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Procédure judiciaire

Le juge Ohsan-Bellepeau nommé inspecteur spécial pour enquêter sur AFRINIC

30 juillet 2025, 05:00

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Le juge Ohsan-Bellepeau nommé inspecteur spécial pour enquêter sur AFRINIC

Dans un geste rare, le gouvernement a obtenu vendredi dernier la désignation directe de Nicolas Ohsan-Bellepeau, Puisne Judge à la Cour suprême, comme inspecteur spécial chargé d’enquêter sur la gestion d’AFRINIC Ltd (en redressement judiciaire), le registre régional des adresses Internet pour l’Afrique, dont le siège est basé à Ebène.

Par un décret présidentiel daté du 25 juillet 2025 et publié dans la Government Gazette, le président de la République, Dharambeer Gokhool, a agi sur avis du cabinet ministériel pour autoriser cette nomination exceptionnelle. Cette décision intervient alors que l’inaction prolongée d’AFRINIC depuis novembre 2024, sous la houlette de ses administrateurs judiciaires successifs, a bloqué l’allocation de nouvelles adresses IP sur l’ensemble du continent africain, fragilisant l’écosystème numérique régional et ternissant l’image de Maurice comme plateforme technologique crédible.

La manœuvre gouvernementale a pris de court le pouvoir judiciaire. Il est en effet inhabituel qu’un juge en fonction soit déchargé de ses dossiers contre l’avis de la cheffe juge – autorité hiérarchique directe. Cette démarche traduit, selon des sources proches de l’exécutif, «un besoin d’aller vite» par rapport à certains jugements rendus dans cette affaire, ainsi que la volonté de l’État de reprendre la main sur un dossier devenu hautement sensible diplomatiquement, juridiquement et technologiquement.

Selon le décret, la nomination du juge Ohsan-Bellepeau se fonde sur l’article 7(3) du Courts Act, qui interdit à un juge d’occuper toute autre fonction sans l’aval du président agissant sur conseil du cabinet. Il est expressément libéré de ses charges judiciaires jusqu’au 30 septembre 2025 pour se consacrer exclusivement à cette mission.

Objectifs de l’enquête

L’enquête confiée au juge couvre un spectre large et complexe. Elle devra déterminer si les procédures judiciaires ayant mené à la mise sous redressement judiciaire d’AFRINIC étaient régulières ou entachées d’abus. Sont également visées la validité de la nomination des administrateurs judiciaires – dont celle controversée de Me Gowtamsingh Dabee – ainsi que leur gestion, notamment l’échec répété d’organiser des élections pour rétablir un conseil d’administration conforme aux statuts de l’organisation.

La proclamation présidentielle énumère neuf axes d’investigation majeurs, parmi lesquels :

• La légitimité de la Cloud Innovation Ltd, entreprise membre d’AFRINIC, à avoir initié la procédure judiciaire de redressement ;

• Les intentions réelles derrière sa tentative de se transformer en «membre enregistré» ;

• La légalité de sa demande de liquidation judiciaire de l’organisation ; et surtout ; les soupçons d’infractions pénales liées à de fausses déclarations et falsifications de documents (articles 332(1) et 334 de la Companies Act), visant à la fois Cloud Innovation, ses dirigeants et les administrateurs judiciaires.

Le juge Ohsan-Bellepeau devra également évaluer si des actions concertées ont été entreprises par certains acteurs pour paralyser intentionnellement AFRINIC, menaçant du même coup la souveraineté numérique du continent africain.

Créée pour garantir un accès équitable aux ressources Internet en Afrique, AFRINIC est une institution clé du système technique mondial de l’Internet. Son siège avait été confié à Maurice à la faveur de la stabilité de ses institutions, de sa démocratie et de son état de droit. Mais la multiplication des litiges – plus de 100 procédures selon certaines sources – et les dysfonctionnements internes ont mis à mal cette confiance.

Parmi les protagonistes les plus actifs dans cette crise figure Cloud Innovation Ltd, une société de gestion d’adresses IP liée à des intérêts chinois et dirigée par Lu Heng, citoyen mondial et défenseur proclamé d’un Internet libre. L’entreprise a engagé une bataille judiciaire sans précédent contre AFRINIC, contestant sa gouvernance et ses procédures internes, tout en réfutant les accusations de tentative de prise de contrôle ou de manipulation des élections.

La décision de l’exécutif mauricien est accueillie favorablement par une grande partie de la communauté technique africaine, lassée par l’instabilité chronique qui frappe le registre depuis plusieurs années. Elle intervient dans un contexte où l’État mauricien a récemment désigné AFRINIC comme «declared company», un statut d’exception prévu dans la Companies Act pour les entités en crise grave, ouvrant la voie à des pouvoirs d’enquête renforcés et à des sanctions potentielles.

En toile de fond, se joue également une bataille pour la souveraineté numérique du continent. Le sort d’AFRINIC, au-delà des querelles juridiques, devient le révélateur de tensions plus profondes entre gouvernance technique, enjeux géopolitiques et régulation du cyberespace africain.

Le rapport du juge Ohsan-Bellepeau, attendu d’ici fin septembre, pourrait ainsi redéfinir le futur d’AFRINIC, mais aussi le rôle de Maurice dans la gouvernance mondiale de l’Internet.

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