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Britannia

Les amants de la dernière aube

15 juin 2025, 05:00

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Les amants de la dernière aube

Le terrain où le jeune couple se trouvait depuis de longs jours.

Le vendredi 13 juin, le vent s’est levé plus tôt que d’habitude dans les champs de canne de Camp Payen, à Britannia. Il n’annonçait ni pluie ni cyclone. Il murmurait des choses. On aurait dit qu’il savait. Les vieilles pierres de Britannia, elles, n’ont rien dit. Elles se sont tues comme elles le font depuis un siècle, résistant aux hommes et à leurs passions, abritant les secrets dans leurs murs lézardés. Mais ce matin-là, dans l’ombre du Kovil, la terre a livré deux corps. Deux jeunes vies. Deux amants. Deux absents, retrouvés dans l’oubli d’un champ.

La nouvelle s’est répandue comme un parfum de mort dans les venelles du village. On a dit que c’était une fille de Trou-d’Eau-Douce, Lakshana, belle et douce, fonctionnaire au ministère du Commerce. L’autre, un maçon-pêcheur du sud, Akshay, fils du Chemin Grenier, bâtisseur de rêves pour les autres, mais dont la maison à lui n’avait encore ni toit ni bénédiction. Un amour entre deux régions, entre deux mondes, entre deux solitudes.

Ils venaient parfois à Britannia. Peut-être pour se cacher du monde. Peut-être pour rêver d’un ailleurs. Personne ne sait pourquoi ils ont choisi ce champ, ni pourquoi ce jour. Mais on dit que Lakshana insistait pour le voir. Qu’il s’est levé tôt ce samedi 7 juin. Qu’il a demandé à sa mère de repasser ses habits. Qu’il devait aller à un anniversaire. Il n’est jamais rentré.

Deux corps sans alliance

Dans ce champ, à quelques mètres l’un de l’autre, leurs corps gisaient depuis six jours. À deux pas d’un mariage célébré au Kovil, sous les chants, les pétards et les bénédictions. Pendant que d’autres juraient fidélité devant les dieux, deux corps sans alliance pour témoigner de leur union reposaient dans l’herbe couchée. Comme si la terre les avait enveloppés de pudeur. Comme si les oiseaux, eux aussi, s’étaient tus. lexp - 2025-06-15T081746.260.jpg Vendredi 13; le corps de la jeune femme est découvert d’abord à l’arrière du Kovil, à Camp Payen; quelques heures plus tard, on découvre celui du jeune homme. La police est mandée sur les lieux pour empêcher les habitants d’aller voir de plus près.

La police parle d’un drame passionnel. Une arme artisanale. Une balle dans le corps d’Akshay. Une douille. Un tuyau détourné de sa fonction. Un amour qui devient fusil. L’enquête dit qu’il l’aurait tuée, puis se serait donné la mort. Mais la sœur d’Akshay, Pooja, n’y croit pas. «Il n’avait pas d’arme, pas de colère. Il l’aimait. Il voulait l’épouser quand la maison serait prête.» Alors, comment expliquer ce geste ? Est-ce que la souffrance de Lakshana au bureau, les humiliations, le harcèlement, ont glissé sur elle comme une nuit trop lourde ? Est-ce qu’elle en avait parlé à Akshay ? Est-ce qu’il s’est senti impuissant, enragé, acculé ? Ou bien ont-ils simplement sombré dans ce que le poète appellerait un crépuscule des âmes ? lexp - 2025-06-15T091848.683.jpg L’abri-bus, à l’entrée du village, où les deux se seraient retrouvés avant de prendre le chemin vers les champs de canne

À Britannia, tout le monde connaît le terrain. On y passe pour aller chercher du bois, pour cueillir des bergamotes, pour aller laver le linge à la rivière (où jadis on venait pêcher du camaron). Personne n’a rien vu. Personne n’a rien senti. Et pourtant… La brise avait changé. Les chiens aboyaient sans raison vendredi à l’aube. Ayush, le petit garçon aux jambes de lièvre, dormait.
mbc.png La police et la MBC sur les lieux hier. Les policiers se sont montrés coopératifs et ont laissé travailler les journalistes.

Devant la boutique de Darmon, Rajoo ne traînait pas, en guettant ses amis. Même les palmiers royaux semblaient un peu plus immobiles que d’habitude, comme figés dans un deuil discret.

Aujourd’hui, dans les ruelles bordées de lataniers, on se demande : pourquoi ici ? Pourquoi Britannia ? Pourquoi mourir dans un endroit où l’on vient d’habitude pour aimer, prier, ou fuir la ville ? Peut-être parce qu’il leur fallait un lieu à eux. Un lieu où rien ne les jugerait. Un lieu entre deux mondes.

Un poète aurait compris. Il aurait décrit les pas dans la poussière, le crépitement du silence, la lenteur avec laquelle les gens comprennent qu’un drame les dépasse. Il aurait raconté les regards, les silences, la parole qui tarde à venir. Il aurait compris que dans ce pays de canne et de croyances, parfois l’amour se perd dans les champs. Et que quand il ne trouve plus d’issue, il retourne à la terre. Brutalement. Tragiquement. Comme dans les pièces de Shakespeare que les enfants n’apprennent plus à l’école. Les deux corps ont été rendus aux familles. Les champs sont redevenus verts. Mais le vent, lui, ne s’est pas calmé. Il continue de raconter l’histoire de Lakshana et Akshay. À ceux qui veulent bien écouter...

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