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Pénurie de devises
L’économie sous pression
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Pénurie de devises
L’économie sous pression

Le manque de devises étrangères ralentit les transactions commerciales dans plusieurs secteurs.
Le manque de devises étrangères se fait de plus en plus sentir, suscitant une vive inquiétude parmi les opérateurs économiques. En effet, importateurs, transitaires ou encore industriels font face à des difficultés croissantes pour honorer leurs paiements internationaux et s’approvisionner en matières premières.
La disponibilité limitée des devises étrangères est devenue très préoccupante dans un contexte où les importations représentent une part essentielle de la consommation et de la production locales, rendant de nombreux secteurs vulnérables. D’ailleurs, les statistiques récentes confirment cette pression. Selon Statistics Mauritius, le déficit commercial du premier trimestre 2025 s’élève à Rs 47 312 millions, soit une hausse de 2,9 % par rapport à la même période en 2024. Certes, les exportations totales (y compris l’avitaillement des navires et le soutage) ont progressé de 11,9 % pour atteindre Rs 26 658 millions. Toutefois, les importations ont, elles, encore davantage augmenté, de 6 %, pour s’établir à Rs 73 970 millions.
Selon une source de la Banque de Maurice (BoM), c’est la frénésie d’achats de véhicules – observée avant l’entrée en vigueur des nouvelles taxes prévues dans le budget 2025-26 – qui a contribué à réduire davantage la disponibilité des devises sur le marché. Rappelons que pour tenter de contenir la pression des importations de véhicules, les autorités ont mis en place plusieurs mesures. Depuis juin, les véhicules hybrides et électriques sont de nouveau soumis aux droits d’accise, tandis que ceux applicables aux véhicules thermiques ont été relevés, avec des taux désormais compris entre 45 % et 100 %. L’objectif affiché est double : freiner la croissance rapide du parc automobile, déjà supérieure à la capacité du réseau routier et réduire le poids considérable des importations de véhicules – évalué à plus de Rs 20 milliards – sur la balance commerciale et les réserves en devises.
Cependant, dans ce contexte d’ajustements fiscaux imminents, une vague d’achats s’est rapidement manifestée avant le 30 juin. De nombreux consommateurs ont finalisé leurs commandes avant l’entrée en vigueur des nouvelles hausses, ce qui a provoqué une forte augmentation des ventes sur le marché automobile. Néanmoins, cette analyse est nuancée par Mrinal Teelock, secrétaire général de la Motor Vehicle Dealers Association (MVDA). Selon lui, l’achat des véhicules vendus en juin avait déjà été réglé avant la mise en place des nouvelles taxes. «Il ne faut pas faire un faux procès du secteur automobile», insiste-t-il, soulignant que, de surcroît, les importations de véhicules ont tendance à diminuer dans la conjoncture actuelle.
En même temps, Ujjval Desai, Managing Director (MD) du groupe AB Desai, souligne que les importateurs vivent une période inédite avec la situation actuelle de pénurie de devises, tout en estimant que les ventes de voitures vont diminuer. «Du jamais-vu», indique-t-il. Il se dit convaincu que cette situation aura un impact négatif non seulement sur le secteur de l’importation de voitures, mais également sur d’autres acteurs de la vie économique du pays. «Les ventes de voitures vont diminuer. D’autres entreprises pourraient également souffrir puisque la plupart des ventes ont été réalisées selon un régime de crédit et les gens devront payer leurs charges mensuelles pour la voiture plutôt que de dépenser pour l’achat d’autres produits. Cela pourrait affecter les ventes d’autres catégories d’entreprises.»
Parmi les problèmes qu’une pénurie de devises pourrait occasionner, selon lui, figurent notamment une réduction du personnel dans les entreprises affectées – un facteur susceptible de provoquer une hausse du chômage – ainsi qu’un risque de dévaluation de la roupie, pouvant entraîner une hausse des prix. «Il y a une limite à la durée pendant laquelle nous, en tant qu’importateurs, pouvons supporter cette période de non-disponibilité des devises. La situation est grave, et nous espérons que les choses se mettront en place», avertit-il.
