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Le rendez-vous manqué de Midrand

29 juillet 2025, 06:15

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En début d’année, Navin Ramgoolam avait tout misé sur le symbole. En choisissant l’Union africaine comme premier déplacement officiel à son retour au pouvoir, le Premier ministre voulait envoyer un message fort : Maurice revient en Afrique, par la grande porte, après des années d’errance diplomatique. Mais à force de faire de la politique une affaire de communication, on en oublie l’essentiel : le respect des règles. Et c’est précisément ce qui a été piétiné à Midrand, à mi-chemin entre Johannesburg et Pretoria, dans la province du Gauteng, où notre délégation parlementaire a été recalée pour non-respect du protocole panafricain.

La faute ? L’absence de diversité politique dans une délégation censée refléter les équilibres du Parlement mauricien, certes fortement déséquilibré par le troisième 60-0 de notre histoire. Aucun membre de l’opposition. Une seule femme sur cinq. Une erreur de débutant, qui a tourné à la crise diplomatique. Résultat : rappel précipité des membres de la délégation, lettre de protestation envoyée à Addis-Abeba, accusations d’«antipatriotisme» lancées contre l’opposition, menace de suspension de notre participation au Parlement panafricain. Bref, un fiasco, sur lequel on aurait pu faire l’impasse !

Mais voilà que ce pataquès diplomatique en rappelle un autre, survenu il y a plus de 30 ans, et que Jérôme Boulle, ancien Deputy Speaker de l’Assemblée nationale, a eu la décence et la sagesse de rappeler dans une lettre adressée à notre journal (voir page 5). En 1992, alors que le Parti travailliste (PTr) venait de subir une cuisante défaite (57-3) face à l’alliance MSM-MMM, ses dirigeants s’étaient lancés dans une campagne internationale dénonçant des élections «marday». Lors d’un séminaire à Londres de la Commonwealth Parliamentary Association, des membres du PTr, dont feu Joseph Tsang Mang Kin et feu Siddick Chady, auraient fait du lobbying dans les couloirs du Palais de Westminster pour obtenir l’exclusion de la délégation mauricienne…

Le jeune député néozélandais Winston Peters avait même demandé publiquement l’expulsion des représentants mauriciens, sur la base de ces accusations relayées par l’opposition travailliste d’alors. Ce n’est que grâce à l’intervention habile de feu Rivaltz Quenette que l’humiliation fut évitée. Il avait su convaincre les organisateurs que Maurice ne méritait pas d’être exclue sur la base d’allégations partisanes. Ironie de l’Histoire : ceux-là mêmes qui dénoncent aujourd’hui des «démarches honteuses» auprès d’instances étrangères oublient qu’ils furent, jadis, les premiers à y recourir.

À nos yeux de patriotes, ce rappel historique sert à rétablir une vérité : ce n’est pas «antipatriotique» de contester une entorse aux principes démocratiques. Ce n’est pas «une honte» que de demander des comptes lorsqu’un gouvernement outrepasse les règles. C’est même le rôle fondamental de toute opposition parlementaire digne de ce nom.

Le Premier ministre peut bien s’indigner, agiter la bannière de la dignité nationale et se poser en défenseur outragé des institutions. Mais, la réalité, c’est qu’en ignorant les exigences du protocole du Parlement panafricain, en envoyant une délégation unicolore sans même chercher le consensus, c’est son gouvernement qui a provoqué l’humiliation. Pas ceux qui l’ont dénoncée.

Au-delà de l’épisode, c’est une image qui se fissure. Celle d’un Maurice respecté, à l’écoute, modèle de démocratie pluraliste. Aujourd’hui, nous sommes perçus comme un pays qui pourrait, peut-être sans le savoir ou le vouloir, contourner les règles, qui se referme sur lui-même au lieu de s’ouvrir à ses partenaires africains. Et cela, au moment précis où l’Afrique se redessine.

Le Parlement panafricain – certes imparfait, miné par ses conflits internes – n’en reste pas moins un espace politique continental, où se débattent des questions cruciales : réparations postcoloniales, réforme de la gouvernance mondiale, restitution des objets culturels, intégration commerciale, justice climatique. L’absence de Maurice dans ce forum, ou pire, son retrait volontaire, serait un acte lourd de conséquences. Un pas de plus vers l’isolement diplomatique.

Car l’enjeu n’est pas qu’institutionnel. Il est identitaire. Maurice a longtemps hésité entre plusieurs horizons : Europe, Asie, Afrique. Mais aujourd’hui, il est temps d’assumer pleinement notre ancrage régional. L’Afrique ne peut plus être considérée comme un simple levier géopolitique ou une case diplomatique à cocher. Elle est notre continent. Elle est notre futur.

Pour y trouver notre place, il faudra faire preuve de maturité politique. Accepter la critique. Respecter les règles. Inclure l’opposition, non par charité, mais par obligation. Cesser de considérer toute voix dissonante comme un acte de trahison. Et surtout, se souvenir que l’on ne construit pas une diplomatie crédible en effaçant la mémoire.

Midrand devait être un symbole. Il est devenu un rappel. Celui d’un passé qu’on croyait oublié. D’un présent mal géré. Et d’un avenir encore à construire. Avec, espérons-le, un peu plus d’humilité.

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