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Parlement
Les innovations du speaker
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Parlement
Les innovations du speaker
Le rythme des suspensions et des expulsions s’accélère. Des questions sont supprimées et des questions supplémentaires interdites. C’est sans parler des longues réponses des ministres, parfois hors sujet et des refus de répondre pour diverses raisons.
Le speaker, Sooroojdev Phokeer, avait commencé à supprimer des questions en vrac dès 2023, comme celles prévues pour le 18 juillet 2023 venant de Patrick Assirvaden, de Farhad Aumeer et d’Osman Mahomed, toutes relatives à l’emploi par le commissaire de police (CP) d’avocats et d’avoués du privé au lieu de ceux, gratuits, du Directeur des poursuites publiques (DPP). L’acting clerk de l’Assemblée nationale avait donné comme raison du rejet qu’une affaire était devant les tribunaux et donc, sub judice. Patrick Assirvaden a déjà déposé une demande de révision judiciaire de cette décision en avançant que sa question ne concernait pas le fond de l’affaire mais seulement la raison pour laquelle le CP n’avait pas eu recours aux avocats du DPP mais à ceux du privé. Il voulait aussi connaître le montant des honoraires à être payés à ces derniers. La Cour suprême ne s’est pas encore prononcée jusqu’ici.
En 2024, le speaker est passé à la vitesse supérieure. Lors de la reprise des travaux parlementaires le 26 mars, il a fait un de ses fameux announcements. Il s’est référé à des déclarations à la presse de la part d’Ehsan Juman, de Farhad Aumeer et d’Arvin Boolell, qui se plaignaient que leurs questions aient été rejetées sans aucune explication. Il a invoqué le standing order (SO) 27 qui dit que le speaker est le seul à décider si une question est admissible ou pas. Cependant, il n’a pas cité tout le standing order qui en fait conditionne le rejet d’une question «when, in his or her (NdlR, le speaker) opinion, it is an abuse of the right of questioning or calculated to obstruct or affect prejudicially the proceedings of the Assembly». Les questions rejetées ne paraissaient pourtant pas avoir ces caractéristiques, mais étaient plutôt embarrassantes pour le gouvernement. Par exemple, celle d’Ehsan Juman avait trait à la révocation du ministre Vikram Hurdoyal et dans celle d’Arvin Boolell, celui-ci voulait savoir si le président de la République était intervenu dans le conflit constitutionnel opposant le DPP au CP.
Sooroojdev Phokeer a trouvé pertinent d’ajouter que tout député dont la question a été refusée doit en parler en privé au speaker, sous-entendant par là, pas dans la presse. Et interprétant l’article 21 (4) des SO à sa manière, Phokeer a décrété que la «responsibility of seeking clarifications as to the reasons why a Parliamentary Question has been disallowed by the Speaker rests with the hon. Member concerned and not the Speaker or the Clerk». Alors qu’en fait, le SO 21 (4) stipule : «When a question has been refused or amended, and the Member concerned wishes to make representations to the Speaker on the matter, these must be made privately to the Speaker and not raised by way of a point of order in the Assembly.» En clair, le SO dit que si le député veut contester le rejet de sa question, il doit le faire en privé au speaker – par lettre ou de vive voix, on présume – et non pas durant une séance parlementaire. C’est d’une nuance considérable.
Le 16 avril, Kalpana Koonjoo- Shah rapportait Joanna Bérenger au speaker, alléguant que celle-ci aurait lancé au Premier ministre : «Limem inn touy Kistnen.» En fait, Joanna Bérenger avait dit : «Ki sannla inn touy dimounn? Zamé linn touy dimounn?… Li kinn touy dimounn!» Et cela a été confirmé dans le Hansard deux jours plus tard. Elle faisait en fait référence à l’accident mortel causé par Pravind Jugnauth en 1996. Mais, le 16 avril, après avoir entendu l’accusation erronée de Koonjoo-Shah, le speaker a demandé à Joanna Bérenger de dire la vérité, sinon elle serait sanctionnée après que le speaker aurait réécouté les échanges. Et après l’avoir fait, il a dit : «In fact, she lied.» Tout en admettant que «…it is confirmed that Hon. Joanna Bérenger, in fact, did utter the following words : Limem linn touy dimounn.» Et de demander quand même à la députée mauve de présenter ses excuses. Les protestations de Joanna Bérenger n’ont servi à rien, sauf à se faire expulser et suspendre pour trois séances.
Contrairement à la raison qui a été avancée à Patrick Assirvaden pour le rejet de la question du 18 juillet 2023 concernant l’emploi de juristes du privé par la CP, le speaker a donné une signification moins élastique au concept de sub judice, le 16 avril 2024, pour justifier l’admission d’une Prime Minister’s Question Time venant de Joanne Tour (B/159). Pour lui, l’affaire des coffresforts de Navin Ramgoolam, bien que devant le tribunal, n’était encore qu’à un stage préliminaire et que donc que «the subject matter is not sub judice inasmuch as there is no real and substantial danger that is going to impact or prejudice the outcome of the case».
Le 7 mai, lorsque Arvin Boolell a voulu poser une question supplémentaire sur la Silver Bank, le speaker a inauguré un nouveau règlement : «It is the Speaker who thinks whether it is fit and proper to ask a supplementary question.» Le 7 mai toujours, Patrick Assirvaden a, lui, été expulsé et suspendu par le speaker pour avoir refusé de présenter des excuses «pour avoir écrit une lettre au speaker». Sooroojdev Phokeer a jugé la lettre offensante et n’a pas permis au député travailliste de s’expliquer. Encore une innovation du speaker. Patrick Assirvaden, empruntant un terme sportif, nous a déclaré que le «goalkeeper a dégagé en touche».
