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Chagos, Inde, Afrique
Le réveil d’une nation-océan ?
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Chagos, Inde, Afrique
Le réveil d’une nation-océan ?
Les drapeaux flottent au vent, les chants patriotiques résonnent dans les avenues, et pourtant, sous l’apparente ferveur des célébrations, Maurice se trouve face à une interrogation fondamentale : sommes-nous encore maîtres de notre destin ?
57 ans après l’Indépendance, 33 ans après l’accession au statut de République, notre île ne peut plus se contenter de commémorer. Elle doit réfléchir. Agir. Car dans le grand jeu des nations, il n’y a pas de place pour ceux qui hésitent. La venue annoncée de Narendra Modi aujourd’hui dépasse le cadre symbolique d’une visite d’amitié ou d’Etat. Elle s’inscrit dans un échiquier stratégique où chaque mouvement est calculé, chaque poignée de main un message, chaque silence une prise de position.
L’Inde ne vient pas simplement honorer son passé commun avec Maurice. Elle vient marquer son territoire. Dans un monde où les alliances se redessinent, où la Chine avance méthodiquement ses pions dans l’océan Indien, New Delhi sait qu’elle ne peut se permettre d’ignorer son petit frère insulaire. Hambantota au Sri Lanka, Gwadar au Pakistan : partout, Pékin trace sa route. Maurice, par sa position et son influence discrète dans les organisations internationales, représente un atout que personne ne veut voir tomber dans le camp adverse.
Car si Maurice semble petite sur la carte du monde, elle est grande dans les calculs des puissants.
Mais ce qui agite les chancelleries va au-delà des rivalités sino-indiennes. Il y a, derrière cette visite, l’ombre persistante des Chagos. L’ultime vestige du colonialisme britannique dans l’océan Indien revient sur le devant de la scène. Keir Starmer à Londres, Donald Trump à Washington, et désormais Modi à Port-Louis : autant de protagonistes dans une pièce où Maurice joue son avenir.
Depuis des décennies, nous réclamons la restitution de l’archipel. La justice internationale nous a donné raison. Mais les Britanniques et les Américains, garants de la base militaire de Diego Garcia, ne cèdent rien sans contrepartie. Si aujourd’hui les discussions reprennent, ce n’est pas par altruisme. C’est parce que la question des Chagos est devenue une variable dans une équation plus large.
L’Inde, en posant le pied ici, vient rappeler qu’elle est un allié de poids dans cette bataille. Mais un allié qui, lui aussi, a des intérêts à défendre. La solidarité diplomatique ne vient jamais seule. Si New Delhi renforce son soutien, elle attendra, en retour, des garanties stratégiques. Acceptons-nous de lier notre avenir aux ambitions indiennes ? Sommes-nous prêts à abandonner notre posture d’équilibre entre les blocs, cette neutralité qui nous a permis, jusqu’ici, de naviguer entre les puissances sans nous enfermer dans une seule alliance ?
L’Histoire nous observe.
Dans ce tourbillon international, Maurice ne peut pas simplement se contenter de réagir. Elle doit agir. Se positionner. Porter une vision claire de son avenir. Or, en avons-nous vraiment une ?
Le programme 2025-2029, Un Pont vers l’Avenir, promesse d’une renaissance économique et démocratique, se veut ambitieux. Il parle d’innovation, de réforme constitutionnelle, d’un basculement vers une Large Ocean Nation. Il veut transformer Maurice en un acteur régional fort, une économie tournée vers l’avenir, un modèle de gouvernance renouvelée.
Mais entre le texte et la réalité, il y a l’épreuve du temps.
Car l’histoire mauricienne regorge de grandes déclarations qui se sont heurtées à la lenteur bureaucratique, aux pesanteurs d’un système réticent au changement. Moderniser la Constitution, abolir la déclaration d’appartenance communautaire, renforcer les institutions : autant de réformes nécessaires, autant de défis face à une classe politique qui, trop souvent, privilégie la préservation du statu quo.
Si nous voulons réellement bâtir l’avenir, il ne suffira pas de mots. Il faudra du courage. Des décisions. Une rupture franche avec les compromis paralysants.
Regarder l’Afrique en face
Et puis, il y a l’Afrique. Ce continent dont nous nous réclamons lorsque cela nous arrange, mais dont nous nous éloignons dès qu’il s’agit de s’engager réellement. Le discours officiel parle d’un retour vers l’Afrique, d’une volonté de se positionner comme un pont entre les visions africaines. Mais un retour ne se décrète pas, il se construit.
L’Afrique ne nous attend pas. Elle avance. Elle redéfinit ses propres rapports de force, cherche ses propres équilibres. Maurice ne pourra s’y insérer que si elle y investit plus qu’un alignement diplomatique. Il faudra une présence constante, une véritable volonté d’être un acteur du développement régional. Pas une enclave financière, mais un partenaire stratégique et politique.
Choisir d’être maître de son destin
Au-delà des célébrations, des feux d’artifice et des discours officiels, ce 12 mars est une date charnière. Un moment où Maurice doit décider si elle reste spectatrice des grandes manœuvres du monde ou si elle ose enfin s’imposer comme un acteur à part entière.
Nous avons trop longtemps vécu dans l’illusion du choix sans avoir à le faire. L’équilibre subtil entre les puissances, le jeu habile des alliances mouvantes nous ont servi jusqu’ici. Mais aujourd’hui, l’océan Indien devient un champ de bataille où la neutralité devient de plus en plus intenable.
L’Indépendance n’est pas un acquis figé dans le marbre du temps. Elle est un combat de chaque instant. Une volonté de défendre, à chaque génération, la souveraineté de notre nation. Et la souveraineté, ce n’est pas simplement posséder un territoire. C’est savoir dire non quand il le faut. C’est refuser d’être un pion sur l’échiquier des autres. C’est oser penser un avenir qui nous appartient.
L’avenir de Maurice ne se résumera pas à ce que les grandes puissances voudront en faire. Il sera ce que nous déciderons d’en faire.
Alors décidons.
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