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Silver Bank

Les déposants pris en otage par un scandale bancaire sans réponses

3 juin 2025, 18:00

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Les déposants pris en otage par un scandale bancaire sans réponses

■ Un courriel récemment envoyé par le porte-parole des déposants individuels à la FCC, au Bureau du Premier ministre et à d’autres autorités relance l’affaire de la Silver Bank.

Lors d’une interpellation du député Govinden Venkatasami au Premier ministre, Navin Ramgoolam, le mois dernier, il a été évoqué que la somme de Rs 3,55 milliards provenait des investissements totaux des entités liées au gouvernement (Government-related entities) dans la Silver Bank, information révélée par l’express depuis février 2023... Cette banque a été placée sous conservatorship le 13 février 2024 car «il y avait des motifs raisonnables de croire que le capital de la Silver Bank était potentiellement compromis et que ses administrateurs auraient pu s’engager dans des pratiques préjudiciables aux intérêts de ses déposants».

Des investissements publics de plusieurs milliards restent bloqués, tandis que les déposants particuliers demandent des comptes aux autorités et anciens dirigeants

Un courriel récemment envoyé par le porte-parole des déposants individuels à la Financial Crimes Commission (FCC), au Bureau du Premier ministre et à d’autres autorités relance l’affaire. Le groupe de déposants porte plainte directement contre l’ancien gouverneur de la Banque de Maurice (BoM), Harvesh Seegolam, ainsi que contre l’ancien ministre des Finances, Renganaden Padayachy, en rendant ces derniers principalement responsables de la «perte» de leurs dépôts. Dépôts placés pour la plupart depuis plus de six ans à la Banyan Tree Bank, devenue par la suite la Silver Bank.

Alors qu’une enquête est en cours auprès de la FCC pour faire la lumière sur la manière d’opérer de cette institution bancaire, le long courriel des déposants demande des réponses aux autorités concernées et pointe aussi du doigt l’ancienne administration de la BoM ainsi que des employés de la Silver Bank, qui auraient été complices de l’homme d’affaires indien controversé, Prateek Gupta. Ce dernier aurait détourné environ Rs 7,7 milliards de la banque, principalement sous forme de prêts en devises octroyés sans garanties solides. Il aurait pu obtenir ces prêts toxiques en conservant le contrôle de l’établissement à distance grâce à des relais internes. Ces prêts, accordés entre janvier 2022 et janvier 2023 à des entreprises liées à Gupta, n’ont jamais été remboursés, même partiellement. Malgré cela, la Silver Bank a continué à en accorder alors même que plusieurs dossiers étaient déjà classés comme prêts non performants.

Dans le courriel, la question de savoir si une enquête a été diligentée contre les anciens administrateurs de la Silver Bank est posée. D’ailleurs, l’un des managers, dit la lettre, rencontrait fréquemment Prateek Gupta à Dubaï, presque toutes les deux semaines. Une Senior Manager of Operations effectuait également ces déplacements pour les mêmes raisons. «Une enquête a-t-elle été menée suite à cela ?», s’interroge la lettre, qui demande aussi comment «le Chief Executive Officer, Vasil Reichvilli, a-t-il pu quitter le pays deux semaines après la mise sous tutelle de la banque». Selon le porte-parole des déposants, un ordre d’interdiction (Prohibition Order) aurait pu être émis contre lui par la cour, à la demande de la police, si la BoM en avait fait la requête. Pour les déposants, cette démarche aurait été d’autant plus justifiée depuis l’éclatement de l’affaire Trafigura en février 2023 impliquant Prateep Gupta.

Bien plus, dit le courriel, durant la mise sous tutelle de la Silver Bank depuis le 13 février 2024, des inspecteurs de la Banque centrale étaient présents quotidiennement dans les locaux de l’institution pour surveiller de près les transferts et surtout les prêts. «Qu’en est-il des rapports que les cadres de la BoM, chargés de vérifier les transferts, ont réalisés ?», demande-t-il, sachant que la BoM et ses anciens dirigeants étaient les premiers destinataires des rapports de contrôle et devraient avoir connaissance des conclusions portant sur les opérations de la Silver Bank.

Le porte-parole craint que trois personnes clés de la Silver Bank «aient collaboré et coopéré à l’octroi de ces prêts toxiques ou non performants, en violation des principes prudentiels de base édictés par la BoM et les standards internationaux tels que Bâle III». Et de rappeler qu’alors que toutes les entreprises enregistrées doivent soumettre leurs bilans financiers chaque année, la Silver Bank ne l’a pas fait depuis sa création en 2021. La banque aurait dû être radiée du registre du Registrar General, ce qui n’a pas été fait. «Comment la Silver Bank Limited a-t-elle pu passer outre, sans aucune action des autorités… ?», peut-on lire dans le courriel, qui accuse de complicité le ministère des Finances et de la BoM sous l’ancien gouvernement.

