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Rencontre avec Ricci Shryock

«Les communautés indigènes ont mieux réussi à protéger l’environnement»

20 février 2024, 22:00

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«Les communautés indigènes ont mieux réussi à protéger l’environnement»

Ricci Shryock, écrivaine et photographe américaine.

Dans l’univers du photojournalisme, chaque cliché narre une histoire, chaque récit offre une fenêtre sur une réalité. Ricci Shryock est bien placée pour le savoir. Écrivaine et photographe américaine, basée à Dakar, Sénégal, depuis 2008, son travail a été publié dans le «New York Times», «The New Yorker», «NPR» et «Foreign Policy», entre autres. Elle a également enseigné le photojournalisme à l’université de Dakar et dispensé des formations dans plusieurs pays africains. Membre des collectifs Everyday Africa et Women Photograph, elle façonne un récit visuel plus nuancé du continent. Lors de sa récente visite à Maurice pour une formation en photojournalisme en partenariat avec le Media Trust et l’ambassade des États-Unis, elle a partagé ses réflexions sur l’essence du photojournalisme et son engagement envers le changement social.

Qu’est-ce que le photojournalisme ?

Le photojournalisme est vaste, dépendant du public, du support médiatique et du journaliste. Mais, pour résumer, il s’agit essentiellement de raconter une histoire en images, qui, espérons-le, informe le public sur l’actualité ou sur les problèmes systémiques.

Quelle est son importance ?

Tout d’abord, il y a l’impact sur les événements. Prenez la guerre du Vietnam, par exemple. Le photojournalisme a été crucial pour former l’opinion publique contre cette guerre, ou contre l’implication des États-Unis dans la guerre. Au-delà de cela, cette méthode de reportage cultive une meilleure compréhension des problèmes de la société que le public auxquels certaines personnes sont confrontées, mais que d’autres ignorent jusqu’à ce qu’elles voient ces images.

Que faut-il pour être photojournaliste ?

Cela dépend de la personne. Il faut un certain type d’appareil photo, mais ce n’est certainement pas le plus important. Le plus important est l’empathie et être en osmose avec les personnes devant l’objectif qui font l’objet du reportage. La patience et la passion sont également nécessaires. Puis, il faut avoir le désir de comprendre ce qui se passe pour pouvoir transmettre l’information au public.

Parlez-nous d’une expérience mémorable de votre temps d’enseignement du photojournalisme à l’université de Dakar ? Comment cette expérience a-t-elle façonné votre approche du récit ?

Bonne question. Lors de la première année d’enseignement, j’ai pu voir l’évolution des étudiants lorsqu’ils ont soumis leur projet final. La manière dont ils ont abordé des problèmes qui leur tenaient à cœur était spéciale. Dans le monde de l’enseignement, voir quelqu’un apprendre et s’améliorer est très agréable.

De plus, je suis toujours plus impliquée avec les journalistes qui travaillent dans les pays que je couvre dans mes reportages. Cela façonne mon approche du photojournalisme car la manière dont ils couvrent les problèmes sera différente de la mienne, car je couvre les événements pour un public international. Il est très important de considérer comment ils abordent les problèmes, et j’intègre cette approche dans ma couverture.

Vous avez dispensé des formations en journalisme dans divers pays, comme le Congo, le Nigeria, la Tanzanie. Quelles difficultés avez-vous rencontrées lors de ces formations et comment les avez-vous surmontées ?

Les principaux défis auxquels font face les journalistes sont souvent ramenés à une question de rémunération. Nous pouvons discuter des idées et des théories sur la façon de couvrir l’actualité, mais le problème de finances est un bâton dans les roues, non seulement en termes de logistique ou de temps qu’ils peuvent consacrer à leur travail, mais il y a aussi le problème de potsde-vin des politiciens pour une couverture. Nous sommes plus susceptibles de voir ce type de choses arriver lorsque le journaliste ne peut pas, par exemple, se permettre de payer les soins de santé de sa famille. Donc, le principal défi n’était pas tant la formation ou les compétences, mais plutôt les difficultés financières auxquelles sont confrontés les journalistes.

Vous êtes membre des collectifs Everyday Africa et Women Photograph. Comment ces groupes contribuent-ils à votre travail et à votre sentiment de communauté en tant que photographe et écrivain ?

Les collectifs Everyday Africa et Women Photograph existent depuis des années. L’objectif de ces organisations est de montrer davantage de photos du continent car l’Afrique n’est pas que famines et guerres. Il existe de multiples vies, d’histoires et de cultures. Ce collectif a travaillé pour remodeler le récit de la vie sur le continent, et je suis fière et honorée d’en faire partie. Nous avons un groupe de photographes répartis dans tout le continent qui se soutiennent mutuellement et travaillent toujours vers l’objectif d’un récit visuel complexe et approfondi dans ces pays. Cela crée un sentiment de communauté et de solidarité parmi nous en tant que photographes et écrivains.

Votre travail tourne souvent autour de l’impact des politiques et des normes culturelles concernant les femmes. Pouvez-vous discuter d’un projet ou d’une histoire spécifique dans lequel vous avez exploré ce thème ?

Cela a commencé alors que j’enseignais à l’université. Nous lisions les journaux locaux et il y avait souvent des articles sur les infanticides et les femmes qui avaient tué leurs bébés. Un des titres avait qualifié la mère de monstre. En tant que mère moi-même, je sais très bien que tuer son bébé est la chose la plus contre-nature qui puisse exister. Donc, il y avait une autre force motrice derrière ce qui se passait. J’ai donc commencé à explorer la question de l’infanticide, et j’ai découvert qu’elle est liée aux lois très strictes sur l’avortement. Même si une personne est violée, il lui est très difficile, voire impossible, d’avorter. Cela est dû non seulement à la politique, mais aussi à la société. Je me souviens d’une femme dont le mari avait émigré. Elle ne l’avait pas vu depuis des années. Elle a eu une liaison, est tombée enceinte, et la société l’a complètement rejetée.

La protection de l’environnement est un autre domaine d’intérêt de votre travail. Comment abordez-vous la narration pour mettre en valeur les pratiques locales et leur impact sur la conservation ?

Un bon exemple de cela est un projet en cours concernant les forêts sacrées. Contrairement à l’Occident, où une zone est créée et protégée par la suite à travers des actions gouvernementales, il y a des pays où la zone est délimitée et personne n’y a accès. Cette zone se régénère. La conservation se fait de cette manière. Cela dit, je tiens à préciser que les communautés indigènes ont beaucoup mieux réussi à protéger l’environnement que d’autres communautés. C’est un fait. À partir de là, il serait intéressant d’étudier ces pratiques plus profondément et voir, comment à partir de là, les politiques environnementales peuvent évoluer.

Qu’espérez-vous réaliser en développant et en partageant des opportunités avec des journalistes qui publient dans des médias locaux et nationaux dans les pays que vous couvrez ?

Revenons à l’infanticide. Mon travail a été publié dans le New Yorker. Beaucoup de personnes m’ont félicitée pour cela. Cependant, pour moi, le plus important était que les décideurs sénégalais prennent conscience de ce qui se passait. Je ne voulais pas que cette histoire se répète. C’était principalement pour eux, car un lecteur aux États-Unis n’aurait pas pu aider à cela. Pour moi, aller sur place et parler à un public international est bien. Mais partager les ressources acquises lors de mes reportages avec un journaliste local afin qu’il puisse en parler dans une perspective nationale et influencer les électeurs et les décideurs politiques dans ce sens est bien plus important.