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Banque centrale
L’indépendance ou le chaos...
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Banque centrale
L’indépendance ou le chaos...

■ (De g. à dr.) Rama Sithanen, Jerome Powell, Donald Trump et Harvesh Seegolam.
L’image est saisissante. Tandis que l’euro atteint un sommet historique de Rs 53,20 face à la roupie mauricienne, à Washington, le président Donald Trump s’en prend avec fureur à Jerome Powell, président de la Réserve fédérale américaine (Fed). Il le traite d’«idiot», menace de le révoquer et l’accuse d’avoir dépensé 2,5 milliards de dollars pour une «rénovation ostentatoire» du siège de la Fed. À Maurice, c’est un autre feuilleton qui secoue la Banque centrale : fuites organisées, guerre d’egos, conflits d’intérêts et interférences ministérielles transforment la Bank of Mauritius (BoM) en champ de bataille institutionnel sous les yeux des observateurs avertis.
Deux contextes différents, un même enjeu fondamental : l’indépendance de la banque centrale. Il est temps d’en rappeler la nécessité – non pas au nom d’un principe abstrait, mais comme pierre angulaire de la stabilité économique et de la crédibilité monétaire.
Depuis leur création moderne au XXᵉ siècle, les banques centrales ont évolué vers un modèle d’autonomie renforcée. En théorie, elles doivent agir comme les gardiennes de la monnaie, à l’abri des caprices électoraux. En pratique, leur indépendance est souvent attaquée dès que leur politique déplaît aux gouvernements en place.
Le cas américain en est une illustration caricaturale. Donald Trump, fidèle à son style interventionniste et impulsif, multiplie les attaques contre la Fed pour obtenir une baisse rapide des taux. Ne parvenant pas à contraindre Powell par les moyens conventionnels, il cherche à l’écorner politiquement, voire à le pousser vers la sortie en le ciblant sur des dossiers annexes. Tout cela sous prétexte de rénovations coûteuses, mais avec un objectif évident : soumettre la politique monétaire à la Maison-Blanche. Le dollar, lui, chute – signe que les marchés, eux, n’apprécient guère les tentatives de mainmise.
À 16 000 kilomètres de là, la Banque de Maurice vit sa propre tempête. Depuis des années, cette institution censée incarner la rigueur technocratique est minée par des querelles internes et des interférences politiciennes. La loi actuelle – la «Bank of Mauritius Act» – en est en grande partie responsable. Elle fragmente le pouvoir exécutif entre le gouverneur, le «First Deputy Governor» et le «Second Deputy Governor», sans hiérarchie fonctionnelle claire. Résultat : un triumvirat dysfonctionnel, des conflits larvés, des décisions paralysées, des attaques sous la ceinture.
Les derniers scandales – accusations de faute grave, fuites internes, désaccords sur des nominations bancaires – ne sont que les symptômes visibles d’une institution en perte de repères. Le dossier explosif de Rundheersing Bheenick, ancien gouverneur de la BoM et aspirant président de la SBM, en est l’exemple parfait. Loin d’un débat sur les compétences, il révèle surtout un règlement de comptes ancien sur fond de légalisme feint, où l’exécutif tente de reprendre la main, mais en marchant sur des œufs. Il s’agit de ne pas transformer Sithanen en… Seegolam, qui a dû croupir quelques jours derrière les barreaux…
Pourquoi cette obsession pour le contrôle des banques centrales ? Parce qu’elles détiennent la clé d’un pouvoir que les gouvernements convoitent : celui de créer de l’argent. Lorsque l’exécutif n’a plus de marges fiscales, il lorgne sur le «Special Reserve Fund». Lorsque la dette devient insoutenable, il exige des taux artificiellement bas. Et lorsque l’inflation menace, il refuse d’en payer le prix politique.
Mais céder à ces pressions a un coût. Cela dégrade la crédibilité du cadre macroéconomique, affole les marchés, pousse les devises vers le bas – et finit par appauvrir les citoyens. À Maurice, l’inaction ou l’amateurisme de la BoM dans la gestion des réserves de change (plus de 6 milliards de dollars à une époque) n’a rapporté qu’un maigre rendement de 0,5 % en 2017-2018. Une manne gaspillée dans des salaires excessifs, des «per diem» démesurés, des limousines ostentatoires et des querelles intestines.
Aujourd’hui, la dépréciation progressive mais constante de la roupie, bien que mesurée, reflète une perte de confiance à long terme. Comme l’explique un analyste du marché : «Ce n’est pas la roupie qui est faible, c’est l’euro qui est fort.» Certes. Mais dans un monde de perception, la nuance ne suffit plus.
L’histoire économique récente est claire : les pays qui ont accordé une indépendance réelle à leur banque centrale – Allemagne, Royaume-Uni, Chili, Corée du Sud – ont pu maîtriser l’inflation, stabiliser leur monnaie et gagner la confiance des investisseurs. Les autres – Argentine, Turquie, Zimbabwe – ont payé le prix fort : hyperinflation, fuite des capitaux, perte de souveraineté.
À Maurice, si l’on veut passer du statut de centre financier d’exécution (faisant du back office) à celui de centre de décision, il faut urgemment revoir l’architecture institutionnelle. Amender la «Bank of Mauritius Act». Clarifier les rôles. Limiter les ingérences. Recapitaliser l’institution. Et surtout, garantir par la loi que personne – pas même un ministre – ne puisse puiser dans ses réserves pour financer des promesses électorales.
À Washington, malgré les assauts répétés de Trump, la Fed résiste. La Cour suprême rappelle que le président ne peut destituer le gouverneur pour des désaccords politiques. Powell, malgré les insultes, maintient la ligne : pas de baisse précipitée des taux, car l’inflation pourrait rebondir.
Ce contraste en dit long. Dans les économies matures, l’indépendance est protégée comme un bien commun. À Maurice, elle est toujours à conquérir.
Il faut que chacun réalise qu’une banque centrale n’est pas un guichet politique. C’est une institution de confiance. Pour la défendre, il faut plus que des textes : il faut des hommes libres, capables de dire «non», formés à l’économie, aguerris à la finance internationale. À l’heure où le monde financier et les agences de notation nous observent, affaiblir la BoM reviendrait à saborder notre avenir.
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