore une fois, le DPP décide de ne pas contester la libération de Vimen Sabapati, en se basant sur le ruling de tribunal et les conditions de remise en liberté. Ce qui visiblement n’a pas plu au CP, qui a alors entré une contestation de la libération de l’ancien entraîneur de Muay Thai. Pour rappel, ce dernier était connu comme étant proche de Navin Ramgoolam…
On se rappelle également comment le DPP était intervenu après l’arrestation de Mᵉ Rama Valayden par la SST le 12 mai dernier. À la suite de quoi, la magistrate Azna Bholah avait rayé l’accusation provisoire de «perverting the course of justice» qui pesait sur l’homme de loi, qui avait commenté le fonctionnement de la SST. Meᵉ Razia Jannoo-Jaunbocus, Senior Assistant au bureau du DPP avait, pour l’occasion, fait la leçon à la police : «The DPP strongly recommends the Commissioner of Police not to settle instantly into lodging provisional charges invariably in all cases, but rather seek prior legal advice from the DPP who is constitutionally mandated to decide in all criminal proceedings.»
Mais ce qui pourrait avoir mis davantage le CP hors de lui et ce qui explique cet acharnement serait sans nul doute la décision du DPP, Mᵉ Rashid Ahmine, de contester la grâce présidentielle accordée au fils Dip. Plus important, le DPP a aussi déposé de nouvelles charges formelles de fraudes contre ce dernier, en sus des accusations de blanchiment d’argent. Depuis, les relations entre le DPP et le CP sont tout sauf au beau fixe, semble-t-il. Cependant, le bureau du DPP continue sa collaboration avec la force policière comme avant, sauf qu’il n’y a pas de communications comme avec les CP précédents.
Face contre le système
La future FCC Act, on l’a compris, ôtera le DPP du chemin de la police et de la SST, en particulier. Et des ministres aussi. La clause 142 exclut la nécessité pour la FCC de référer tout dossier qui sera creusé ou pas au DPP, entre autres. La FCC sera appelée à remplacer le DPP pour les crimes financiers y compris ceux liés au trafic de drogue.
Mᵉ Rashid Ahmine : «C’est avec humilité que j’accepte ce titre...»
C’est un DPP discret et humble que nous avons rencontré mercredi et comme à son image, il n’a pas voulu faire une longue déclaration – loin de lui l’idée de jouer la star. «L’express a décidé dans sa sagesse de me décerner ce titre cette année et c’est avec humilité que je l’accepte. Mais je ne fais que mon travail en tant que DPP. Je n’ai pas fait un travail de plus ou de moins que mes prédécesseurs mais je le fais en me basant sur la Constitution avec détermination...»
Prosecutor Award of the Year
Le 21 décembre 2022, Mᵉ Satyajit Boolell cède sa place à la Garden Tower, laissant ainsi les rênes du bureau du DPP à Mᵉ Rashid Ahmine. Spécialisé dans les affaires financières et les fraudes, Me Ahmine a un parcours professionnel impressionnant, étant reconnu pour son implication dans des dossiers complexes.
Diplômé en droit de l’Université de Liverpool au Royaume-Uni en 1992, Mᵉ Rashid Ahmine a été admis au Barreau de Maurice en décembre 1994. Sa carrière au sein du bureau de l’Attorney General a débuté en février 1995 en tant que State Counsel. Au fil des années, il a gravi les échelons, occupant successivement les postes de Senior State Counsel, Principal State Counsel, et Assistant Parliamentary Counsel.
En 2004, grâce à une bourse d’études Chevening du gouvernement britannique, il décroche un Mastère en droit bancaire et financier du King’s College de Londres. Ses réalisations exceptionnelles dans la lutte contre le crime, tant sur le plan national qu’international, ont été honorées en 2012 par le Prosecutor Award of the Year décerné par l’International Association of Prosecutors. Cette reconnaissance souligne son engagement en faveur de la coopération internationale et des droits humains.
Depuis 2016, Mᵉ Rashid Ahmine occupait le poste de Deputy Director of Public Prosecutions, où il supervisait les dossiers relatifs à la lutte contre les délits financiers, notamment la fraude, le blanchiment d’argent, la corruption et la confiscation des avoirs. Il était également en charge de l’Asset Recovery Unit. Tout au long de sa carrière, Me Ahmine n’a cessé de souligner l’importance du rôle de la société civile dans la lutte contre la corruption. Rigoureux et doté d’une grande expertise dans les affaires de fraude et de corruption, il a été consultant pour l’ONUDC dans la mise en place d’un système de recouvrement des avoirs en Afrique australe, l’Asset Recovery Inter-Agency Network for West Africa. Parallèlement, il assure des cours à temps partiel et exerce en tant qu’examinateur en Criminal Procedure and Evidence à la faculté de droit de l’université de Maurice.
Mᵉ Rashid Ahmine a représenté la poursuite dans des cas complexes tels que l’affaire Boskalis, qui a conduit à la condamnation de Siddick Chady, et le procès opposant la NPF à la Mauritius Commercial Bank. À noter également son rôle de procureur contre Pravind Jugnauth dans l’affaire MedPoint. Il a également croisé le fer avec le Senior Counsel Mᵉ Gavin Glover lors du procès des coffres-forts de Navin Ramgoolam. Dans ses écrits, le Deputy DPP n’a eu de cesse de souligner l’impératif d’une enquête des «forces de l’ordre» dès qu’une suspicion de fraude et de corruption émerge, tout en insistant sur le rôle crucial de la société civile dans la lutte contre ces fléaux.
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