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Questions à... Megh Pillay, ex-directeur général de Mauritius Telecom
«Les risques de sniffing sont aussi réels»
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Questions à... Megh Pillay, ex-directeur général de Mauritius Telecom
«Les risques de sniffing sont aussi réels»
La fuite des conversations téléphoniques et, surtout, celles concernant des «intouchables» encore hier, dans le giron du pouvoir, domine la campagne électorale, avec les divulgations de «Missie Moustass» qui s’accentuent à l’approche du scrutin. Alors que certains débattent encore sur ce qui devrait interpeller le plus, entre le contenu scandaleux des bandes sonores rendues publiques et les pratiques d’interception abusives, posant des questions de vie privée et de manipulation, l’ex-directeur général de Mauritius Telecom (MT) nous emmène dans un univers qui fut, un temps, secret d’État.
Pour avoir dirigé Mauritius Telecom (MT), est-ce la fuite en elle-même ou le contenu des morceaux choisis de cette affaire d’écoute politicomédiatique, jusqu’à preuve du contraire, qui vous choque ?
D’emblée, MT n’est certainement pas responsable de l’écoute. Cependant, tous les opérateurs de réseaux, y compris MT, sont obligés de fournir une passerelle de liaisons de télécommunications et des nœuds d’interception permettant au service de sécurité de l’État de capter les échanges téléphoniques, y compris messages, courriels et même certains transferts de fichiers. Chaque écoute doit, au préalable, être motivée et obtenir une autorisation judiciaire. Suivant cette autorisation, l’opérateur doit fournir les relevés détaillés de l’abonné pour confirmer ces appels et les valider devant la justice. Donc, la fuite choque dans la mesure où l’interception téléphonique se faisait uniquement par la police dans un cadre légal, dans un local hautement sécurisé et par un personnel assermenté restreint, pour traquer des criminels.
En ce qui concerne le contenu, il est plus écœurant que choquant car il ne tombe pas sous les motivations qui justifient un mandat judiciaire. Il est surtout inconcevable qu’un chef de la police se fasse lui-même intercepter, enregistrer et diffuser au grand public. Si ces enregistrements proviennent du système opéré par le service de renseignement national, il serait clair que notre système d’interception s’est complètement effondré. Mais il est plus probable que ce qui se passe est hors du contrôle des services officiels.
Que savez-vous de l’origine de l’espionnage téléphonique par l’État supposé, comme vous dites, se limiter à la sécurité intérieure et la traque des criminels et trafiquants de drogue ?
Je ne souscris pas à l’expression espionnage par l’État. Un système d’interception légale, et je précise légale, est un outil indispensable dans la conduite des enquêtes concernant la sécurité nationale, le crime organisé, le terrorisme, le trafic de drogues, la chasse aux criminels, des évadés de justice, etc. Confié entre de bonnes mains et utilisé à bon escient, il sert à la sécurité et la protection de notre société. Mais l’efficacité de l’outil dépend de son niveau de sophistication, de son bon usage, de sa supervision avec un contrôle indépendant et neutre et surtout de l’intégrité professionnelle de ceux qui l’opèrent.
Comment en avez-vous été partie prenante au cours de votre passage d’une décennie à la tête de MT ?
Il était de mon devoir comme directeur général, d’assurer la bonne marche des passerelles reliant nos centraux à l’équipement d’interception de la police et de fournir les factures détaillées sous autorisation judiciaire. Au début de mon mandat, un système opérait déjà. MT venait d’être créée suivant une fusion entre MTS (Mauritius Telecommunication Services) possédant un vieux réseau de 85 000 lignes de téléphonie fixe et OTS (Overseas Telecommunication Services ex-Cable & Wireless Ltd) possédant la station satellitaire de Cassis. Pour sa part, Emtel opérait un réseau de téléphonie mobile de standard analogique avec moins de 10 000 abonnés connectant avec MT. À son arrivée en 1995, le Premier ministre (PM) Dr Navin Ramgoolam a ordonné la cessation immédiate de toute interception téléphonique. Donc, MT a enlevé les passerelles, isolant ainsi son réseau domestique et international de l’équipement de la police. À mon départ, MT avait déjà remplacé les 85 000 lignes vétustes, par un réseau digital de plus de 350 000 lignes et déployé 250 000 mobiles standard GSM, l’Internet, un réseau de fibre optique national interne, le câble sous-marin SAFE, la station internationale de Baie-du-Jacotet tout comme les liaisons de bande passante à haut débit aux entreprises et particuliers.
Vers la fin de la décennie, le besoin de rétablir une capacité d’interception d’appels s’est fait cruellement sentir. En accord avec le CP et le Security Adviser, on a persuadé le PM Ramgoolam de l’importance d’un système d’interception mais aussi longtemps qu’il soit opéré dans un cadre légal et professionnel pour protéger la vie privée des citoyens comme c’était la pratique au Royaume-Uni, en France et aux États-Unis. Réticent au début, il a finalement donné sa bénédiction. Il en a parlé publiquement ces derniers jours et avec raison.