De son côté, Aslam Kathrada, MD de NAK Enterprises, s’inquiète des multiples conséquences de cette pénurie. «Cette situation», souligne-t-il, «a occasionné des coûts accrus et une réduction des importations. Lorsqu’on gère les affaires d’une entreprise orientée vers l’exportation, on se tourne vers le marché local pour s’approvisionner en biens fabriqués localement. Les prix continuent d’augmenter en raison de la diminution d’importations de matières premières utilisées par ces fabricants locaux. La pénurie de devises affecte donc de nombreux importateurs et exportateurs en raison de l’effet d’entraînement et, par extension, impacte directement ou indirectement notre entreprise et de nombreux autres secteurs de notre économie.»
À son avis, la pénurie actuelle de devises est principalement due au fait que la roupie est surévaluée d’au moins 6 % par rapport aux grandes devises. «Cette situation», dit-il, «doit être traitée comme une question d’urgence extrême par les autorités. Elle ne peut plus persister. Comment les étrangers vont-ils investir sur notre marché boursier et dans d’autres secteurs de notre économie lorsqu’il y a une énorme pénurie de devises ? Cela pourrait être une des raisons pour lesquelles les étrangers n’investissent plus sur notre marché boursier.» Le manque de devises pèse donc lourdement sur plusieurs secteurs, comme l’ont souligné nos interlocuteurs, affectant également l’importation des commodités de grande consommation.
À ce propos, Jayen Veerapen, importateur de diverses commodités de base, rappelle que ce problème n’est pas récent. «Nous n’avons pas suffisamment de devises. Nous n’y avons accès qu’au compte-gouttes. Si par exemple, nous demandons USD 100 000, nous pouvons n’avoir que USD 10 000. Il faut parfois attendre 15 jours, un mois, voire un mois et demi. Ce n’est pas facile pour nous, importateurs. Il nous faut acheter des devises, même plus cher, afin de pouvoir importer. Parfois, je dois revoir mes commandes», explique-t-il.
De son côté, Ignace Lam, directeur de la chaîne de supermarchés Intermart, souligne les risques pour la crédibilité des acteurs locaux. «Lorsque nous peinons à régler nos fournisseurs étrangers dans les délais, notre fiabilité est remise en question. Ces partenaires nous accordent une ligne de crédit, mais des retards répétés peuvent l’annuler.» Selon lui, ce problème ne concerne pas uniquement Intermart, mais affecte aussi la réputation du pays. «Un fournisseur qui doute d’un acteur mauricien peut perdre confiance envers l’ensemble du marché local.» Dans un contexte de forte concurrence internationale, il insiste sur la nécessité de maintenir des relations commerciales stables.
Le manque de devises n’affecte pas seulement les importateurs de biens de consommation, mais aussi les transitaires, qui jouent un rôle clé dans la gestion logistique des marchandises. Varen Andee, PRO de l’Association des transitaires de l’île Maurice, explique que les transitaires travaillent avec des agents à travers le monde. «Lors des transactions, le fret est payable dans le pays d’origine. Par exemple, lorsque nous importons des conteneurs de Chine, c’est notre agent en Chine qui paie les frais de fret et autres coûts. En retour, une fois que le conteneur arrive à Maurice, nous procédons au dédouanement, le client nous règle et nous effectuons ensuite le transfert en devises à nos agents à l’étranger. Or, lorsqu’il n’y a pas de devises disponibles, nos agents refusent de libérer les conteneurs. Ils demandent à la compagnie maritime de ne pas livrer, faute de paiement, ce qui nous cause de gros problèmes», soutient-il. Cette situation entraîne donc des retards dans la livraison des conteneurs, pénalisant directement les clients. «Si nous additionnons tous les transitaires, cela représente des millions de roupies. Voilà comment nous sommes affectés», poursuit-il.
Un autre problème rencontré concerne les transferts bancaires. «Souvent, lorsque nous faisons une demande auprès de notre banque pour transférer, par exemple, 10 000 dollars, cela se fait en deux ou trois étapes au lieu d’un seul paiement. Les banques essaient de satisfaire tout le monde, mais nos agents exigent d’être payés en totalité et ne peuvent pas attendre un paiement partiel.» Il précise cependant que la situation s’est améliorée par rapport au passé : «Personnellement, je n’ai pas eu de gros problèmes récemment, mais certains transitaires en ont rencontré. La situation n’est pas totalement réglée.»
