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La drogue dans le manifeste de L’Alliance Lepep
Les promesses du PACE Bill et d’autres réformes restées lettre morte
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La drogue dans le manifeste de L’Alliance Lepep
Les promesses du PACE Bill et d’autres réformes restées lettre morte
Les dirigeants de l’Alliance Lepep ont présenté leur manifeste électoral, mercredi.
Le manifeste électoral de l’Alliance Lepep, présenté mercredi, met en avant des mesures ambitieuses dans la lutte contre le fléau de la drogue. Parmi ces mesures, la suppression des arrestations automatiques sur la base d’accusations provisoires et la création d’un tribunal spécial pour accélérer le traitement des délits liés à la drogue, se démarquent. Ces initiatives s’accompagnent de la mise en place d’une Specialised Drug Prosecution Unit au bureau du Directeur des Poursuites Publiques (DPP), ainsi que d’une coopération renforcée avec des organisations internationales spécialisées. Cependant, plusieurs interrogations subsistent, laissant planer le doute sur l’efficacité et la réelle volonté d’appliquer ces réformes.
Par exemple, le Police and Criminal Evidence Bill (PACE), longtemps attendu, vise à obliger les forces de l’ordre à vérifier toutes les preuves avant de procéder à une arrestation. Bien que ce projet de loi ait été rédigé avant les élections de 2014, il n’a jamais été présenté. Près de dix ans plus tard, ce texte crucial, qui pourrait prévenir les abus de la part de policiers, demeure en suspens. D’autre part, l’engagement d’appliquer les conclusions du rapport Lam Shang Leen, rendu public il y a six ans, semble arriver tardivement et soulève des questions quant à la volonté réelle d’apporter des changements structurels.
En effet, la pratique des charges provisoires, souvent critiquée, permet aujourd’hui à la police de détenir des suspects sans preuve concluante. Les abus constatés, notamment des arrestations arbitraires, suivies de délais injustifiés avant que les dossiers ne soient référés au bureau du DPP, montrent les failles de l’actuel système. Le bureau du DPP a maintes fois dénoncé ces abus lors d’affaires en cour et c’est d’ailleurs cette situation qui a poussé le commissaire de police, Anil Kumar Dip, à déposer une plainte constitutionnelle, alléguant que le DPP aurait outrepassé ses pouvoirs au lieu de trouver une véritable solution au problème.
La suppression de cette pratique, proposée par l’Alliance lepep, indique donc une reconnaissance tacite de ces dysfonctionnements. Mais une question essentielle demeure : quelle alternative sera mise en place pour éviter les abus ? Le Police and Criminal Evidence Bill (PACE), longtemps attendu, semble répondre en partie à cette problématique. Ce projet de loi était prêt avant les élections de 2014 mais n’a jamais été présenté au Parlement, ni après les élections de 2015, ni après celles de 2019. À chaque interpellation parlementaire, l’Attorney General Maneesh Gobin a assuré que le texte était «en attente» ou en cours d’être renommé pour refléter ses véritables intentions. Cette inaction, qui dure depuis près de dix ans, laisse perplexes de nombreux observateurs.
Manque d’effectifs au bureau du DPP
La réforme du système judiciaire proposée dans le manifeste électoral de l’Alliance lepep inclut aussi la création d’un tribunal spécial pour accélérer le traitement des affaires liées à la drogue. Ce tribunal serait constitué de plusieurs juges, augmentant ainsi la capacité d’accueil des dossiers et permettant de réduire les arriérés. Actuellement, certains juges se spécialisent déjà dans les affaires de drogue mais leur nombre limité ne suffit pas à faire face à l’ampleur des cas référés quotidiennement au bureau du DPP. La lenteur des procédures judiciaires constitue un obstacle majeur et il est impératif de doter le bureau du DPP de ressources humaines supplémentaires. Actuellement en sous-effectif, ce bureau peine à répondre à la demande croissante de traitement des affaires.
