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L’économie souterraine des partis politiques
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L’économie souterraine des partis politiques
Vingt-trois ans après la caisse noire d’Air Mauritius et neuf ans après la saisie des coffres-forts de l’ancien Premier ministre Navin Ramgoolam, la question du financement des partis politiques demeure une énigme que personne ne souhaite vraiment résoudre. Pourtant, plus que jamais, l’argent demeure le nerf de la guerre politique.
Aux élections de 2014, le gros du secteur privé avait misé surtout sur le tandem Ramgoolam-Bérenger, mais ils avaient aussi pris la précaution d’arroser tous les partis, dont ceux de l’alliance Lepep, qui comprenait le MSM et le PMSD.
En démocratie, il y a au moins deux principales méthodes de financement politique. Si ce n’est pas l’État qui subventionne les besoins des partis, c’est le secteur privé qui assure ce financement. Les politiciens des partis traditionnels savent fort bien qu’on ne peut pas compter sur la cotisation des adhérents. La somme recueillie auprès de ces derniers est dérisoire. Elle peut, à la rigueur, financer la sono et la location du camion servant d’estrade aux orateurs d’un meeting.
Dans sa déposition en 2003, dans le cadre de l’affaire de la caisse noire d’Air Mauritius, le repenti (feu) Gérard Tyack, ex-directeur financier de MK, raconte qu’en 1981, sir Harry Tirvengadum, alors P-d.g. d’Air Mauritius, l’appelle dans son bureau au premier étage du bâtiment Rogers. Ce dernier l’informe que sir Seewoosagur Ramgoolam, alors Premier ministre, lui a demandé des fonds pour le journal Advance, qui connaît des difficultés financières. Des responsables d’Air Mauritius (et de Rogers) décident donc d’opérer une caisse noire pour financer Advance et d’autres organes politiques. Une enquête approfondie devait plus tard révéler que quelque Rs 85 millions avaient été utilisées comme «commissions spéciales».
Ces fonds devaient ensuite être conservés dans une caisse noire, pour être utilisés à travers un mécanisme de paiement de commissions spéciales à la compagnie Rogers. Tout le monde était au courant que tous les partis politiques s’en nourrissaient. Ce que l’on retient du scandale de la caisse noire d’Air Mauritius, c’est que Gérard Tyack aura été le seul accusé à avoir honnêtement avoué sa faute et restitué les Rs 27 millions mal acquis. Pour cela, il a écopé de plusieurs mois à la prison de Petit-Verger...
Pour beaucoup d’autres, les révélations de Jack Bizlall sur la caisse noire d’Air Mauritius auraient pu être une occasion de débattre de la question du financement politique – puisqu’il était évident qu’Air Mauritius n’était pas la seule compagnie qui s’adonnait à de telles pratiques opaques.
Et alors que le Parlement a légiféré contre l’enrichissement illicite, les partis dont sont issus nos législateurs n’ont toujours aucune obligation de publier leurs comptes. Pour le 1er-Mai 2024, personne ne va jouer la carte de la transparence, et pourtant ils aspirent tous à diriger le pays.
En février 2015, la saisie de deux coffres-forts, contenant plus de Rs 220 millions, chez le leader du Parti travailliste (qui fait encore l’objet de questions parlementaires) relançait la question du financement politique. Navin Ramgoolam devait expliquer que cet argent était en partie constitué de dons pour le parti et de ses per diem. Ce qui n’avait pas manqué de choquer l’opinion, d’autant que le siège du PTr au square Guy Rozemont, complètement délabré, donnait l’impression que le parti n’avait pas un rond. En revanche, les plus farouches défenseurs de Ramgoolam sortent souvent la comparaison avec le Sun Trust des Jugnauth – dont la construction avait été financée par le financement politique. «Jugnauth inn mont gratte-ciel dan Port-Louis, kifer Ramgoolam pa an drwa ramas kas li?», se défendent les travaillistes – et désormais les militants du MMM.
L’affaire des coffres-forts de Navin Ramgoolam a confirmé au moins une chose. Il n’y a pas de transparence par rapport à l’argent au sein des partis, que ce soit au MMM, MSM, PTr ou au PMSD, pour ne citer que ces quatre partis-là.
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En l’absence d’une politique relative au mode de financement politique, c’est connu que c’est le secteur privé qui remplit ce vide. Les plus importantes contributions proviennent d’une douzaine d’importants groupes. Les capitaines du privé affirment que leur groupe donne à tout le monde. «On mise davantage sur ceux qui, selon nous, ont les meilleures chances de former le prochain gouvernement. Parfois on se trompe. D’où l’importance d’arroser tout le monde.» Ces propos s’alignent sur ceux de Dawood Rawat qui maintenait de bonnes relations avec tous les partis, «même si Navin Ramgoolam était son pote et son meilleur coursier dans la course au pouvoir».
Selon des chiffres publiés dans le bilan financier de certains groupes, des estimations des politiciens et autres observateurs, les financements politiques s’élèvent à plusieurs centaines de millions de roupies depuis les années 2000. Depuis quelques années, on parle davantage en milliards.
Pratiquement tous les politiciens que nous avons interrogés avancent que Maurice devrait encourager un système de financement politique transparent. Il faudrait, au-delà d’un volet de financement prévu au Budget national, une loi qui exigerait que chaque donateur se fasse connaître avec le montant de sa contribution – bien évidemment, il faut fixer une limite raisonnable et raisonnée pour toute contribution. L’ESC doit alors disposer d’outils pour vérifier les dépenses de chaque candidat et de chaque parti. En cas de non-respect, des sanctions doivent être prévues.
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Questions de nos lecteurs. À quoi cela sert-il de promouvoir un ministère et une culture de bonne gouvernance si les partis politiques eux-mêmes ne veulent pas être transparents sur l’état de leurs finances et sur les noms de leurs généreux contributeurs ?
Comment sortir de notre préhistoire politique afin d’entrer dans une ère nouvelle, qui serait caractérisée par la libre circulation de l’information, par un nombre limité de mandats pour les dirigeants et par un financement politique transparent… Jamais ?
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