Publicité

L’heure des comptes après l’ivresse électorale

1 mai 2025, 08:43

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

La transition politique de 2024 à Maurice avait suscité de grands espoirs. Mais la réalité économique héritée du précédent gouvernement laisse peu de marge de manœuvre Pour balancer le Budget 2025-26. le nouveau pouvoir se dit confronté à une équation brutale : imposer la rigueur ou risquer l’effondrement. Ce qui est loin, très loin, de la réalité décrite par l’ancien régime (voir hors-texte).

Par tous les standards, la lune de miel électorale de Maurice est terminée.

L’euphorie de novembre dernier, portée par des promesses de renouveau politique, a laissé place à une réalité plus rude : il n’existe pas de baguette magique pour réparer une économie abîmée.

Bien sûr, l’histoire est familière – et pas seulement à Maurice. Il est facile de multiplier les promesses en campagne. Il est facile de parler, en termes lyriques, de prospérité retrouvée. Gouverner, en revanche, c’est faire face à l’arithmétique. Et comme Margaret Thatcher l’avait un jour souligné : «On ne peut pas négocier avec les chiffres.»

Ces dernières semaines, le Premier ministre, Navin Ramgoolam, a commencé à exposer publiquement cette arithmétique impitoyable. Devant le Parlement, en conférence de presse, et à travers les premières projections budgétaires pour 2025-26, le nouveau gouvernement a lentement défait l’illusion entretenue par ses prédécesseurs selon laquelle «tout allait très bien, Madame la marquise».

La vérité est brutale : ils ont hérité d’un champ de ruines. Les deux Supplementary Appropriation Bills présentés récemment ont mis à nu un déficit réel de 9,5 % du Produit intérieur brut (PIB) – presque trois fois supérieur aux prévisions officielles. La dette publique atteindra plus de 90 % du PIB d’ici la mi-2025. Les réserves des fonds spéciaux, censées amortir les chocs extérieurs, ont été vidées pour financer des cadeaux électoraux.

Le Premier ministre n’a pas mâché ses mots : le gouvernement sortant a dépensé un argent qu’il n’avait pas, imprimé une monnaie qu’il ne pouvait se permettre de créer, et falsifié les chiffres pour dissimuler la réalité.

Il faut pourtant comprendre pourquoi les sirènes du populisme électoral sont si irrésistibles.

Dans une époque gouvernée par l’indignation immédiate et les cycles électoraux raccourcis, il est beaucoup plus facile de promettre des baisses d’impôts, des hausses de salaires, des subventions à la consommation, des logements pour tous – que de dire la vérité sur les contraintes budgétaires.

Le divorce entre la parole politique et la mécanique budgétaire n’est pas une exception mauricienne. Partout où l’illusion a été préférée à la transparence, la désillusion suit inévitablement. Aujourd’hui, à Maurice, ce moment de vérité est arrivé.

Un gouvernement sans espace budgétaire, face à des choix douloureux

Dans ses derniers rapports, le Fonds monétaire international n’a pas mâché ses mots : Maurice doit d’urgence engager une consolidation budgétaire. Cela implique des coupes dans les dépenses publiques, une hausse des impôts, ou les deux. L’agence Moody’s, pour sa part, avait accordé moins de deux ans au pays pour rétablir ses équilibres financiers sous peine de dégradation de sa note souveraine. Cette échéance est derrière la porte.

L’arithmétique est implacable. Pour ramener son déficit budgétaire à 4,9 % du PIB en 2025-26, le gouvernement devra réduire ses dépenses nettes de quelque Rs 17 milliards.

Une augmentation de la TVA apparaît inévitable – chaque point de TVA supplémentaire pourrait rapporter Rs 4 milliards. Mais cela ne suffira pas : il faudra aussi s’attaquer aux dépenses sociales.

Et c’est là que le piège se referme. Les prestations sociales et les transferts représentent aujourd’hui 35 % des dépenses courantes de l’État. Sans réforme des retraites et sans rationalisation des aides, aucun assainissement sérieux ne sera possible.

La privatisation des entreprises publiques est également sur la table – une démarche politiquement explosive. Mais Air Mauritius, la State Trading Corporation, ou encore la Wastewater Management Authority ne peuvent plus être maintenues sous perfusion aux frais du contribuable.

Le gouvernement semble avoir pris conscience de l’urgence. Sous la houlette de Rama Sithanen, la Banque de Maurice a durci sa politique monétaire, ramenant l’inflation à 2,5 % et stabilisant la roupie, qui s’est appréciée de quelque 4,5 % face au dollar depuis novembre.

Cependant, du côté budgétaire, les avancées sont plus timides. Le gouvernement a certes révélé l’état désastreux des finances publiques, corrigé les statistiques falsifiées, mais il hésite encore à engager les réformes impopulaires qui s’imposent.

Maintenir des dépenses sociales élevées tout en promettant de la rigueur budgétaire est une contradiction insoutenable à moyen terme.

La vérité est brutale : Maurice ne peut plus vivre au-dessus de ses moyens. Et les miracles attendus – comme des fonds issus du règlement du litige des Chagos ou des indemnisations du Wakashio – tardent ou s’amenuisent.

La récente décision de l’administration Trump d’imposer un droit de douane de 40 % aux exportations mauriciennes vers les États-Unis est venue rappeler, si besoin était, la vulnérabilité accrue de l’économie mauricienne.

