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Interview de... Vikash Ramdonee

«Le secteur de l’éducation est à la dérive»

21 janvier 2024, 17:56

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«Le secteur de l’éducation est à la dérive»

Recteur au SSS Marcel Cabon – syndicaliste avec plus de 26 années d’expérience dans le domaine de l’éducation – il ne cesse de voir des changements et pas dans le bon sens du terme. Une pédagogie qui laisse à désirer, des méthodes d’enseignements dépassées, un programme d’études qui ne correspond plus aux besoins de la nouvelle génération. Il fait le point sur la situation et a décidé, par la même occasion, de sortir définitivement de son mutisme après sa mutation du collège Royal de Curepipe...

Parlons des nouveautés de cette année. Il y a le Technology Education Stream (TES) qui vient de faire son entrée en Grade 10 depuis janvier. Vous aviez été très critique envers ce nouveau programme. Pourquoi ?

Il n’est un secret pour personne que la United Deputy Rectors and Rectors’ Union (UDRRU), qui représente plus de 80 % des recteurs et des adjoints aux recteurs, n’est pas d’accord avec ce projet. D’ailleurs, il n’y a eu aucune discussion et communication au préalable avant sa mise à exécution. Il serait intéressant de connaître les dépenses encourues dans la promotion d’un programme qui n’a attiré qu’une poignée d’élèves alors qu’il existe des collèges d’État qui n’ont même pas de science laboratories ou de salles de présentation ou encore de gymnases.

Le TES n’a pas sa raison d’être car le SC de Cambridge propose déjà non seulement tout ce qui est proposé par le TES (NdlR, une fois qu’un élève opte pour le TES, il devra poursuivre deux ans d’études (Grades 10 et 11) sauf que les évaluations seront faites par le National Examinations Board (NEB) en collaboration avec l’université de Maurice (UoM), le Mauritius Institute of Education (MIE) et le Mauritius Examinations Syndicate (MES). Alors que pour le «stream» normal, les élèves seront toujours évalués par l’université de Cambridge pour le SC), et beaucoup plus. J’ai dit cela récemment sur une radio et tout de suite il y a eu des représailles.

C’est parce que la présente réforme n’arrive pas à ‘produire’ les cinq credits voulus pour pouvoir accéder en Grade 12 (Lower 6) qu’on veut maintenant baisser le niveau avec le TES. C’est le nivellement par le bas et on veut à tout prix montrer aux agences internationales, en contournant le credit à travers le TES. Mais depuis quand l’UoM organise-t-elle des examens et octroie des certificats dans le secondaire ? On ne doit pas jouer avec l’avenir de nos enfants. Oui, on a besoin de techniciens, d’ouvriers et de ‘skilled workers’, mais on ne doit pas limiter nos enfants à ça. Avec seulement trois credits au Cambridge School Certificate, l’enfant peut déjà intégrer Polytechnics Mauritius et les centres du Mauritius Institute of Training and Development (MITD), mais il peut aussi devenir un médecin ou un professionnel du secteur financier s’il obtient cinq crédits et continue sa lancée jusqu’au HSC. Donc, limiter l’enfant à cet âge ? Est-ce que seuls les enfants issus de familles aisées doivent continuer à opter pour Cambridge ? Et le TES ? C’est pour qui ? Le petit peuple ?

Est-ce que Madame la ministre peut dire avec conviction que les élèves qui réussiront les examens de TES peuvent prendre part aux examens du Cambridge Higher School Certificate ? Le syndicat estime que le niveau est si élémentaire (NdlR, selon le contenu des cours) que Cambridge ne va même pas accepter ces élèves.

Est-ce que Madame la ministre peut donner l’assurance à ces élèves qu’ils pourront devenir médecins, avocats, avoués, économistes, éducateurs et des professionnels du secteur de la finance et autres ?

Est-ce que Madame la ministre et ceux qui sont en train de promouvoir le TES vont choisir ce programme pour leurs enfants ou leurs petits enfants ? Donc, pourquoi limiter ces enfants quand ils ont réussi au National Certificate of Education (NCE) ?

Qu’est-ce qui aurait dû être proposé selon vous ?

