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Enquête
Lockdev Hoolash: L’homme qui en savait trop ?
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Lockdev Hoolash: L’homme qui en savait trop ?

Ancien chef du renseignement et homme de confiance de sir Anerood Jugnauth, Lockdev Hoolash s’est éteint mercredi dans la discrétion. Mais sa mort rouvre les plaies d’une République souterraine, faite de secrets d’État, d’alliances opaques et de missions clandestines. Une plongée dans les arcanes d’un pouvoir parallèle, où silence et loyauté se confondaient avec le danger. Il connaissait bien l’affaire Kistnah et les méthodes de Lilram Deal, avec lequel il s’était rendu au Mozambique… Enquête sur un personnage qui jonglait avec les secrets d’État.
Il y a des hommes qu’on oublie dans l’histoire officielle, mais que les couloirs du pouvoir n’oublient jamais. Lockdev Hoolash était de ceux-là. Ancien Deputy Commissioner of Police (DCP), ex-patron du National Security Service (NSS), confident silencieux de l’ancien Premier ministre sir Anerood Jugnauth (SAJ), et pièce maîtresse dans la grande mécanique des secrets d’État à la mauricienne. Ses funérailles ont eu lieu hier, dans une sobre discrétion. Mais dans certains cercles fermés, sa disparition a fait plus de bruit qu’une bombe. L’express l’a côtoyé à Maurice et à l’étranger.
Ce n’est pas tant ce qu’il a dit que ce qu’il a toujours tu. Hoolash était de ces policiers sans verbe, mais à la mémoire d’éléphant. Il savait pour Navind Kistnah. Il savait pour la cargaison de Maputo. Il savait pour la route qui mène du quai de Port-Louis jusqu’aux arcanes opaques de l’appareil sécuritaire. Il savait, et cela faisait de lui une figure à la fois redoutée et respectée, protégée et isolée.
Ses collègues le décrivent comme un homme d’une loyauté inébranlable, un soldat de l’ombre, toujours souriant derrière sa moustache, toujours dans le tempo du pouvoir. «Il ne parlait pas, il agissait», confie un ancien commissaire de police. Formé à l’école stricte de la hiérarchie policière, Hoolash a gravi les échelons sans fracas, jusqu’à se retrouver aux avant-postes de l’appareil sécuritaire. Quand SAJ le nomme à la tête du NSS, ce n’est pas un hasard : c’est avant tout un choix de confiance.
À l’époque, le NSS n’est pas un simple service d’observation, c’est une sentinelle du régime. Et Hoolash, son gardien discret. Surveillance électronique, écoutes, rapports hebdomadaires au Prime Minister’s Office : l’hommeorchestre, c’est lui. On le surnommait «l’éponge». Il absorbait tout, sans jamais en reverser une goutte.
L’homme de reseaux
Peu le savent, mais Lockdev Hoolash fut aussi l’un des policiers les mieux connectés d’Afrique de l’Est. En 2009, il est sélectionné pour représenter Maurice au prestigieux Senior Leadership Seminar du Département d’État américain à Dakar, au Sénégal. L’express y participe aussi. Pendant plusieurs semaines, il côtoie les patrons du renseignement nigérian, les officiers de liaison kenyans, les analystes de la DGSE française et les hauts gradés sud-africains. Ce séminaire, organisé par l’African Center for Strategic Studies, devient pour lui un carrefour d’influence. Il y tisse des liens précieux, notamment avec des officiers américains qui, plus tard, faciliteront des échanges de renseignements sur les flux maritimes suspects entre Madagascar, le canal du Mozambique et l’Inde.
■ (De g. à dr.) L’ex-SP Max Louison, ancient responsable du Police Press Office ; Philippe Boullé, un ancien de l’ONU, expert en gouvernance et sécurité en Afrique; et l’ex-DCP Lockdev Hoolash, qui avait fait un brillant exposé sur le trafic de drogue à Maurice. PHOTO : N. S. (photo prise à Dakar, Sénégal)
Ce séjour à Dakar transforme sa vision du trafic de drogues dures. Il comprend que la sécurité ne se limite plus aux frontières nationales. Elle est désormais transfrontalière, technologique, invisible. C’est là-bas que nous avons appris à le connaître et à comprendre sa méthodologie du renseignement. À son retour, il tente de moderniser le NSS. Moins de terrain, plus de veille stratégique. Il se crée un carnet noir : contacts, alertes, indices. Certains évoquent un minicentre d’écoute clandestin opéré en parallèle. Il devient un homme d’interface, entre Maurice et le monde, entre ce qu’il faut savoir et ce qu’il ne faut surtout pas dire. Washington, D.C., l’écoute, Paris le respecte, Nairobi le connaît. Mais à Maurice, il dérange certains, tant au sein de la politique que celui de la hiérarchie des Casernes. Il comprend vite et a l’oreille de SAJ. Il le met au courant de certaines combines.