Radicalité ou déclin

Il existe cependant une opportunité : le début de mandat est le moment où un gouvernement peut, politiquement, engager les réformes les plus douloureuses. Reporter les décisions difficiles ne fera qu’amplifier la douleur plus tard – dans un contexte potentiellement plus chaotique.

Navin Ramgoolam a encore la possibilité d’agir vite et fort. De rompre avec la facilité. De dire la vérité aux Mauriciens, même lorsqu’elle est difficile à entendre.

La réalité est qu’il n’y a plus de choix entre douleur et absence de douleur : seulement entre une transition maîtrisée ou un effondrement incontrôlé.

Les contes de fées sont terminés.

Le temps de la vérité est venu. Maurice mérite mieux qu’un effondrement annoncé. Mais il faudra pour cela un courage politique d’une rare intensité pour convaincre Moody’s et nous-mêmes.



Octobre 2024 : Padayachy vantait croissance, emploi et pouvoir d’achat sous l’ère Jugnauth

À quelques semaines des dernières élections générales, l’ancien ministre des Finances, Renganaden Padayachy, avait défendu le bilan économique du gouvernement sortant, vantant des performances qu’il qualifiait d’«historiques» malgré la pandémie de Covid- 19 et les tensions géopolitiques internationales.

Dans un entretien accordé à l’express, il avait affirmé que l’économie mauricienne avait renoué avec une forte dynamique, enregistrant une croissance de 8,9 % en 2022 et de 7 % en 2023. Le Produit intérieur brut (PIB) serait ainsi passé de Rs 512 milliards en 2019 à Rs 734 milliards en 2024, soit une progression de 43 %, selon lui. Le taux de chômage avait chuté à 6,3 %, atteignant son niveau «le plus bas depuis 27 ans». Padayachy attribuait cette reprise à une hausse de 109 % de l’investissement national, une progression de 58 % des exportations de biens et services et une consommation en hausse de 26,5 % sur la même période.

Le ratio de la dette publique, qui avait culminé à 91,9 % en 2021, était prévu de reculer à 71,1 % en juin 2025, dans un contexte d’accumulation de réserves de change atteignant 8,1 milliards USD, contre 3,7 milliards en 2014. Défendant également son action sur le plan social, l’ancien ministre soulignait que le revenu moyen des ménages avait augmenté de près de 89 % entre 2012 et 2023, et que l’ensemble des mécanismes d’aides publiques – hausse du salaire minimum, allocations CSG, subventions – avaient permis de «soutenir et accroître» le pouvoir d’achat réel des Mauriciens.

Sur l’inflation, Padayachy s’appuyait sur les prévisions du Fonds monétaire international (FMI), qui anticipait un taux maîtrisé de 3,5 % pour 2024, pour affirmer que la hausse des prix avait été «plus que compensée» par celle des revenus. Il citait également une baisse significative des inégalités, le coefficient de Gini passant de 0,420 en 2014 à 0,305 en 2023.

Parmi les mesures emblématiques, il évoquait le Wage Assistance Scheme mis en place pour faire face aux effets économiques du Covid-19, salué par les institutions internationales.

S’inscrivant dans une logique de continuité, il promettait, si l’Alliance Lepep était reconduite, une série de nouvelles mesures : augmentation du revenu minimum garanti à Rs 25 000, hausse des pensions de vieillesse à Rs 20 000, aides aux familles à bas revenus, gratuité des médicaments sur ordonnance et Internet subventionné pour les foyers modestes.

«Parole donnée, parole sacrée», lançait-il alors, affirmant que le gouvernement de Pravind Jugnauth avait tenu ses promesses et entendait continuer sur cette voie. Mais le verdict des urnes a chamboulé le tableau économique qu’on nous brandissait et mis le pays sur des rails qui vont dans une direction opposée.

S&P maintient la note à ‘BBB-’ avec perspective stable

S&P Global Ratings a confirmé la note souveraine de Maurice à ‘BBB-/A-3’, assortie d’une perspective stable, a annoncé l’agence vendredi. Cette décision intervient malgré une hausse de la dette publique, qui a atteint près de 80 % du PIB en 2024, selon les conclusions du rapport State of the Economy publié en décembre.

L’agence souligne que la capacité de Maurice à absorber des chocs s’est réduite, dans un contexte de déficits plus élevés et de croissance inférieure aux prévisions initiales. Néanmoins, elle estime que le nouveau gouvernement affiche une volonté ferme de rééquilibrer les finances publiques, avec un objectif de déficit budgétaire ramené à 3 % du PIB d’ici 2028.

S&P prévoit une croissance du PIB réel d’environ 4 % par an sur la période 2025-2028, soutenue par la reprise du tourisme, l’expansion du secteur des services financiers mondiaux et des investissements publics et privés. Le dynamisme économique est toutefois vulnérable aux incertitudes mondiales, notamment à la volatilité des tarifs américains et aux risques climatiques.

Dans son rapport, l’agence met également en garde contre des risques baissiers : un ralentissement marqué de la croissance ou un échec du programme de consolidation budgétaire pourrait conduire à une dégradation de la note. À l’inverse, un assainissement plus rapide des finances publiques et une forte croissance du PIB par habitant pourraient justifier un relèvement de la note.

Malgré sa taille réduite et son ouverture aux chocs externes, Maurice conserve, selon S&P, des institutions relativement solides et un revenu par habitant élevé pour la région africaine.

Publicité