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Interview de... Ibrahim Fardeen Mohoboob
«Les aînés aussi ne veulent plus travailler dans les champs car la pension leur suffit…»
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Interview de... Ibrahim Fardeen Mohoboob
«Les aînés aussi ne veulent plus travailler dans les champs car la pension leur suffit…»
Ibrahim Fardeen Mohoboob, planteur
Cet habitant de Notre-Dame se bat pour l’agriculture et les agriculteurs. Il dénonce la politique gouvernementale qui favorise les importateurs et l’immobilier en sacrifiant le travail de la terre. Il est aussi engagé en politique en tant que secrétaire général du ‘Nouveau Front Politik’ d’Ivann Bibi.
Depuis quand travaillez-vous la terre ?
Depuis que j’ai cinq ans, j’en ai maintenant 50. J’accompagnais mon père lorsqu’il allait travailler dans sa plantation de légumes. C’est lui qui m’a appris non seulement à travailler la terre mais aussi à aimer ce travail. J’appartiens à la 7e génération de planteurs depuis l’arrivée de mes aïeux coolies à Maurice. Et mes enfants veulent continuer cette tradition et j’en suis très heureux et fier.
Qu’est-ce que vous plantez ?
Un peu de tout. Bringelles, maïs, concombre, pomme d’amour, choux-fleurs. Je cultive aussi des fruits, tels que la mangue, l’avocat, la banane, le litchi et la papaye. Je suis aussi dans l’élevage de crevettes rosenbergii et de poissons ornementaux comme la carpe koï japonaise ou le poisson rouge.
Et ça marche ?
Je me cramponne car c’est mon gagne-pain. Il y a trois gros problèmes auxquels font face les planteurs : premièrement la hausse vertigineuse du prix des intrants. Celui des insecticides, pesticides et engrais chimiques ont connu une augmentation de 100 à 250 % depuis trois ans, largement dû à la dépréciation de la roupie.
Pourquoi n’utilisez-vous pas d’intrants bio ?
Leurs prix ont augmenté, eux, de plus de 500 %. Et il n’y en a pratiquement pas de local. Sauf pour les attrape-mouches biologiques d’IBL. Et le fumier de vache et de poule qui coûtent quand même autour de Rs 1 300 la tonne car la bouse de vache notamment devient de plus en plus rare.
Les pesticides ne sont pas bons pour la santé…
Je le sais. Et je sais que ce sont les planteurs qui y sont les plus exposés. C’est pourquoi j’essaie de les éviter. De toute façon, leurs prix prohibitifs en plus du danger pour la santé, sont en train d’obliger beaucoup de planteurs à se convertir au bio.
N’avez-vous jamais songé à faire de l’agriculture circulaire ? Vous exploitez une assez grande surface, non ?
Figurez-vous qu’auparavant, j’élevais des vaches, boucs, cabris, moutons et de la volaille et j’utilisais le fumier pour enrichir le sol et les feuilles pour nourrir les animaux. Je faisais donc de l’agriculture circulaire sans le savoir. Je pense d’ailleurs que les planteurs et éleveurs auraient pu se fournir mutuellement. Mais j’ai été victime de trop de vols de la part d’humains et de chiens errants contre lesquels le gouvernement ne fait rien. J’essaie quand même de pratiquer une agriculture raisonnée.
En tout cas, ce n’est pas l’herbe qui manque pour nourrir les animaux, non ? Je vois souvent des employés municipaux ou des entrepreneurs qui coupent ‘l’herbe d’éléphant’ dans les terrains vagues et puis, hop, direction Mare-Chicose.
Vous avez raison. On les appelle les mauvaises herbes car elles poussent à foison, comme le Guatemala, Star, Grasset ou Piead. C’est mieux de nourrir les animaux avec plutôt que d’acheter des granules importés. Je vendais moi-même les pieds de maïs à Rs 2 500 par camionnette aux éleveurs et la fleur mâle du maïs aux fleuristes à Rs 2 l’unité.
Quel est votre deuxième souci ?
Le manque de main-d’œuvre. Les aînés ne veulent plus travailler même trois heures par jour car ils me disent qu’avec la pension, ça leur suffit. Quant aux jeunes, ils ne veulent pas se salir les mains ni se fatiguer, ils cherchent du travail de bureau ou dans les supermarchés. Ils ne réalisent pas que le travail physique est bon pour la santé morale – c’est déstressant – et cela peut être fun. Il y a beaucoup d’autres bienfaits. Et cela s’applique aussi aux retraités.
Vous n’employez pas d’étrangers ?
Oui, parfois mais c’est seulement lorsqu’ils ne travaillent pas dans leur usine ou ailleurs. Je ne comprends pas pourquoi le gouvernement n’autorise pas le recours aux agriculteurs étrangers, surtout les Malgaches, qui connaissent bien le travail de la terre. Pas les Bangladais… Cela, alors que l’on autorise des étrangers à travailler dans le commerce, notamment dans les pharmacies. Mais, vous savez, c’est parce que leur voix est plus entendue que celle des agriculteurs. D’ailleurs, je les vois constamment se plaindre dans la presse…
Et quel est votre troisième problème ?
