Publicité

Agriculture

Le ministère recrute un directeur indien

14 novembre 2023, 18:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Le ministère recrute un directeur indien

Un appel à candidatures vient d’être lancé pour un nouveau poste de directeur de l’Agriculture destiné aux Indiens seulement. Excluant ainsi les Mauriciens. Mais aussi d’autres nationalités.

Drôle de recrutement par un ministère ! L’annonce est parue le 27 octobre 2023 sur le site du haut-commissariat indien (voir ci-contre) et qui spécifie que le candidat doit être d’Inde. La question qui se pose : s’il n’y a pas un tel professionnel à Maurice, pourquoi l’appel à candidatures est-il restreint à la Grande péninsule et non ouvert à l’international ? Pourtant, le profil recherché ne semble, a priori, pas impossible à trouver localement : il faut détenir un Master en agriculture ou dans un domaine connexe, et posséder «5 years post-graduate experience at senior management level in the field of Agriculture»

Nous avons demandé au ministère s’il n’existe pas de tels profils ou leurs équivalents en interne au ministère ou sinon, à Maurice. Nous attendons la réponse depuis le 3 novembre. Selon Statistics Mauritius, rien que pour 2022, il y a eu 282 étudiants admis à l’université de Maurice et 41 dans des universités étrangères dans le domaine de l’agriculture… Il nous a été impossible d’obtenir le nombre de Mauriciens détenant un Master dans ce domaine d’une université locale ou étrangère.

Le fait de lancer cet appel à candidatures en direction de l’Inde exclut d’emblée les Mauriciens, dont les fonctionnaires du ministère de l’Agro-industrie. Y a-t-il une raison à cela, autre que celle liée aux compétences recherchées ? Veut-on exclure un ou plusieurs Mauriciens ? «C’est de la discrimination envers les Mauriciens», s’exclame un ancien haut cadre du ministère de l’Agro-industrie. Ou alors veut-on privilégier un Indien en particulier ?

Ce qui interpelle encore plus, c’est que l’oiseau présumé rare n’aura à rendre de comptes qu’au Senior Chief Executive (SCE) du ministère, c’est-àdire au fonctionnaire le plus haut placé. Donc, l’Indien sera au-dessus de tous les autres fonctionnaires et hauts fonctionnaires du ministère en question. Et à voir les fonctions auxquelles l’éventuel directeur de l’Agriculture sera assujetti, on peut dire qu’il fera «zis tou» (voir document). Son traitement ? Un salaire mensuel de Rs 119 500, plus limousine avec chauffeur et carburant, et allocation de Rs 8 000 à Rs 12 000 par mois pour le logement, entre autres gâteries. india.png

À voir la fiche de profil, il semble que les énormes responsabilités qui incomberont à ce nouveau directeur de l’agriculture feront de lui un homme très puissant. Cela, alors qu’il n’est pas fonctionnaire. «Qui prendra les responsabilités de ses décisions ?» se demande-t-on. «Si c’était pour employer un conseiller sous contrat, cela pourrait se comprendre, à condition que l’étranger possède des compétences introuvables localement, mais pas comme directeur de l’Agriculture.» Notre interlocuteur se pose aussi des questions sur les cinq années d’expérience requises. «Cela ressemble bien à des critères taillés sur mesure…»

Il faut savoir que le directeur de l’Agriculture sera aussi appelé à siéger sur plusieurs comités au ministère de l’Agro-industrie et probablement ailleurs. *«Au-delà des jetons de présence dont il bénéficiera en sus de ses rémunérations comme directeur de l’Agriculture, il prendra connaissance d’informations sensibles», s’inquiète notre interlocuteur. «En tout cas, il remplacera probablement un autre haut fonctionnaire de l’agro au sein de ces boards.»

Normalement, ce genre de poste est rempli à travers la Public Service Commission (PSC). Cependant, l’annonce n’y figure pas. Contacté, un haut cadre de l’institution nous informe que l’annonce a bien été faite par la PSC mais qu’il n’y a pas eu de candidat avec le profil recherché. Nous lui avons fait remarquer qu’aucune telle annonce n’apparaît sur le site de la PSC depuis janvier 2023. Sa réponse : «Ah bon ? Laissez-moi revérifier et je reviendrai vers vous.» Il n’est jamais revenu vers nous.

En revanche, l’annonce est bien postée sur le site du haut-commissariat de Maurice en Inde. Nous apprenons que le ministre et la SCE se trouvaient justement en Inde il y a quelques jours.

Soupir de l’ex-haut cadre du ministère de l’Agroindustrie : «Après la National Coast Guard, la sécurité nationale et d’autres institutions, verrons-nous ce ministère clé de notre économie passer sous le contrôle de l’Inde ?»

Un ancien haut fonctionnaire dénonce

Un ancien secrétaire permanent à l’Agriculture n’est pas d’accord que l’on recrute un étranger au poste de directeur de l’Agriculture. «Un contractuel ne va penser qu’au court terme alors que la politique agricole se décide sur le long terme. L’étranger se contentera de profiter au maximum de ses facilités et disparaîtra ensuite.» Pour notre interlocuteur, l’avenir de ce secteur, y compris de la tant prônée mais jamais mise en pratique sécurité alimentaire, dépend de la politique gouvernementale et «ce n’est pas un étranger qui redonnera l’impulsion nécessaire à notre agriculture. En allant chercher un étranger, on veut faire croire que la politique agricole n’a pas été menée à bien par les fonctionnaires».

Notre interlocuteur nous rappelle que la superficie agricole a rétréci comme peau de chagrin, de 75 000 à 40 000 hectares aujourd’hui. «Qui approuve les conversions ? Qui donne les permis aux promoteurs immobiliers et spéculateurs fonciers ? Cela a commencé au début des années 2000. Les terres fertiles ont été bétonnées et asphaltées. Les terres pour lesquelles on a dépensé des fortunes pour les rendre cultivables ont été couvertes de villas avec grandes cours pour les riches.» Et de nous parler de pressions subies par les fonctionnaires pour approuver les conversions.