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L’île des attentes
À Maurice, on attend. C’est notre sport national, après la politique. On attend le Budget. On attend la composition d’un conseil d’administration. On attend la loi sur le financement politique. La Freedom of Information Act. Le panel pour amorcer un vrai débat sur la Constitution. On attend même que le ministère de la Santé paie ses fournisseurs – juste pour qu’on puisse avoir du poisson frais dans les hôpitaux publics.
Et depuis 40 ans, on attend la fin du monopole de la MBC. Entre-temps, le monde a changé d’écran. Internet a cassé la porte. Tant mieux.
On attend un changement de leadership à la tête des partis. Mais il y a une chose qu’on n’attend plus : la lucidité.
Parce que le mal – qu’il soit politique, historique ou institutionnel – finit toujours par se payer. Pas par ceux qui l’ont causé, mais par ceux qui héritent du vide. Et ce vide, on l’exploite très bien, ici. Punir aujourd’hui pour ce qui s’est passé hier : c’est la grande mode. L’archéologie du ressentiment comme boussole politique.
Dans le monde, la revanche est redevenue une doctrine. On recycle les traumatismes. On instrumentalise les religions. On ressuscite les Croisades pour justifier les carnages. Les victimes d’hier deviennent les bourreaux d’aujourd’hui. Les crimes du passé légitiment les silences d’aujourd’hui. Et tout le monde applaudit, selon l’endroit où il est assis.
Et ici ? Moins de sang, mais la même mécanique. L’Homo mauricianus a le dos chargé d’une histoire qu’il comprend à moitié mais cite volontiers. Une élite a longtemps cultivé le fantasme d’une parenté exclusive avec la France de 1722. On célébrait le 14 juillet comme une fête nationale bis. C’était chic. Mais c’était aussi un entre-soi confortable. Et parfois toxique.
En face, la peur de perdre a fabriqué un autre extrême : celui de la méfiance paranoïaque. Chaque réforme cache un complot. Chaque projet a un code couleur. Chaque nomination est disséquée : X est le neveu de Y, qui a collé les affiches de Z sur la toile-déversoir. Alors il faut bien le récompenser.
La République se transforme en gâteau. Et tout le monde veut sa part. Les vieux, les jeunes et les enfants.
Personne aujourd’hui n’est responsable des crimes du passé. Mais chacun exploite la douleur qu’ils ont laissée. Et ça paie : politiquement, électoralement, culturellement. On vend la blessure. On l’entretient. On l’institutionnalise. Comme si tourner la page, c’était trahir.
Le Mauricien du XXIᵉ siècle vit dans un pays globalisé, mais pense encore en tribus. Il ne juge pas un projet à son mérite, mais au drapeau de l’investisseur. Il célèbre la Chine le lundi, l’Inde le mardi, l’Europe le mercredi, les États-Unis le jeudi et le Pakistan le vendredi. À condition que ça rapporte.
Et le samedi, il refait son CV. Le dimanche, il refait son pays – à l’apéro.
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On avance, en attendant, avec des discours recyclés, des rancunes bien huilées et des vérités soigneusement rangées dans les tiroirs du silence.
Un jour peut-être – si l’on arrête de faire diversion à longueur de mandats – nos enfants demanderont pardon pour ce que nous avons fait de cette île. Pas pour les fautes d’hier. Mais pour les trahisons conscientes d’aujourd’hui.
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