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Éclairage
Licenciements massifs, désillusions électorales et budget de rupture : l’heure des choix difficiles
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Éclairage
Licenciements massifs, désillusions électorales et budget de rupture : l’heure des choix difficiles

Le climat politique, social et économique de ce mois de mai est lourd de tension. Le licenciement de 1 765 travailleurs, recrutés illégalement dans les collectivités locales à la veille des élections générales du 10 novembre 2024, a non seulement mis le feu aux poudres mais il a mis à nu les dérives systémiques d’un modèle de gouvernance miné par le clientélisme.
Après cinq mois d’hibernation post-défaite, l’opposition parlementaire, dirigée par un Mouvement socialiste militant (MSM) mis KO aux dernières élections générales et affaibli par les affaires judiciaires de ses principaux dirigeants, tente de redorer son image en surfant sur le drame humain des licenciements. En l’absence de Pravind Jugnauth et de l’ex-ministre des Finances, Renganaden Padayachy, tous deux mis en cause dans des affaires de fraude et de blanchiment d’argent, les seconds couteaux du MSM sont montés au créneau pour dénoncer ce qu’ils qualifient de «vengeance politique».
Or, il est difficile d’oublier que ce sont précisément ces mêmes protagonistes qui ont mis en place, quelques jours avant le scrutin, ces recrutements de dernière minute, en parfaite connaissance de cause quant à leur illégalité. Selon la Local Government Service Commission (LGSC), les procédures d’embauche ont été contournées. Sans doute, comme le Premier ministre l’a affirmé à Plaine-des-Roches dimanche, pour placer des proches et des sympathisants, dans un calcul politique visant à «acheter» quelques voix à la veille des élections.
Pour les 1 765 familles concernées, la désillusion est immense alors que pour le pays, le signal est grave : l’administration publique a été instrumentalisée à des fins électoralistes, au mépris de l’éthique, de la légalité et des finances publiques. Ce n’est pas une nouvelle pratique. Elle a existé dans le passé.
Le gouvernement fraîchement élu, dirigé par l’Alliance du changement avec Navin Ramgoolam à sa tête, n’a eu d’autre choix que de faire respecter la loi. Bien que politiquement risquée, la décision de mettre fin à ces contrats illégaux apparaît comme un signal fort en faveur de la bonne gouvernance.
Le ministre des Collectivités locales, Ranjiv Woochit, a tenté de désamorcer la crise en annonçant l’ouverture prochaine de 3 000 postes, auxquels les anciens contractuels pourront postuler, cette fois-ci dans un cadre transparent et légal. Une tentative de limiter la casse sociale, tout en envoyant un message clair : l’État ne peut être un employeur de complaisance. Mais cela suffira-t-il à calmer les esprits à 15 jours de la présentation du Budget national ?
Le Budget national 2025-26, attendu le 5 juin, s’avère un test crucial. Après cinq années de budgets populistes sous le tandem Jugnauth–Padayachy, marqués par des allocations tous azimuts et des subventions électoralistes, le pays est à bout de souffle, financièrement à genoux. L’autonomie budgétaire a été sacrifiée sur l’autel du court terme, avec une explosion des transferts sociaux non ciblés et une gestion opaque des fonds publics. Le fonds de la CSG, destiné à financer les prestations sociales contributives, a été vidé à des fins politiques : il accuse aujourd’hui un déficit de Rs 122 millions.
Cette politique d’expansion budgétaire financée par des fonds exceptionnels et des emprunts, entre autres, a fragilisé les fondamentaux économiques. Le défi est donc immense pour Navin Ramgoolam, qui cumule les fonctions de Premier ministre et de ministre des Finances, ainsi que son ministre délégué, Dhaneshwar Damry : il faut redresser les comptes sans briser la cohésion sociale, contenir les attentes tout en restaurant la crédibilité de la politique économique.
L’ancien régime a misé sur une stratégie économique fondée sur la consommation intérieure comme moteur de croissance. Cela a stimulé, à court terme, certains indicateurs mais les effets pervers sont désormais visibles. Le déficit commercial a atteint un sommet historique de Rs 203 milliards en 2024, selon une étude d’Axys, creusé par la flambée des importations – notamment, de produits pétroliers (Rs 60,8 milliards) mais aussi de véhicules – qui sont passées de Rs 6,8 milliards en 2010 à Rs 31 milliards en 2024. Un déséquilibre structurel aggravé par ailleurs par la stagnation des exportations et la faiblesse de la roupie.
Consolidation fiscale
L’heure est à la rigueur budgétaire. Les agences de notation – Moody’s en tête – réclament une consolidation fiscale urgente. Le pays doit limiter ses dépenses récurrentes, améliorer l’efficacité de sa collecte fiscale, réduire le gaspillage public et revoir ses priorités. Le prochain Budget pourrait ainsi introduire des mesures impopulaires : plafonnement ou révision des allocations sociales, rationalisation de certains programmes, augmentation ciblée des taxes indirectes ou élargissement de la base fiscale.
Mais cette rigueur aura un coût politique. Une partie de la population, habituée aux largesses budgétaires, risque de mal vivre ce virage. L’opposition MSM misera sans nul doute sur cette colère populaire pour se faire entendre.
Pourtant, il faut bien reconnaître que l’État-providence mauricien, tel qu’il a été conçu et géré ces dernières années, est sous pression. À force de subventions mal ciblées et de transferts sans contrepartie, on a créé une culture de la dépendance, érodant les valeurs du travail, de l’effort et de la responsabilité. Il est temps d’inculquer une nouvelle culture au travail.
Les jeunes, notamment, doivent être guidés vers l’autonomie, l’entrepreneuriat, l’innovation. En même temps, il faut promouvoir la production locale, valoriser le capital humain et assurer l’investissement dans des secteurs à haute valeur ajoutée. Et pour cela, le Budget doit être un outil stratégique, au service d’une transformation économique profonde, non un simple instrument de redistribution électoraliste.
Ce Budget devra aussi naviguer entre plusieurs fronts : les revendications syndicales en faveur d’une meilleure protection des travailleurs, l’appel de Business Mauritius pour une réorientation stratégique de l’économie, ainsi que les exigences des agences de notation et des bailleurs internationaux. Mais aussi préparer l’architecture économique pour anticiper les chocs à venir, notamment ceux liés à la nouvelle politique tarifaire américaine, qui pourrait affecter les exportations vers les États-Unis. La résilience économique passe par la diversification des marchés, la montée en gamme des produits, et la sécurisation des chaînes d’approvisionnement.
Le Budget 2025-26 est une opportunité – et sans doute la dernière – d’opérer une rupture salutaire. Rupture avec la logique du court terme, celle de la politique du clientélisme et de la dépendance systémique aux aides sociales. Ce moment de vérité exige du courage politique, de la pédagogie et une vision claire. Il ne fera pas que des heureux, mais il pourrait marquer un tournant historique. À condition d’oser le changement.
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