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Le gâteau et le glaive

1 avril 2025, 05:35

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On croit toujours, en politique, que les images parlent. Que les sourires pris dans le givre d’un instant photographique disent la vérité des relations entre hommes de pouvoir. On se persuade que la proximité d’un toast, le partage d’un gâteau, une main posée sur une épaule suffisent à sceller les retrouvailles ou à préfigurer des pactes. Et pourtant, à Maurice comme ailleurs, les anniversaires sont des fois des leurres, et le sucre dissimule souvent le poison.

Ceux qui suivent notre vie politique le savent : mars n’est pas seulement le mois des ides, mais aussi celui des bougies soufflées par les puissants. Chaque année, presque religieusement, s’enchaînent les célébrations. Paul Bérenger le 26, (feu) Sir Anerood Jugnauth le 29. À quelques jours près, ces géants du XXᵉ siècle mauricien partagent leur mois avec la trahison de César et la floraison des alliances contre-nature.

WhatsApp Image 2025-04-01 at 09.25.22.jpeg ■ Sir Anerood Jugnauth n’a jamais pu digérer le bout de gateau que Paul Bérenger lui avait rendrement glissé dans la bouche en mars 2014.

En mars 2014, à Flic-en-Flac, c’est un gâteau qui fit basculer l’Histoire. Deux hommes : SAJ, propriétaire alors du MSM, et Bérenger, leader éternam des mauves. Deux verres levés, deux discours tissés de respect mutuel, deux figures figées dans l’éclat d’un flash. Puis, le couteau invisible. Le soir même. Quelques mois plus tard, Paul allait officiellement quitter l’ombre orange pour se jeter dans les bras de son ancien rival Ramgoolam. Mais on n’oubliera pas cette photo : Paul Bérenger glissant un morceau de gâteau dans la bouche de SAJ, comme une eucharistie politique. Puis, le silence, la rupture. Et, en retour, la phrase cruelle de SAJ à l’Assemblée : «This time, I will bite any finger that tries to feed me a slice.»

Il faut dire qu’en ces choses-là, l’Histoire ne manque pas d’humour noir.

edit 1.jpg ■ Vendredi, à Flic en Flac toujours, Paul Bérenger a levé le coude avec celui qui lui a permis de retrouver le pouvoir après 15 ans dans l’opposition.

Le rituel du gâteau est devenu, à Maurice, le thermomètre de la température politique. Mais comme tous les thermomètres, il indique l’extérieur sans jamais percer l’intérieur. Derrière les sourires se cache le soupçon. Derrière les accolades, le calcul. Ces photos d’anniversaire, publiées dans les journaux, partagées sur les réseaux sociaux, ne sont pas des symboles de fidélité. Elles sont des armes de communication massive, des outils de désarmement temporaire. Elles disent au peuple : voyez comme nous sommes unis. Pendant ce temps, dans l’ombre, les trahisons se préparent.

Il ne faut pas s’y tromper : la politique est une guerre lente, où l’on peut trinquer un jour avec l’homme que l’on trahira demain. Ce n’est pas hypocrisie, mais stratégie. Une stratégie parfois désespérée. Celle de Bérenger, après la défaite de 2010, fut forgée dans le feu de l’humiliation. Abandonné par Ramgoolam, trahi par le MSM, le chef mauve regarda l’abîme. Il n’y vit qu’une seule issue : redevenir maître du jeu, quitte à sacrifier son amour-propre. À poser, main dans la main, avec ceux qui l’avaient giflé la veille. À manger le gâteau de la réconciliation en sachant qu’il en recracherait les miettes.

edit2.jpg ■ Hier, après s’être recueilli sur le samadhi de SAJ, dont c’était le 95ᵉ anniversaire de naissance, l’ex-PM a salué sa maman.

Et pourtant, les anniversaires continuent. En mars 2019, alors que SAJ célébrait ses 89 ans au Château Labourdonnais, Bérenger, malade, coupait discrètement son gâteau au Hennessy Park. Les alliances changent, mais les bougies demeurent. Elles sont comme les chandelles des vieilles chapelles : elles éclairent brièvement, elles brûlent vite, et elles se consument en silence.

Cette semaine encore, c’est Navin Ramgoolam qui trinque avec Bérenger à Flic-en-Flac pour les 80 ans de ce dernier. Quinze ans d’opposition derrière lui, un sourire devant les caméras, et des partages de gâteau comme pour effacer le passé. Mais le pays se souvient. Le pays a vu le tandem Ramgoolam-Bérenger voler en éclats en 2014. Le peuple n’a pas oublié les calculs, les renoncements, les volte-face. À défaut d’être naïfs, les citoyens sont fatigués. Fatigués de voir les mêmes scènes se rejouer à chaque cycle électoral, avec pour seul changement la couleur du glaçage.

À Maurice, un gâteau n’est jamais qu’un symbole fragile. Il peut être l’annonce d’une alliance comme il peut en être l’acte d’adieu. Il peut masquer la blessure, ou l’accompagner. On célèbre, on trinque, on rit. Mais la politique, elle, poursuit son cours – impitoyable, froide, immobile. C’est pourquoi il ne faut jamais lire les relations entre leaders à travers les photos d’anniversaire. Ce ne sont pas des instantanés d’amitié, mais des parenthèses dans la guerre.

François Mauriac écrivait : «Ce qu’on appelle l’amitié n’est qu’un pacte pour se défendre contre les trahisons.» En politique mauricienne, ce pacte est scellé chaque mois de mars. Mais il ne résiste pas toujours à l’été électoral. Quand les bougies sont soufflées, que les invités s’éclipsent, que les promesses se dissipent dans le bruit des couverts, reste le silence. Et dans ce silence, la vérité.

Les bougies de la République

Il est des anniversaires qui ne célèbrent plus la vie, mais le pouvoir. À mesure que l’homme politique avance en âge, la fête se dédouble : d’un côté, l’intime, quelques proches, une famille élaguée par le temps ; de l’autre, la mise en scène publique, savamment orchestrée pour rappeler que le corps du chef est encore là, debout, souriant, entouré.

On prétend fêter un homme, mais c’est un message qu’on adresse au pays. Une photo partagée, un toast levé, un discours improvisé : autant de signes pour dire «je suis encore au centre», pour jauger les fidélités, pour tester les silences. Dans les démocraties comme dans les régimes plus autoritaires, l’anniversaire devient un rituel d’allégeance. Ceux qui sont présents confirment leur loyauté ; ceux qui s’éclipsent s’exposent.

En Russie, il sacralise ; en Inde, il mobilise ; aux États-Unis, il finance ; en Afrique, il hiérarchise. Partout, il révèle. Car l’anniversaire du chef d’État, ou de celui qui aspire à l’être, n’est jamais neutre. Il se joue au confluent du symbole et de la stratégie, du souvenir et de l’avenir.

Mais le plus troublant, c’est qu’au fond de ces célébrations, il n’est plus question d’années écoulées, mais de pouvoir conservé. Les bougies deviennent des signaux allumés à l’attention de ceux qui comptent, et la chaleur des applaudissements dissimule souvent le froid des calculs.

Ce n’est pas le gâteau qu’on partage, c’est l’influence qu’on pèse. Et parfois, dans ces moments suspendus entre vie et théâtre, on fête moins la naissance d’un homme que la survie d’un règne...

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