C’est le vol, le métier que préfèrent de jeunes Mauriciens, malheureusement, de l’argent facile obtenu à la sueur des autres. Ce sont surtout les drogués dont la population se répand. Mais les Bangladais aussi nous volent les légumes.
Que faut-il faire ?
Pourquoi la police ne patrouille-t-elle pas les champs au lieu de se concentrer sur les voitures mal garées ? Pourquoi n’y a-t-il pas une police de l’agriculture ? Le gouvernement doit réaliser que sans les légumes et la viande des éleveurs, les Mauriciens mourront de faim. L’importation est mauvaise pour la planète, pour notre économie et pour la qualité des produits. Il doit investir dans la sécurité des champs et des planteurs – il y en a qui se font poignarder maintenant. Et c’est difficile de les arrêter…
On n’arrête pas les voleurs de poules et de légumes ?
Quand il arrive que la police leur mette la main dessus et quand elle les poursuit, c’est assez difficile de les condamner car il est difficile de prouver que tel giraumon a été volé de tel champ.
Le ministère offre des aides par exemple pour l’achat de caméras de surveillance. Vous n’en profitez pas ?
Je l’ai fait. Mais ces caméras ne durent pas plus de neuf mois car exposées aux intempéries contrairement à celles que l’on met chez soi et qui sont abritées par des auvents etc. Les panneaux solaires aussi s’abîment. J’essaye de faire installer l’électricité dans mon champ pour les caméras mais aussi pour éclairer une petite cabane de gardien. J’attends le CEB depuis deux ans…
Pourquoi ne pas mettre des clôtures avec des fils de barbelés ?
Il est temps d’y penser, oui, avec le nombre croissant de vols. Cependant, cela coûte extrêmement cher surtout pour les grandes exploitations comme la mienne. Si le gouvernement nous aide, pourquoi pas ?
Message transmis ! Et les semences ?
Pour cela aussi, on dépend de l’importation et donc de la valeur de la roupie. De plus la roupie dégringole… Cependant, une partie est produite localement et même par moi-même. Pour les semences de pomme d’amour, les planteurs peuvent en produire pour les variétés locales telles que le ‘quatre-carrés’ ou la pomme d’amour rose, mais avec le temps, la qualité dégénère. On dépend donc de l’importation.
Votre message à la population ?
Au lieu de vous plaindre du prix des légumes, l’heure est arrivée de mettre la main à la terre et de commencer à cultiver vous aussi. Pour cela, ne prétextez pas que vous n’avez pas de parterre si vous avez tout bétonné et asphalté chez vous. Auparavant, chaque cour avait son arbre ‘bred mouroum’, fruit à pain, manguier, bananier et autres chouchoux. On ne devait pas tout acheter et si nous n’avions pas tel fruit ou légume ou un œuf chez nous, nous allions frapper à la porte du voisin. Et c’était du bio !
Votre message au gouvernement ?
On se plaint du glissement de la valeur de la roupie. Pourquoi ne pas commencer à importer moins de produits alimentaires qui représentent 20 % de nos importations ? Cela nous aiderait à être proches de l’autosuffisance alimentaire. Nous le sommes seulement pour le poulet et les œufs qui sont presque tous produits sur une base industrielle avec des hormones de croissance. Mais non, le gouvernement ne veut pas nous protéger mais protège les importateurs et les ‘big businesses’. Vous avez vu comment au moindre prétexte de manque de légumes, le gouvernement accorde des permis d’importation aux copains en faisant croire qu’il a à cœur nos besoins ?
C’est difficile pour un pays comme Maurice d’être autosuffisant, non ?
Mais pas impossible. Prenons l’exemple de l’Égypte – qui nous fournit en oignons d’ailleurs – et de l’Arabie saoudite qui cultivent des fruits et des légumes dans le sable aride et en exportent même. Un autre exemple, Rodrigues, où il y a peu de rivières et de réservoirs mais qui nous exporte leurs fruits et légumes. Shame On Us ! Ici, nos terres propices à l’agriculture sont utilisées pour la construction de villas destinées aux milliardaires. Et ne me parlez pas du manque d’eau : notre eau est déversée dans l’océan. Devant l’immobilisme du gouvernement, j’ai pris l’initiative de lancer un programme «Anou planter» sur Facebook où je montre aux Mauriciens comment cultiver la terre. Je profite de l’occasion pour inviter tous à se joindre à ma page ‘Fardeen Ibrahim’. J’ai constaté d’ailleurs que les Mauriciens cultiveront la terre si on les guide et les aide.
Il n’y a plus de programmes d’éducation agricole à la MBC. Je me souviens il y avait ‘Kheti Bhari’ en bhojpuri et l’émission de Jean Cyril Appapoulay en créole…
Maintenant, il n’y a que des cérémonies ‘koup-riban’ de bâtiments.
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