La production locale, elle non plus, n’échappe pas aux conséquences du manque de devises. Dans le secteur manufacturier, cette pénurie impacte directement les opérations quotidiennes : les entreprises subissent des retards d’approvisionnement, une baisse des stocks et, par conséquent, une diminution des ventes, ce qui engendre des problèmes de liquidité. Pour atténuer ces difficultés, plusieurs solutions sont proposées. Parmi elles, le règlement des fournisseurs dans la devise du pays exportateur, comme le renminbi (RMB) pour les importations en provenance de Chine.
Une autre mesure possible serait la mise en place de garanties de paiement émises par les banques, permettant ainsi de différer le règlement en devises. Enfin, les établissements bancaires pourraient proposer d’autres instruments financiers visant à différer les paiements et à mieux gérer la trésorerie dans ce contexte tendu. Ce phénomène touche aussi bien les grandes enseignes que les petites et moyennes entreprises (PME), ces dernières, souvent moins armées financièrement, ressentant plus durement les tensions sur le marché des devises.
Selvom Pillay, responsable d’une entreprise textile de prêt-à-porter, met en lumière l’incertitude générée par la pénurie. «Ce n’est pas seulement une question de délais de paiement, mais plutôt d’incertitude sur le temps nécessaire pour obtenir les devises. Cette situation complique notre planification. Parfois, nous devons retarder certaines productions ou réduire nos volumes», confie-t-elle. De son côté, Yashir Ramdin, gérant d’une PME, qui importe des tissus, décrit une pression accrue de la part des fournisseurs étrangers. «Certains n’acceptent plus les paiements différés, même pour des relations de longue date. Ils exigent désormais des règlements immédiats, parfois en totalité, avant expédition. Mobiliser autant de devises d’un coup est un défi majeur pour notre trésorerie», explique-t-il.
Si la reprise touristique et certains investissements étrangers contribuent à améliorer les flux de devises, les entreprises restent néanmoins vigilantes. Elles appellent à des mesures ciblées pour faciliter l’accès aux devises, notamment pour les PME, souvent les premières affectées. Pour tenter d’endiguer les effets de ce manque de devises sur ses opérations, un des principaux acteurs de la vente au détail et de la distribution de produits importés dit avoir eu recours à une hausse du plafond de son découvert bancaire, ainsi qu’à une extension de 60 à 90 jours du délai imposé par sa banque pour honorer ses engagements.
«Une pénurie prolongée de devises étrangères à Maurice», avance-t-il, «a tous les éléments pour amener un exportateur étranger à douter de la capacité de son partenaire mauricien à honorer ses engagements courants. Ce problème de pénurie, qui s’est manifesté depuis 2024, s’est empiré au point qu’il m’était difficile d’obtenir, comme cela a été le cas dans le passé, la totalité du montant de devises demandé. Le plus tôt ce problème sera réglé, mieux ce sera pour tout le monde.» Pour lui, les solutions ne manquent pas. Parmi celles-ci, il propose une ponction sur le montant des actifs que la Banque centrale détient en devises. Pour étayer son propos, il se réfère au dernier rapport financier de la BoM pour l’année 2024.
En effet, l’examen de ce rapport indique que le montant des actifs de la BoM libellés en devises étrangères a enregistré une hausse de 27,6 %, passant de Rs 305,5 milliards en 2023 à Rs 389,7 milliards en 2024. Mieux encore, ces foreign assets représentent 81,8 % du montant total des actifs de la Banque centrale, soit Rs 389,7 milliards sur un total de Rs 478,6 milliards. Par ailleurs, le montant inscrit à l’item cash and cash équivalent de la trésorerie a connu une hausse de 65,7 %, passant de Rs 54,1 milliards en 2023 à Rs 89,6 milliards en 2024. Il s’agit de la partie des actifs en devises qui sont disponibles en liquidités ou facilement convertibles. Interrogées sur la disponibilité des devises étrangères dans leurs établissements et sur les mesures prises pour faire face à cette situation, les institutions bancaires ont indiqué qu’il s’agissait d’un sujet délicat.
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