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Agriculture
Le paradoxe de la production locale
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Agriculture
Le paradoxe de la production locale

La production alimentaire ne doit pas se limiter aux légumes classiques comme la laitue, la calebasse, le giraumon ou la pomme d’amour.
À l’approche des fêtes religieuses comme le Thaipoosam Cavedee et Maha Shivaratri, la consommation de fruits et légumes s’intensifie, particulièrement parmi les dévots. Cependant, les prix de ces produits continuent de grimper, malgré l’appel à une production locale renforcée. La situation est d’autant plus préoccupante en raison de la sécheresse qui touche les cultures.
Rita, une habitante de Rose-Hill, déplore la hausse des prix, notamment celui de la banane, qui varie entre Rs 10 et Rs 12. «C’est un fruit cultivé localement, facilement planté dans les jardins et qui peut être récolté toute l’année. Mais il est vendu à des prix bien trop élevés», expliquet-elle. De plus, elle soulève une autre inquiétude : «Une boîte de chips de banane coûte plus de Rs 75, mais la quantité dans le paquet est minime. C’est difficile à comprendre, surtout quand on connaît la production locale.»
Fadil, habitant de Port-Louis, partage cette frustration, notamment en ce qui concerne la papaye. «Ce fruit est cultivé partout sur l’île, pourquoi payer Rs 50 ou plus pour en acheter ?», se demande-t-il. Il souligne l’importance de l’autosuffisance alimentaire pour réduire la pression sur les prix. Le cas du litchi est également frappant. En décembre dernier, le prix de ce fruit a franchi les Rs 300 le kilogramme, bien que sa production soit locale. En période de récolte, son prix élevé est difficile à justifier, même si la demande reste forte.
Malgré les efforts pour promouvoir l’autosuffisance, la production locale peine à répondre aux besoins de la population, ce qui explique en partie l’augmentation des prix. Les coûts liés à la production, au transport et à la distribution restent élevés, mais ces facteurs ne suffisent pas à expliquer des hausses de prix aussi marquées.
Sécurité alimentaire
Cependant, la situation de la sécurité alimentaire à Maurice fait face à de nombreux défis plus larges, qui vont au-delà des seules fluctuations des prix. La dépendance excessive des importations, la dégradation des sols et l’utilisation intensive de produits chimiques nuisent à la durabilité des pratiques agricoles locales. Ces problèmes, exacerbés par les effets du changement climatique, mettent en péril la capacité du pays à garantir une alimentation de qualité et accessible à sa population.
Le déficit commercial d’un pays se creuse lorsque les importations dépassent les exportations. Avec 83 % des denrées alimentaires importées, la sécurité alimentaire joue donc un rôle clé dans la réduction de ce déséquilibre économique. À travers cette dépendance, Maurice reste vulnérable aux crises géopolitiques et aux fluctuations des prix internationaux. En parallèle, le secteur agricole souffre du vieillissement de la main-d’œuvre et d’un manque d’incitations pour les jeunes, faute de politiques adaptées.
En augmentant la production locale de fruits, légumes, céréales et protéines animales, Maurice pourrait réduire sa dépendance des produits importés. La sécurité alimentaire ne se limite pas seulement à la production et à l’approvisionnement en denrées. Elle englobe aussi la préservation de l’environnement, la gestion durable de l’eau et la protection de la santé publique. L’agriculture actuelle, fortement dépendante des produits chimiques, accélère la dégradation des sols et la pollution des ressources en eau, menaçant ainsi la biodiversité et la santé des consommateurs.
Il est urgent, selon Olivier Fanfan, agro-entrepreneur, de recentrer les priorités sur la sécurité alimentaire. Maurice dispose de ressources naturelles importantes, tant sur terre que dans le lagon, qui doivent être mieux exploitées. Actuellement, les subventions sur les intrants chimiques sont maintenues d’année en année, sans véritable politique incitative pour accompagner les agriculteurs dans une transition vers l’agriculture biologique. Cette situation perpétue un système inefficace reposant sur la monoculture, notamment celle de la canne à sucre. L’augmentation des maladies non transmissibles au sein de la population est également un problème croissant.
Pour l’expert en agroécologie, il est essentiel d’adopter une approche holistique pour garantir une sécurité alimentaire durable. Cela inclut la régénération des sols, la gestion efficiente des ressources hydriques et la transition vers des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement et de la santé. Il propose des actions concrètes pour y parvenir.
S’inspirer de modèles réussis, comme celui des Seychelles, est une piste à explorer. Un plan d’action détaillé en faveur de l’agroforesterie à l’échelle nationale pourrait révolutionner la production agricole mauricienne. Les arbres jouent un rôle crucial en retenant l’eau, en stabilisant le sol et en attirant l’humidité. Actuellement, la déforestation accélère l’érosion et nuit à la captation de l’eau, tandis que les sols appauvris rendent les cultures plus dépendantes des intrants chimiques.