Enquête sur les prêts toxiques

Le porte-parole demande à la FCC d’enquêter aussi sur tous les prêts toxiques accordés, dont certains au bout de délais très courts, à des sociétés parfois fictives. Il s’appuie sur le rapport du conservateur Arvind Gokhool, mandaté par la BoM depuis février 2024, qui souligne des dérives bancaires inquiétantes où près de Rs 7 milliards de prêts ont été accordés, dont Rs 5 milliards en un temps record, à 33 clients étrangers répartis dans 11 pays. Quarante-quatre prêts sur 68 ont été approuvés en moins de 30 jours. Un cas emblématique est celui de Postique Limited, qui a obtenu Rs 209 millions le jour même de sa demande. Plusieurs entreprises ont reçu d’importants financements alors qu’elles venaient d’être créées, certaines ayant été enregistrées seulement cinq jours avant d’obtenir jusqu’à Rs 200 millions. Une société a reçu Rs 195 millions le jour même de sa constitution. Outre les Rs 5 milliards attribuées à des sociétés étrangères, Rs 900 millions ont été prêtées à 18 clients mauriciens et sont classées irrécouvrables.

Par ailleurs, Rs 1,4 milliard destinées à neuf entreprises locales ont été immédiatement transférés vers des comptes bancaires à l’étranger. Le porte-parole s’interroge sur les clients et entités mauriciens ayant bénéficié de ces prêts. «Le rapport fait également état de sociétés sous enquête judiciaire, notamment en Grande-Bretagne, où certains comptes ont été gelés. La FCC peut-elle aussi enquêter sur ces sociétés ? Le Directeur des poursuites publiques a-t-il la possibilité d’entrer en justice contre elles ?»

L’auteur dénonce une série de manquements graves dans la gestion des fonds de la Silver Bank, pointant l’inaction – voire la complaisance – des instances de régulation, notamment la BoM et le ministère des Finances. Selon lui, bien que la BoM ait exprimé ses inquiétudes face à l’octroi fulgurant de prêts mettant en péril la stabilité de la banque, des interférences auraient permis la poursuite de ces pratiques risquées. Il s’interroge sur le fait que des prêts aient encore été distribués malgré l’intervention de la BoM, sauf si cela a été rendu possible avec le consentement – implicite ou non – des plus hautes sphères décisionnelles.

La lettre envoyée jeudi déplore toutefois l’absence d’enquête sur les dépôts individuels, tout en espérant que «les liens éventuels entre les dirigeants de la banque et certains acteurs politiques et/ou économiques sous l’ancien gouvernement soient enfin révélés». Selon nos renseignements, d’autres démissions sont intervenues depuis quelques mois à la Silver Bank. Certaines personnes ont quitté l’institution depuis le début de cette année. «Pourquoi n’ont-elles pas été interrogées sur les malversations de la Silver Bank ? Sont-elles complices ?», se demandent les déposants.

Le rôle de la BoM pointé du doigt

Citant le gouverneur de la BoM, Rama Sithanen, qui avait vivement critiqué l’implication du précédent ministère des Finances et la complaisance de l’ancien gouvernement dans ce scandale financier, le porte-parole déplore que la BoM n’ait pas respecté ses obligations. «En outre, la BoM doit superviser les institutions financières, assurer la stabilité du système bancaire, agir comme superviseur des banques commerciales, fixer des normes de prêt et veiller à ce que les banques maintiennent des réserves suffisantes… Ces deux hautes institutions, la BoM et le ministère des Finances, ont une part non négligeable dans le déclin financier de la Silver Bank.»

Londres maintient le gel mondial des avoirs de Prateek Gupta dans l’affaire Trafigura

L’homme d’affaires indien Prateek Gupta a échoué en décembre 2023 dans sa tentative de faire lever une ordonnance de gel mondial de ses avoirs personnels et commerciaux. Cette mesure avait été imposée par un tribunal de Londres dans le cadre de l’affaire de fraude majeure aux dépens de Trafigura, géant genevois du négoce de matières premières. Trafigura accuse Gupta et sept sociétés, lui appartenant ou liées à lui, d’avoir orchestré une fraude systématique portant sur des cargaisons de nickel. Le négociant affirme avoir acheté des métaux censés être du nickel de haute qualité, qui se sont révélés être de la ferraille ou d’autres matériaux de faible valeur. Prateek Gupta, dans sa défense, a contre-attaqué en soutenant que le stratagème aurait été imaginé par des membres du personnel de Trafigura. La société a catégoriquement nié ces accusations.

Pour rappel, la Silver Bank Limited a obtenu son permis d’opération le 11 novembre 2021, après avoir repris la licence et les opérations de la BanyanTree Bank Limited. Cette acquisition avait été approuvée par la BoM, qui avait donné son feu vert après une évaluation approfondie (due diligence) et autorisé la recapitalisation de la banque par ses nouveaux actionnaires.

Par la suite, plusieurs institutions publiques ont injecté des fonds considérables dans la Silver Bank. Le Projects Development Fund a investi Rs 3 milliards, suivi de la National Insurance Company Ltd avec Rs 150 millions. La NIC General Insurance a quant à elle contribué à hauteur de Rs 125 millions. La municipalité de Curepipe a engagé Rs 87,7 millions, tandis que le City Council de Port-Louis a investi Rs 45 millions. De son côté, l’Insurance Fund Board a apporté Rs 40 millions et la Mauritius Housing Company Ltd a injecté Rs 100 millions dans cet établissement aujourd’hui placé sous administration. Tous ces déposants ont maintenant très peu d’espoir de récupérer leur argent. Rama Sithanen ne disait-il pas, le 8 décembre 2024, que «la Silver Bank ne pourra jamais honorer ses engagements vis-à-vis de ses créanciers vu que la totalité de ses actifs chiffrés à Rs 8,3 milliards est identique au même montant que ses provisions pour des créances douteuses, soit Rs 8,1 milliards» ?

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