Il aurait fallu travailler pour les enfants qui se trouvent dans l’Extended Programme. C’est bien là qu’il y a un énorme ‘gap’, un fossé qu’il faut combler à tout prix. Pour ceux qui ne le savent pas, surtout ceux qui n’ont jamais travaillé ni côtoyé ces enfants, permettez-moi de leur dire qu’initialement, ce sont les élèves de l’Extended Programme qui devaient rejoindre Polytechnics Mauritius et autres centres techniques. Sauf qu’après 10 ans d’études (6+4), certains n’arrivent toujours pas à écrire leur nom. Comment pourront-ils intégrer les Polytechnics Mauritius et les centres du MITD ? Donc, on a contourné les choses et on a présenté le TES. Il faut impérativement changer nos méthodes d’enseignement, la pédagogie et le curriculum si on veut obtenir plus de cinq crédits. Et ce n’est pas le nivellement par le bas qui va nous aider. S’il faut privatiser l’institut de la pédagogie, qu’on le fasse avant qu’il ne soit trop tard.

Par contre, l’université de Cambridge a bâti une réputation solide au niveau international et avec ses certificats, un enfant peut devenir tout ce que le TES propose et encore plus comme mentionné plus haut. Donc, quelle est l’utilité du TES ? Je dois dire que Polytechnics Mauritius fait un très bon travail en donnant la chance aux élèves ayant obtenu trois crédits seulement au Cambridge School Certificate. Mais, il faut venir dire la vérité si on veut augmenter le nombre d’étudiants qui intègrent le tertiaire. Ce n’est pas mauvais. Bien au contraire. Mais, faut-il avoir des cobayes ? Ce programme n’a pas été testé ni discuté. Laissons aux élèves le choix de choisir leur carrière. Après le Cambridge School Certificate, c’est à eux de voir quelle filière ils vont choisir: technique ou académique !

L’Extended Programme justement, est aussi qualifié d’échec avec un faible taux de réussite...

Justement, l’Extended Programme (EP), dans sa forme actuelle, est un cuisant échec qui a débouché après deux années de retard sur la mise sur pied du Bright Up Programme. On va soutenir ce programme le temps que le ministère trouve quelque chose de mieux. Et heureusement que ce programme va être pris en charge par le MITD et pas le ministère de l’Éducation. Sinon, ce serait la catastrophe avec une pédagogie archaïque qui ne répond plus aux besoins des méthodes d’enseignement déphasées et dépassées, des programmes d’études inappropriées qui n’inspirent personne depuis plus de 40 ans.

Autrefois, la ministre communiquait bien avec tous ses stakeholders. Et le système fonctionnait à merveille. Maintenant, elle n’écoute que certaines personnes qui n’ont que leur propre intérêt à coeur ! Son département des ressources humaines est responsable de tous les maux de ce système qui n’arrive pas à communiquer adéquatement et de fournir des enseignants à nos élèves. Après une longue année sans enseignants, on est toujours à la case départ. Selon nos renseignements, certains aspirants enseignants qui possèdent leur Post Graduate Certificate in Education et qui ont de l’expérience n’ont même pas été appelés pour un entretien! Des supply teachers n’ont pas été sollicités en attendant le recrutement des éducateurs par la Public Services Commission. Et entretemps, faute de planification, nos écoles souffrent toujours.

Vous aviez défrayé la chronique en février de l’année dernière après la proclamation des lauréats au Collège Royal de Curepipe (RCC). Comment avez-vous vécu votre mutation vers un autre établissement ?

Permettez-moi d’abord de saluer tous mes étudiants du RCC, que je n’ai pas rencontrés après. Selon moi, la seule chose qui leur manquait à l’époque quand je suis arrivé là-bas était cette petite dose d’humilité que j’ai essayé de leur inculquer. On avait commencé à travailler et la machinerie était en marche. Presque un an après ce mauvais épisode qui a eu pour toile de fond une chanson qu’on a tous condamnée – et que je ne vais pas commenter pour ne pas polémiquer – je peux vous dire que c’était un coup monté de toutes pièces. On voulait ma tête et ils l’ont eue sur un plateau. On disait que je ne faisais qu’à ma tête ! Mon transfert était déjà décidé depuis plusieurs semaines, n’en déplaise à certains qui croyaient avoir eu mon scalp et qui ont jubilé. À vrai dire, ils voulaient kill two birds with one stone.

