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Municipales, licenciements, budget

L’enchaînement cynique

19 mai 2025, 05:39

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Il y a des dates qui ne s’écrivent pas dans un agenda, mais dans la mémoire comme autant de gifles. Ce dimanche 11 mai 2025, 74 % des électeurs urbains ont boudé les urnes. Pratiquement une semaine plus tard, le gouvernement envoyait plus de 1 400 lettres de licenciement à des employés des collectivités locales. Entre ces deux séquences, un lien : le calcul froid du pouvoir. Un calendrier cousu de cynisme. Une mécanique implacable. Une démocratie utilisée comme vitrine, pendant que l’arrière-boutique sert à passer les petits plats amers de Moody’s et du FMI.

Tout était calculé. Il fallait d’abord tenir les municipales, coûte que coûte, pour montrer aux bailleurs de fonds internationaux que Maurice est redevenue une démocratie fonctionnelle. Il fallait faire voter, désigner des maires, brandir la photo d’une élection «réussie» après dix ans de report – peu importe que ce scrutin soit vidé de sa substance, sans enjeux, sans opposition, sans pouvoir pour les élus, sans argent ni budget.

Ensuite seulement, on pouvait passer à l’étape suivante du plan : sacrifier. Licencier. Nettoyer les effectifs du bas de l’échelle avant le Grand Oral du Budget 2025-2026, prévu pour le 5 juin. Il fallait envoyer un signal clair à Moody’s, au FMI et à d’autres agences de notation : Maurice consent des efforts. Maurice fait des choix difficiles. Maurice saigne ses petites mains pour rassurer les grandes banques et pointer du doigt les méthodes de l’ancien régime.

Et tant pis si cela veut dire briser plus de 1 400 familles. Tant pis si ces travailleurs, pour la plupart recrutés avant les législatives, ont quitté un emploi dans le privé pour servir leur pays. Tant pis si on leur demande aujourd’hui de «reapply», comme si leur dignité n’était qu’un formulaire à soumettre, une case à cocher. La priorité n’est plus sociale. Elle est comptable.

Ce qui choque, ce n’est pas seulement le fond – ce carnage social –, mais le moment choisi. Tout cela a été agencé avec minutie. Les échéances politiques sont derrière. Les municipales sont passées, les élus sont en place, les maires et leurs adjoints minutieusement choisis. Le pouvoir, désormais, peut «réformer» sans consulter. Nommer des conseillers à tour de bras dans des comités ou parapublics sans autonomie ni budget, pendant qu’on jette à la rue ceux qui faisaient tourner villes et villages. Un deux-poids, deux-mesures qui ne rassure personne.

Car soyons clairs : si ces licenciements avaient été annoncés avant les élections municipales, jamais l’Alliance du changement n’aurait pu rafler 117 sièges. Le citoyen aurait voté autrement – ou pas du tout. Mais là, on a d’abord mobilisé les gens, puis frappé là où c’est le plus douloureux.

Et l’argument du ministre des Collectivités locales, Rajiv Woochit, ne suffit pas à éteindre l’incendie. Oui, il y a eu des abus de l’ancien gouvernement. Oui, la LGSC a été utilisée comme instrument de clientélisme à l’approche des législatives de novembre 2024. Mais pourquoi alors n’avoir rien dit pendant la campagne ? Pourquoi avoir gardé le silence pendant six mois ? Pourquoi licencier maintenant, dans la précipitation, alors même que des postes sont en train d’être recréés, sans garantir leur réattribution aux victimes d’aujourd’hui ? En quoi ces travailleurs et leurs familles doivent-ils payer pour les fautes politiciennes des autres… surtout si l’on prévoit de recruter demain pas moins de 3 000 personnes ?

Certes, le gouvernement se targue de vouloir recruter à nouveau – proprement, cette fois, dit-on. Mais le mal est fait. La confiance est rompue. Le doute s’installe. Car à chaque fois, ce sont les mêmes qui paient : les petits. Les contractuels. Les ouvriers locaux et étrangers. Les éboueurs. Ceux qu’on appelle à travailler même pendant un cyclone. Ceux qu’on oublie, sauf quand il faut les licencier pour faire bonne figure devant des experts en costume gris dans une tour à Washington, D.C. Entre leur licenciement sauvage et le nouveau recrutement selon les normes, n’y avait-il pas de solution intermédiaire ?

Et pendant ce temps, les hauts fonctionnaires, eux, gardent leur poste, car les licencier coûterait trop cher. Pendant ce temps, les nominations politiques se multiplient dans les conseils d’administration. Des comités bidon pullulent. L’État continue à recruter à des niveaux supérieurs pendant qu’il sabre à la base. Deux vitesses. Deux Maurices.

Le silence des électeurs aux municipales n’était pas un hasard. Il était un avertissement. Un rejet froid, lucide. Les 105 315 citoyens qui se sont déplacés ne font pas oublier les 293 000 qui ont tourné le dos à l’exercice. Et le message est limpide : le peuple ne se déplace plus pour légitimer des institutions sans pouvoir. Il ne vote plus pour des coquilles vides. Il ne soutient plus à l’aveugle. Il attend des comptes.

En refusant d’ouvrir un débat sur la réforme des collectivités locales avant d’organiser les élections, le gouvernement a trahi l’esprit même de la démocratie municipale. Et aujourd’hui, en licenciant sans ménagement, il en trahit la lettre.

Le Premier ministre aime parler d’héritage, de continuité historique, de République moderne. Mais l’histoire retiendra aussi les pages sombres. Celle d’un pouvoir qui a choisi la rigueur sans justice, le calcul sans compassion, l’image sans substance.

Rien n’empêchait le gouvernement d’agir autrement. De suspendre les contrats litigieux tout en lançant une réforme sincère, d’accompagner au lieu d’aliéner. D’annoncer la couleur avant les élections. De dialoguer. D’écouter. Mais il a choisi la voie courte. Celle du coup de massue après le scrutin. Le peuple, lui, retiendra. Pas seulement les licenciements. Mais aussi le mépris. L’invisibilisation. Le fait qu’il n’ait même pas été jugé nécessaire de lui expliquer avant d’agir. Et ce mépris-là, aucune note de Moody’s ne pourra le racheter…

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