L’avocat Germain Wong Yuen Kook soutient que la création de ce tribunal est bénéfique mais estime qu’une réforme plus profonde du PACE est nécessaire pour véritablement transformer le système. Il propose notamment la création de trois salles d’audience, dont l’une dédiée exclusivement aux cas de consommation de drogue tandis que les deux autres traiteraient des délits plus graves. Pour répondre aux inquiétudes liées aux méthodes parfois brutales de la police antidrogue telles que le planting et la brutalité policière, Me Wong Yuen Kook suggère également que toutes les opérations de la brigade antidrogue soient filmées. De plus, en cas d’allégations de brutalité, la loi devrait prévoir la possibilité pour les accusés d’être examinés par un médecin privé afin de vérifier la validité des confessions obtenues.
Révision des pratiques policières
Le véritable défi ne réside pas seulement dans la création de nouvelles institutions ou dans la modification de la procédure des accusations provisoires. Comme le souligne l’avocat, une refonte complète du cadre législatif est nécessaire pour garantir l’efficacité des nouvelles mesures. «La lenteur judiciaire, bien que théoriquement abordée par la création d’un tribunal spécial, doit être traitée de manière systémique. De plus, sans une réforme des pratiques de la police antidrogue, notamment pour éviter les abus tels que les montages de preuves, les changements législatifs risquent de demeurer inefficaces. Cette refonte ne doit pas se limiter à des mesures symboliques. Elle doit être accompagnée d’une révision des pratiques policières et d’un encadrement rigoureux pour prévenir les abus. Les réformes, aussi prometteuses soient-elles, ne seront véritablement efficaces que si les agents des forces de l’ordre agissent avec transparence et intégrité», dit-il.
Où en est-on avec le rapport Lam Shang Leen ?
Le retard dans la mise en œuvre des recommandations du rapport Lam Shang Leen, publié il y a six ans, est un autre sujet de préoccupation. Ce rapport de la commission d’enquête sur la drogue proposait plus de 400 mesures. Il soulignait déjà les failles dans la lutte contre le trafic et la consommation de drogue et proposait des réformes concrètes. Toutefois, les autorités n’ont jusqu’à présent pas donné suite à la majorité de ces recommandations, et ce n’est que maintenant que le gouvernement semble se décider à avancer sur ces questions. La recommandation de créer une National Drugs Investigation Commission (NDIC), en remplacement de l’Anti-Drug and Smuggling Unit (ADSU), constitue l’un des points majeurs du rapport de la commission d’enquête sur la drogue. Contrairement à l’ADSU, souvent critiquée pour son manque d’efficacité et sa vulnérabilité à l’ingérence, la NDIC serait dotée de «special powers», lui permettant une plus grande autonomie d’action. Où en est-on ? L’idée de mettre sur pied cette commission a-t-elle au moins été étudiée ? Pour Hector Tuyau, enquêteur spécial de la commission, tout est question de volonté. Il est d’avis que le rapport de la commission aurait dû être appliqué intégralement depuis longtemps pour renforcer la lutte contre la drogue. «Si le gouvernement envisage maintenant de mettre en œuvre les recommandations de ce rapport, c’est une bonne chose. Il faut se rappeler que c’est ce même gouvernement qui a consacré des fonds publics à la création de cette commission», dit-il. Selon lui, les policiers de l’ADSU opèrent actuellement avec les moyens disponibles, malgré certaines «brebis galeuses» dans leurs rangs. «Je suis convaincu que toutes les mesures préconisées dans le rapport sont tout à fait réalisables. Tout dépend de la volonté et de l’engagement des responsables politiques», ajoute-t-il.
En fin de compte, si les nouvelles promesses de l’Alliance lepep apparaissent positives sur papier, il reste à voir si celles-ci seront enfin traduites dans les faits ou si elles finiront par rejoindre la longue liste des engagements non tenus.
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