Cela confirme que celui qui dirige MT est lié aux écoutes téléphoniques. Hormis les opérateurs de téléphonie public et privés, qui d’autres ?
Oui, je le confirme. MT de même que tous les opérateurs de réseau et les prestataires de services de télécommunications, y compris d’internet, sont légalement obligés de relier leurs systèmes respectifs au centre d’interception du service de renseignement officiel de l’État par des lignes à haut débit dédiées. D’ailleurs, c’est une pratique courante et une exigence qui s’applique dans quasiment tous les États démocratiques libres du monde. Maurice ne pouvait plus, par manque de moyens, s’exclure de la lutte internationale contre le terrorisme, le crime organisé et le trafic de la drogue, par exemple.
Qui décide qui faut-il mettre sur écoute ? Vous a-t-on déjà sollicité à cet effet ?
C’est là où le bât blesse. La question de qui décide, qui met quel abonné sur l’écoute, quand et pendant quelle durée relève uniquement de la discrétion de la police. Mais toute interception doit être impérativement précédée d’une autorisation spécifique d’un juge en chambre suivant une demande clairement motivée. Et uniquement la police est capable de le faire, pas MT ou les autres opérateurs.
Pour répondre à l’autre question, non, on ne m’a jamais sollicité pour une écoute. Par contre, pour un relevé des appels sortants et entrants du téléphone d’une tierce personne, oui. Comme il est interdit de remettre les détails des appels d’un abonné à une tierce partie, sans un mandat judiciaire, on refuse catégoriquement, même à un conjoint ou un parent si le téléphone n’est pas enregistré à leur nom. Par contre, il y a tellement d’employés qui ont accès à cette base de données que je ne mettrai pas ma main au feu. Ils étaient constamment mis en garde des risques de mauvaises interprétations de l’information qui puissent engendrer des conflits personnels ou familiaux.
A-t-on déjà fait appel à vous pour le ralentissement du débit d’Internet ou pour localiser un portable comme on a pu l’entendre dans des conversations fuitées par «Missie Moustass» ?
Jamais ! Cela aurait été vraiment pathétique.
Qui sont ceux qui ont accès aux conversations enregistrées ?
Normalement personne, sauf le CP et le chef du service des renseignements. Cependant, nos réseaux sont modernes et la pénétration de l’Internet est très profonde pour un pays si dense et exigu. Avec les récentes avancées technologiques, toute notre infrastructure de télécommunication est exposée au piratage. L’intégrité d’un système d’interception légale est susceptible d’être compromise par un piratage ciblé. Pas n’importe qui peut le faire. Il faut se méfier des puissantes agences étrangères et renforcer la sécurité de notre infrastructure et en bannir l’accès aux étrangers. Les risques de sniffing (le «reniflement» pour la surveillance du trafic Internet en temps réel) sont aussi réels. La station de Baie-duJacotet étant le point où tout le trafic Internet entre et sort de Maurice, les équipements s’y trouvant doivent être en permanence protégés contre le piratage.
Navin Ramgoolam vous a cité en évoquant sa décision de mettre fin aux écoutes téléphoniques lorsqu’il était au pouvoir en 1995. Comment avez-vous tenu cet engagement qu’il a exigé en écrit de vous ?
Je confirme ce qu’a dit publiquement l’ex-PM me concernant. Le Dr Navin Ramgoolam était viscéralement contre l’interception téléphonique peu importe si c’était un outil important de la police. Il a ordonné au commissaire de police et au chef du service des renseignements de discontinuer l’interception des appels. Connaissant le rôle de MT, il voulait s’assurer que les liaisons furent effectivement supprimées d’office et les installations physiquement enlevées. Le responsable du réseau de MT, qui avait tout de suite exécuté les instructions, m’a soumis un rapport et, vu la sensibilité du sujet, m’a fait voir tout ce qu’il avait récupéré et transporté dans les locaux de MT. Clairement insatisfait des assurances verbales de la police et n’ayant pu lui-même se déplacer pour un constat de visu, le Dr Ramgoolam me demanda bien après, une garantie personnelle en écrit.
Est-ce vrai que Navin Ramgoolam y était farouchement opposé parce qu’il avait justement reçu des enregistrements de ses conversations sous l’ère SAJ tout comme ceux de son adversaire qui n’était plus au pouvoir ?
Sans aucun doute. Il s’était furieusement exprimé contre la pratique de l’interception légale. Il m’a plus d’une fois expliqué les raisons de cette opposition farouche et de sa méfiance de l’Establishment concerné. Il se considérait personnellement victime d’interception illégale et voulait épargner aux autres toute invasion de leur vie privée à leur insu. Il m’avait même brandi des enregistrements de ses conversations privées captées pendant qu’il était dans l’opposition. On peut deviner comment ils sont tombés entre ses mains ! Le comble, une fois en poste, on lui refila des enregistrements de son prédécesseur SAJ, alors devenu simple citoyen. Il en était absolument furieux.
Cet abus remonte donc à bien avant 1995 ?
