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Chute d’un conglomérat
Le groupe BAI sous observation avant son démantèlement
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Chute d’un conglomérat
Le groupe BAI sous observation avant son démantèlement

Neuf ans après l’éclatement du groupe BAI, les plaies restent vives. La crise a éclaté brutalement en avril 2015, avec la révocation à minuit de la licence de la Bramer Bank. Aujourd’hui, l’ex-ministre des Finances Vishnu Lutchmeenaraidoo, revient sur cette crise. Lors d’une conférence de presse tenue vendredi dernier, il a évoqué la situation «explosive» d’alors, assurant que le pays avait frôlé l’implosion sociale et que «pour éviter l’émeute, les clients avaient dû être indemnisés à coups de milliards issus des fonds publics».
Le démantèlement du groupe British American Investment (BAI) avait défrayé la chronique en 2015, quelques mois à peine après l’arrivée au pouvoir du gouvernement MSM/PMSD/ML. Pourtant, les premiers signaux d’alerte avaient été lancés bien avant, notamment lors d’une Private Notice Question adressée le 21 novembre 2013 au ministre des Finances, Xavier-Luc Duval, par le leader de l’opposition de l’époque, Paul Bérenger. Ce dernier faisait référence à une préoccupation répétée du Fonds monétaire international (FMI) concernant une compagnie d’assurance faisant partie d’un conglomérat, dont une part substantielle des actifs était investie dans des entreprises liées. Dans sa réponse, Xavier-Luc Duval avait alors cité un rapport technique d’avril 2012, qui soulignait que «le groupe ne posait peut-être pas de menace systémique, mais que la question devait néanmoins être traitée».
Il avait ajouté que la Financial Services Commission (FSC) avait mené plusieurs réunions avec le conglomérat en question afin de trouver une solution. «Il faut noter que la mission du FMI considérait que les efforts actuels, renforcés par une meilleure coopération, devaient être laissés mûrir», avait-il déclaré. Mais Paul Bérenger avait alors brandi le paragraphe 28 du Financial Sector Report de mai 2012, qui soulignait noir sur blanc que la problématique existait déjà depuis 2007 et qu’elle n’avait toujours pas été résolue. Sa question à l’époque était simple : pourquoi rien n’avait été fait malgré les alertes répétées du FMI ?
Xavier-Luc Duval avait reconnu que «plusieurs remarques avaient été faites par le FMI, particulièrement sur ce conglomérat qui tardait à se conformer aux exigences», tout en insistant sur le fait qu’une solution drastique aurait été contre-productive. «Ce qu’il faut, c’est laisser le temps aux efforts en cours de porter leurs fruits. Toute décision précipitée aurait eu l’effet inverse.» Le terme «Ponzi Scheme» avait même été évoqué lors de cette PNQ, sans que la compagnie ne soit nommément accusée. Paul Bérenger faisait alors un parallèle avec l’effondrement du système financier dans les Caraïbes, qui s’était basé sur une structure d’assurance bâtie sur un gigantesque Ponzi Scheme. C’est pourquoi il considérait urgent de régler la situation locale, compte tenu de la concentration d’investissements au sein du conglomérat.
Deux ans plus tard, dans un entretien accordé à Weekly en 2015, Paul Bérenger critiquait la manière dont le gouvernement d’alors avait géré la crise, en déclarant : «Ils ont mal commencé en demandant à la Banque de Maurice de révoquer à minuit la licence de la Bramer Bank, sans révoquer celle de BAI Insu- rance. C’était une erreur majeure.»
Lors d’une conférence de presse vendredi après-midi à l’hôtel Voilà à Bagatelle, l’ancien ministre des Finances sous ce même gouvernement, Vishnu Lutchmeenaraidoo, est revenu sur les événements. Il a soutenu que la Banque de Maurice avait révoqué le permis d’opération de Bramer Bank car «la situation était trop grave» et que «les gens ne savent pas tout». Selon lui, «nous avons vécu la plus grave crise sociale que Maurice ait connue depuis l’indépendance».
La révocation de la licence de Bramer Bank avait entraîné l’arrêt complet des opérations de la banque, mettant en péril les avoirs de 60 000 clients. Dans l’ensemble du groupe BAI, 138 500 personnes détenaient une police d’assurance, et 15 000 avaient investi dans le produit Super Cash Back Gold (SCBG), soit un total de 220 000 individus concernés. Pour Lutchmeenaraidoo, «nous étions face à une situation explosive. Il n’y a pas d’autre mot.»
Il insiste sur le fait qu’il ne s’agissait pas d’une décision politique : «Nou inn bizin pran bann desizion ki zame inn pran dan Moris.» Selon lui, si aucune mesure n’avait été prise, «une révolution» aurait pu éclater dès le lundi suivant. Grâce à la garantie de l’État, dit-il, les gens sont restés calmes, alors que la compagnie «était au bord de la banqueroute».Pour préserver la paix sociale, ajoute-t-il, l’argent public avait été mobilisé pour indemniser les clients. «La situation était tellement grave. Même si sir Anerood Jugnauth et moi avions raison, aurait on pu dire à ces gens d’oublier ?» L’ancien Grand argentier affirme que les remboursements effectués aux clients du SCBG - à hauteur de Rs 19,2 milliards – ont été financés par l’argent du contribuable.
Le groupe BAI comptait plus de 50 filiales dans les services financiers, le commerce, l’immobilier, l’hôtellerie, la santé, les loisirs et le transport. Outre Maurice, il était également présent à Madagascar, en Afrique du Sud, au Kenya, à Dubaï, en France et à Malte. Une emprise qui illustre l’ampleur de l’empire bâti au fil des décennies et la complexité de son démantèlement. Un empire aux ramifications internationales, démantelé dans l’urgence, pour éviter l’irréparable.
Contactée pour répondre aux déclarations de Vishnu Lutchmeenaraidoo, Laina Rawat, fille de Dawood Rawat, l’ancien président du défunt groupe BAI, a précisé que ce sera son père, une fois prêt, qui répondra à tout ce qui a été dit après avoir consulté ses avocats. Elle explique qu’elle ne s’occupe que de l’aspect juridique et qu’elle préfère ne pas prendre la parole en public, car l’affaire devient encore plus malsaine lorsque les politiciens s’enmêlent.
Vishnu Lutchmeenaraidoo: «Nous entrons dans une crise économique »
Par ailleurs, malgré les efforts de l’ancien Premier ministre Navin Ramgoolam et de son adjoint Paul Bérenger pour stabiliser l’économie à l’époque, Vishnu Lutchmeenaraidoo estime qu’aujourd’hui «nous entrons dans une crise économique». Il affirme que plusieurs indicateurs financiers et économiques vont dans ce sens, et appelle à des mesures urgentes. Ce qu’il déplore surtout, c’est la perte de crédibilité du pays aux yeux des institutions internationales : «Le FMI traite aujourd’hui Maurice comme un pays «pas sérieux» à cause de chiffres faussés. Et pourtant, dans les années 80, Maurice avait su bâtir une économie solide.»
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