Le 14 mai, pour soutenir ses dires à l’effet que les Kistnen Papers n’étaient qu’un karné laboutik, Pravind Jugnauth a déclaré que la veuve Kistnen n’a pas reconnu l’écriture de son défunt époux sur l’agenda. Le Premier ministre se fiait à un article de presse. Le speaker l’a laissé faire alors que quelques minutes auparavant, Alan Ganoo avait conseillé à Sooroojdev Phokeer, et que celui-ci a accepté, d’interdire à Shakeel Mohamed d’invoquer des articles de presse au Parlement. Nous avons tenté en vain de savoir si un membre du gouvernement peut citer des articles de presse et l’opposition, non.
Le même jour, Franco Quirin a voulu poser une question supplémentaire au ministre des Sports après que ce dernier a répondu que son ministère n’est pas impliqué dans le recrutement de l’entraîneur national de foot. Le speaker l’en a empêché, disant que c’est sa prérogative de décider si l’on peut poser des questions supplémentaires. Contacté, Franco Quirin nous a expliqué que par sa question principale, il voulait savoir, entre autres, quels critères avaient été utilisés pour choisir le coach. «Le ministre aurait dû s’en enquérir auprès de la Mauritius Football Association et ensuite revenir au Parlement avec les détails. Mais à la place, il a répondu à côté pour fuir ma question. Le Speaker m’a interdit toute question supplémentaire avant même d’en connaître le contenu. Quand j’ai demandé des explications, il m’a expulsé.» Le député mauve se désole : *«Un piètre ministre qui botte en touche et un piètre goalkeeper qui se jette sur l’attaquant adverse au lieu de se jeter sur le ballon, pour reprendre un jargon footballistique.»
Lors de la Private Notice Question du même jour, Shakeel Mohamed a voulu savoir si le Premier ministre avait été interrogé pour avoir juré un faux affidavit. Pour le speaker, on ne peut pas poser une question au Premier ministre comme accusé. À qui donc cette question doit-elle être posée ? Personne ne le sait.
«Koz-kozé»
Le 7 mai, répondant à une question de Xavier-Luc Duval– la première depuis qu’il a démissionné comme leader de l’opposition –, Bobby Hurreeram a expliqué son projet pour éviter d’autres inondations à St-Jean, Quatre-Bornes : «So, there will be a swale that will be dug to take the water further down up to Rivière-Sèche. So, maybe if the ex-Leader of the Opposition wants to have a private meeting, we can koz kozé and explain to you.» Réplique de Duval : «I am not into private meetings.» Et à Stephan Toussaint de commenter: «Zoli linvitasion!»
«Certain and some»
Le 14 mai, Nando Bodha a posé une question supplémentaire au Premier ministre : «Whether there is a cost sharing mechanism between India and Mauritius with regard to this more sophisticated surveillance (NdlR, pour Agaléga).» Réponse loin d’être precise, pour dire le moins : «There are certain costs that will be at the expense of India and there will be certain costs that, of course, Mauritius will incur. In terms of the personnel that will be deployed there, it will be of some costs to the Government. There are also going to be personnel from India that will be based there.» Ces informations vagues ont visiblement satisfait Bodha.
«Poz kestion dan nou plas!»
Toujours le 14 mai, pour justifier la non mise en place pour le moment d’une cour spécialisée pour traiter les affaires de drogue, Maneesh Gobin a fait comprendre que, entre autres raisons, ce n’était pas les tribunaux qui tardent à juger les suspects, mais qu’il y avait l’enquête policière qui tardait. Aadil Ameer Meea a voulu poser une autre question supplémentaire : «Yes, I know. Of course, it is enquiries that take the time, but, very often, the Court also takes time to give conviction. It is not only…» Et au speaker d’intervenir. Ne laissant pas le temps au député mauve de poser sa question, il a déclaré: «Let the Hon. Minister reply!» Aadil Ameer Meea a déclaré: «No, I have not finished!» Le speaker: «You said…» Ameer Meea : «No, I have not yet asked my clarification…» Il y a eu beaucoup d’échanges, de quiproquos et de pertes de temps par la faute du speaker – comme au théâtre –, Phokeer empêchant Ameer Meea de poser sa question et le faisant à sa place. Ameer Meea a voulu se faire entendre, en vain : «I did not have time to ask my question!», pendant que Gobin répondait déjà au… speaker. Arianne Navarre- Marie a interpellé le speaker: «You are putting the question in his place!» Le speaker n’était pas content et s’est emporté : «You, keep quiet!» Navarre-Marie était stupéfaite : «You, keep quiet too!» Et le speaker de lui demander de walk out. Navarre-Marie : «Kontinie met madam deéor. Poz kestion dan nou plas!» Le speaker : «This is not the way to talk to a Speaker.» Notre Assemblée nationale devient de plus en plus burlesque.
Ganoo est «stunned»
À une question d’Arvin Boolell, Alan Ganoo a tenté de justifier l’arrêt du service du métro le 1er-Mai. «Firstly, I am really stunned that after having harshly criticised the implementation of the Metro Express project for long and even publicly announced after Covid that Government should put an end to this project of Metro… Now Members of the Opposition are feeling aggrieved on the nonoperation of the light rail.» Alan Ganoo venait d’oublier qu’il avait lui aussi combattu le projet métro juste avant 2019. Il a pondu une deuxième perle mardi dernier : l’arrêt du métro a privé le Mouvement socialiste militant de 5 000 partisans à Vacoas et n’a eu que 30 000 personnes.
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