Diversifier la production pour une meilleure autonomie alimentaire
La production alimentaire ne doit pas se limiter aux légumes classiques comme la laitue, la calebasse, le giraumon ou la pomme d’amour. Il faut encourager la culture du fruit à pain, des légumineuses et d’autres aliments riches en vitamines et glucides, qui sont actuellement importés en grande partie. Maurice possède une biodiversité endémique qui pourrait être mieux exploitée pour garantir une production plus résiliente face aux aléas climatiques.
Par ailleurs, la polyculture permettrait une diversification des cultures sur un même terrain, assurant ainsi une production régulière et abondante tout en limitant les pertes dues aux maladies ou aux infestations. Chaque plante joue un rôle dans l’écosystème et favorise un cycle naturel bénéfique à la fertilité des sols.
Les plantes endémiques ont leur place dans notre écosystème, non seulement pour préserver la biodiversité, mais aussi pour leur rôle essentiel dans le sol et l’atmosphère. Elles contribuent à l’équilibre naturel en interagissant avec les insectes, notamment ceux qui s’attaquent aux cultures, aidant ainsi à réguler leur population de manière écologique.
Mieux gérer les déchets organiques
Un autre enjeu majeur est la gestion des déchets organiques. Actuellement, 60 % des déchets produits à Maurice sont organiques et finissent à Mare-Chicose, où ils génèrent des gaz à effet de serre plutôt que d’être valorisés pour enrichir les sols. Une meilleure politique de compostage et de recyclage de la biomasse permettrait de recréer des sols fertiles en seulement deux ans, au lieu de plusieurs décennies.
Proposer des mesures incitatives pour accompagner les agriculteurs
• La transition vers une agriculture durable nécessite des mesures concrètes, notamment :
• Un redéploiement des subventions, en les dirigeant vers des solutions biologiques plutôt que vers les produits chimiques.
• Un accompagnement technique et pédagogique des agriculteurs par des experts en agroécologie.
• Une réglementation stricte sur la déforestation et un programme national de reforestation.
Encourager l’élevage en synergie avec l’agriculture
L’élevage peut jouer un rôle stratégique dans une agriculture durable. Sur une exploitation diversifiée, des animaux comme les vaches, les chèvres et les poules peuvent être utilisés pour entretenir les terres et contrôler certaines espèces nuisibles, tout en fertilisant naturellement le sol avec leurs déjections.
Transformation et modernisation du stockage
Kreepalloo Sunghoon, vétéran du secteur agricole et président de la Small Planters Association, propose d’autres mesures concrètes pour améliorer la sécurité alimentaire telles que la transformation des produits agricoles et l’expansion et la modernisation du stockage. «Les infrastructures de stockage actuelles sont obsolètes. Il est essentiel de mettre en place de nouveaux entrepôts équipés de technologies modernes afin de conserver les récoltes plus longtemps et garantir une consommation sûre.» Il est également crucial, soulignet-il, d’organiser la production en fonction des saisons. Par exemple, entre mai et août, la production agricole est abondante. «Durant cette période, les excédents peuvent être semi-transformés ou transformés. Des solutions comme la surgélation de la carotte, la production de purée de tomate ou encore la déshydratation du gingembre permettraient de valoriser ces surplus tout en assurant un approvisionnement à prix abordable et en réduisant les importations. Les supermarchés sont remplis de légumes transformés importés.» Le pays pourrait non seulement subvenir à ses besoins à travers ces transformations, mais aussi exporter ses excédents vers des marchés régionaux et internationaux, générant des revenus en devises tout en améliorant la balance commerciale. De plus, une production agricole plus dynamique entraînerait la création d’emplois et le développement d’industries connexes.
Former et encourager la relève
Avec une main-d’œuvre agricole vieillissante, il est crucial d’encourager les jeunes à se lancer dans l’agriculture et la transformation alimentaire en leur offrant des formations et en veillant au respect des normes sanitaires. De nombreuses possibilités existent : purée de tomate, purée de pomme de terre, poudre de pomme de terre et même des produits à base de fruit à pain, ce dernier pouvant aussi être valorisé sous forme de farine ou d’autres produits.