C’est le syndicaliste Vikash Ramdonee qu’ils ont sanctionné et pas le recteur ! Certains veulent me museler, même aujourd’hui, par tous les moyens. Parce que je suis parmi les seuls qui leur donnaient du fil à retordre, qui posaient des questions pertinentes, qui se sont opposés à l’extension de l’année scolaire et qui disaient toute la vérité sur l’Extended Programme. J’intervenais souvent dans la presse écrite et à la radio.

Pouvez-vous dire aujourd’hui que votre transfert était punitif ? Une année après votre mutation, avezvous pu donner une lueur d’espoir à un établissement qui était autrefois considéré comme étant ingérable ?

La ministre elle-même est venue dire à la radio que c’était un transfert «normal» même si certains sont restés dans le même établissement pendant plus de cinq ans alors que moi je n’ai fait que trois années au RCC ! Avec le recul, je pense que le ministère a puni les étudiants qui sont innocents. Au Marcel Cabon SSS, on m’a donné une occasion en or de retourner à cette institution une partie de ce qu’elle m’a donné. C’est mon école de formation qui a fait de moi ce que je suis aujourd’hui. It’s time to give back.

On ne peut pas faire de miracle, mais tout doucement, avec l’équipe solide et dynamique qu’on a, on fait son nid. Je demande aux parents de nous faire confiance tout en étant présents et à la communauté de nous aider à surmonter ce mépris qui ne date pas d’hier. Marcel Cabon SSS est aujourd’hui un collège vivant et plein d’énergie qui cherche à se développer davantage.

Le MES a présenté des chiffres en ce qu’il s’agit des résultats du SC. De 78,49 % en 2022, ce taux est passé à 73,71 % en 2023. Votre avis ?

Il y a plusieurs facteurs qui y ont contribué. Premièrement, c’est parce qu’il y a des élèves qui ne font pas assez d’efforts et qui sont constamment sur leur téléphone. Puis, il y en a qui, une fois qu’ils ont passé le NCE, ont pris un an de ‘repos’ en Grade 10 et qui n’ont pu récupérer le temps perdu après en Grade 11. Il y a aussi des parents qui ne sont pas assez impliqués dans la vie éducative de leur enfant.

Mais, il ne faut pas oublier qu’il y a eu mauvaise gestion des ressources humaines dans les écoles. Le manque cruel d’enseignants s’est vraiment fait sentir et même jusqu’au troisième semestre dans quelques écoles. Tous les élèves ne peuvent pas prendre de leçons particulières. Il y a aussi une pédagogie nonadaptée. Ce n’est pas tout le personnel enseignant qui a le sens de l’appartenance envers ses élèves et en dernier lieu, je pense moi qu’il y a eu mauvaise prise de décision pour les enfants au plus haut niveau au sein du ministère. Tout cela a fait qu’aujourd’hui, les chiffres parlent d’eux-mêmes.

Pourquoi venir dire tout ça dans la presse ? N’avez-vous pas peur des représailles ? Parce que vous m’aviez sollicité (rires).

Non, parce que la ministre a décidé que tous les syndicats sont contre elle et qu’il n’y a que ses ‘amis’ et son petit groupe qui comptent. Donc, il n’y a pas eu de communication avec elle depuis plus de quatre ans. La dernière fois qu’on s’est parlé c’était durant la période de Covid. Juste pour vous dire, le online teaching and learning, il nous semble, a déjà été mis au frigo. Pas de formation pour les enseignants et autres professionnels, pas de préparation. D’ailleurs, il n’y a plus de formateurs à Maurice. À 18 ans, certains élèves sont toujours en Grade 9 ! Est-ce normal ? Représailles vous dites ? Pas de commentaire !

Le secteur de l’éducation est à la dérive. La communication est au cœur du développement et elle est synonyme de la bonne éducation, chose que nie ce ministère qui opère en toute opacité. Dans le transfert comme dans l’octroi des bourses en passant par les ressources humaines, il y a une opacité totale. On pense sincèrement que le Premier ministre doit désormais intervenir personnellement pour sauver notre éducation nationale.