Clairement, personne ne cherchait plus une autorisation judiciaire avant d’intercepter la conversation de qui que ce soit et ils agissaient à leur propre gré. Pour le Dr Navin Ramgoolam, c’était l’évidence que l’interception des conversations privées se faisait hors du cadre légal sans motivation valable et bien sûr sans mandat, et cette pratique était monnaie courante.
Quelle a été la suite de cette affaire après que Navin Ramgoolam a brandi votre engagement en écrit au Parlement suivant une déclaration embarrassante de sir Gaëtan Duval (SGD), alors leader du PMSD, affirmant que son adversaire politique SAJ était sur écoute ?
Il m’a raconté les circonstances dans lesquelles SGD a réalisé qu’une conversation privée anodine avait été enregistrée au moment où il prenait un vol vers Maurice, et qui lui a valu un incident à la douane à son arrivée à Plaisance. Sa conversation avait été mal interprétée et on l’interpella pour une banalité. Cet incident intervenant avant le démantèlement du système d’écoute a embarrassé le PM qui avait déjà annoncé la cessation des écoutes provoquant une question parlementaire. Pas satisfait de la réponse rédigée par son personnel, il a demandé à me voir à son bureau pendant la pause déjeuner du Parlement qui siégeait ce jour-là. Nous en avons discuté, et méticuleux comme toujours, il a peaufiné sa réponse. En entendant la sonnerie annonçant déjà la reprise de la séance, il m’a donné de quoi écrire me demandant de lui remettre une garantie écrite, avant de repartir au Parlement à toute vitesse. Cinq minutes après, le manuscrit lui a été remis. Et sous la rafale de questions supplémentaires, il a fait référence à nos échanges sur le sujet et déposa le manuscrit que je venais de lui remettre.
Ayant aussi dirigé MT sous le «Primeministership» de SAJ, quelles étaient les limites des écoutes téléphoniques sous Jugnauth père et Navin Ramgoolam qui a lui aussi fini par se plier aux exigences de l’intelligence interne et externe par la suite ?
Après l’installation du nouveau système d’interception vers la fin du premier mandat du Dr Navin Ramgoolam, on n’a été sollicité que pour les détails des appels dans de rares cas. Ces demandes étaient toujours appuyées par l’autorisation judiciaire. Il a perdu les élections de 2000 et France Telecom est arrivé peu de temps après en novembre. Un Chief Operations Officer français a pris la charge des réseaux sous mon contrôle. Absolument aucun incident sous SAJ ou sous Paul Bérenger jusqu’à mon départ pour MK à la fin de 2003. On peut présumer que ceux concernés avaient tiré des leçons et ne s’aventuraient plus à l’excès de zèle. À ma connaissance, personne ne s’est plaint d’être victime d’écoute durant toute cette période. Je ne peux répondre pour après mon départ.
L’un comme l’autre vous a-t-il demandé d’intervenir ou de faciliter l’écoute téléphonique des opposants politiques, des membres du judiciaire, des journalistes ou quelconque autre citoyen lambda sans approbation judiciaire ?
Non, jamais. Ni les PM, ni leurs chefs de Cabinet respectifs, ni leurs conseillers. Comme ils me connaissaient tous assez bien, ils ne se seraient pas embarrassés en me demandant d’ag ir dans l’illégalité.
Pour avoir déjà été mis face à une requête visant à mettre fin aux écoutes, comment est-ce que celui qui dirigera le pays après le 11 novembre peut-il nous garantir que le droit à la vie privée des citoyens sera respecté ?
Un système d’interception légale est indispensable pour aider la police à surveiller les criminels fichés et dans la poursuite d’enquêtes sur les activités criminelles. Le nôtre est complètement dépassé. Il lui faudra revoir de fond en comble tout l’écosystème en tenant en compte les avancées technologiques qui rendent vulnérables les réseaux publics, le centre d’interception et chaque téléphone, même en mode passif. Il ne faut pas réinventer la roue. Les modèles existent et sont en évolution constante. Il lui faudra se concerter avec les instances internationales spécialisées et élaborer la formule qui nous conviendra le mieux.
Vous maintenez que le CEO ne peut intervenir ou avoir accès aux enregistrements ?
Le CEO de MT est hors de cause comme expliqué plus tôt. De façon légale, il n’y avait que le commissaire de police et le chef de l’intelligence qui pouvaient avoir accès ou intervenir. Probablement que le protocole ait changé, depuis, que toute l’opération soit décentralisée, les pouvoirs discrétionnaires délégués à plusieurs au sein de la hiérarchie, voire que le système a été déporté ou répliqué. Les technologies ont des failles qui pourraient être exploitées. Au cas où l’infrastructure d’interception légale et les réseaux publics ne sont pas totalement sécurisés et régulièrement audités, ils seront exposés aux risques d’être compromis par le piratage. Par le niveau de sophistication, la qualité des voix enregistrées, la diversité des communications, etc., la police doit, à l’heure qu’il est, déjà savoir si son système ou le réseau public a été piraté par des acteurs malveillants qui y ont repéré des failles.
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