Pour encourager les agriculteurs, il est impératif de leur garantir un débouché pour leurs récoltes. Une structure d’achat organisée pourrait assurer la transformation et la commercialisation des produits locaux. «Pour attirer les jeunes vers l’agriculture, il est nécessaire de leur offrir une vision économique stable et rentable. Aujourd’hui, il n’existe aucune garantie pour eux, ce qui freine la relève. Plus de 60 % des agriculteurs ont plus de 50 ans et les méthodes traditionnelles ne séduisent pas les jeunes, qui voient davantage d’opportunités ailleurs. Il est donc essentiel de mettre en place un système d’assurance pour les planteurs, leur permettant d’être indemnisés en cas de maladies ou de pertes de récoltes.» L’accès à la terre est également un enjeu majeur pour faciliter l’exploitation des terrains disponibles et permettre aux agriculteurs d’accéder plus facilement aux terres cultivables.
Stratégie et suivi à long terme
«Une réelle volonté politique est indispensable pour élaborer une stratégie agricole nationale efficace. Il ne suffit pas de parler de sécurité alimentaire, il faut des actions concrètes avec un suivi rigoureux des initiatives mises en place. Il est nécessaire d’évaluer ce qui fonctionne et d’ajuster en conséquence.»
Adaptation au climat
Concernant la diversification des cultures, certaines productions comme le riz sont difficiles à développer à Maurice en raison du manque d’eau. Toutefois, il est envisageable de commencer peut-être par des légumineuses avec les grandes entreprises déjà équipées en main-d’œuvre et en mécanisation, pour ensuite étendre la production progressivement. La culture des grains secs, bien qu’elle nécessite de grandes superficies de terres, pourrait être une alternative intéressante. Une solution pourrait être d’explorer des partenariats transfrontaliers pour pallier cette contrainte.
L’importance de la mer
La mer joue un rôle essentiel dans la sécurité alimentaire de Maurice. Il est donc crucial de relancer le Fishermen Trust Fund afin d’assurer une formation rigoureuse aux pêcheurs et de lutter efficacement contre la pêche illégale, préservant ainsi l’environnement marin et favorisant la pêche locale. Pour optimiser la filière, selon Judex Rampaul du syndicat des pêcheurs, il est nécessaire de disposer de plusieurs bateaux dédiés à la pêche en haute mer. L’objectif est d’approvisionner le marché en produits de la mer tout en garantissant des normes strictes d’hygiène. Par ailleurs, la transformation des produits marins doit être encouragée afin de réduire la dépendance aux crevettes et aux pieuvres surgelées importées. Le développement de produits locaux, comme le poisson salé, permettrait également de diversifier l’offre et de mieux valoriser les ressources maritimes.
Enfin, pour assurer la relève dans ce secteur, il est essentiel d’offrir aux pêcheurs des facilités et une couverture sociale adaptée. Cela encouragerait de nouveaux travailleurs à rejoindre la profession et garantirait un avenir durable à la pêche mauricienne.
En somme, la sécurité alimentaire permet de réduire les importations, d’augmenter les exportations, de stimuler l’industrie locale et d’assurer une meilleure résilience économique, contribuant ainsi à diminuer le déficit commercial et à renforcer l’indépendance du pays. Une plus grande autonomie alimentaire protégerait l’économie des chocs extérieurs.
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Production annuelle
Entre 2019 et 2023, la production de légumes et de fruits à Maurice a évolué de manière régulière, selon les données fournies par le Food and Agricultural Research and Extension Institute (FAREI) et Statistics Mauritius. Par ailleurs, la production totale des légumes et fruits a progressé chaque année. En 2019, elle a atteint 93 741 tonnes, avant d’augmenter à 95 029 tonnes en 2020. En 2021, la production s’est élevée à 108 012 tonnes, puis à 117 115 tonnes en 2022. En 2023, la production a atteint 155 219 tonnes.
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Détail des produits
La production de légumes et fruits à Maurice couvre un large éventail de produits. Parmi les principaux, on trouve :
Haricots, betterave, courge amère (bittergourd), aubergine, brocoli, chou, calebasse, carotte, chou-fleur, piment, chouchou, concombre, échalote, eddoes (violets et curry), ail, gingembre, courgette, légumes verts (Greens), pois verts, arachide, poireau, lady finger (lalo), laitue, maïs, manioc, oignon, patole, petsai, pipengaille, pomme de terre, giraumon, riz (Paddy), squash (pâtisson), poivron, patate douce, tomate, banane, ananas.
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Production par district
La répartition de la production de légumes et fruits varie d’un district à l’autre. Voici les quantités produites par district entre 2019 et 2023 :
Black River : 5 465 tonnes
Flacq : 26 880 tonnes
Grand Port : 12 206 tonnes
Moka : 29 166 tonnes
Pamplemousses : 29 603 tonnes
Plaines Wilhems : 18 796 tonnes
Rivière du Rempart : 18 484 tonnes
Savanne : 14 618 tonnes
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