L’opération Maputo
C’est en 2017 que l’un des dossiers les plus sensibles de sa carrière refait surface : l’affaire Kistnah. 135 kilos d’héroïne saisis. Un réseau tentaculaire impliquant transitaires, dockers, avocats et politiques. Le nom de Lilram Deal surgit. Et avec lui, celui de Hoolash. Une mission secrète est organisée à Maputo, capitale du Mozambique. Officiellement, il s’agit d’une simple mission d’observation. Officieusement, c’est une opération de récupération et de nettoyage. Lilram Deal et Lockdev Hoolash auraient quitté le pays discrètement, sans ordre écrit, pour intercepter un homme-clé. Des témoins parlent de documents saisis, de paiements occultes et d’un rendez-vous avec un ancien militaire sud-africain. Ils avaient pour mission de rapatrier Kistnah, détenu depuis huit ans aux Casernes centrales, au quartier général de l’ADSU (son procès est attendu dans deux semaines).
Personne ne veut assumer cette mission aujourd’hui. Elle n’a laissé aucune trace. Pas de rapport officiel. Pas de remboursement de per diem. Mais le renseignement mauricien sait. Certains au PMO savaient. Et depuis, Hoolash savait qu’il en savait trop. À son retour, il se mure dans un silence glacial. Plus de réunions, plus d’interventions publiques. Il devient invisible, comme s’il s’était effacé lui-même pour ne pas compromettre un équilibre fragile. «Il a tout encaissé. Par fidélité. Par loyauté. Mais il est resté seul», nous confie un ancien inspecteur de l’ADSU. L’express le rencontre et il confirme certaines informations que nous détenions. Il parle pour se protéger aussi.
La vie derrière les murs
À Terre-Rouge, dans la maison familiale, il vivait avec sa femme, discret, presque coupé du monde. Ceux qui le croisaient évoquent un regard lourd, un pas lent, un poids intérieur. En 2018, il perd sa fille Geordina. Ce drame intime l’achève. Dans une lettre bouleversante adressée à l’express, Hoolash écrit : «Pendant que tout le monde célébrait la fête des mères, toi tu es partie sur la pointe des pieds, en laissant un grand vide qu’on essaie de remplir avec tes souvenirs. […] Vivre et croire, c’est aussi accepter que la vie contient la mort et que la mort contient la vie. C’est savoir, au plus profond de soi, qu’en fait, rien ne meurt jamais.»
Depuis cette perte, Hoolash ne parlait pratiquement plus. Il notait. Des carnets entiers. Que sont-ils devenus ? Nul ne le sait. Transmis ? Conservés ? Ce sont peut-être les dernières pièces manquantes du puzzle Kistnah, avec le rôle de Lilram Deal. Ou d’autres dossiers sensibles.
■ Parmi les notes, qu’il consignait dans des carnets entiers,
pourraient être les dernières pièces manquantes du puzzle
Kistnah – notamment concernant le rôle de Lilram Deal.
Ou d’autres dossiers sensibles.
Un homme seul
«Il n’était pas MSM, il était SAJ», murmure un officier. C’est peutêtre là la clé : il était d’une fidélité ancienne, verticale, militaire. Une fidélité qui n’a plus sa place dans un monde politique nouveau, cynique et numérique.
Dans les archives du NSS, dans les rapports classifiés, dans certaines notes diplomatiques oubliées au fond d’un tiroir, son ombre plane encore. Et surtout dans le silence gêné des responsables actuels, qui savent qu’il reste des questions non posées et des vérités que seul lui aurait pu formuler.
Dans les romans policiers, il y a toujours un personnage que l’on retrouve mort, trop tard, et que l’on réalise avoir sous-estimé. À Maurice, Lockdev Hoolash est ce personnage. Et sa disparition, bien plus qu’un fait divers, est une page arrachée d’un chapitre encore inachevé.
Parce qu’en fin de compte, les hommes deviennent des ombres dans les rapports confidentiels, des initiales dans les documents classifiés, des murmures dans les salles d’audience. Et un jour, peut-être, quelqu’un ouvrira la boîte noire de Lockdev – ou Kreshan pour les contacts intimes…
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