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L’omnipotent et les impotents

17 décembre 2023, 09:08

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À l’heure où de nombreux citoyens, sensibles au respect de leur vie privée et des libertés civiles, expriment leurs craintes quant aux capacités accrues de surveillance ou d’espionnage de la future Financial Crimes Commission (FCC), dont le vote est prévu mardi, dans la pénombre d’une nuit particulièrement noire, le Premier ministre a commis un faux-pas au Parlement en voulant acculer un député de l’opposition, le remuant Ehsan Juman.

Avec assurance, le Premier ministre a confié, cette semaine, en examinant le dossier d’enquête de la police (case file), «all the evidence – I say ALL and I’m speaking as a lawyer – are not only damning; all of them go in one direction». Précisément, c’est ce genre de scénario, où le secret de l’instruction est violé, que la FCC va encourager, en contournant le Directeur des poursuites publiques. Maintenant, quand un commissaire de police, ouvertement en guerre avec le DPP, partage des informations confidentielles, de nature politique, à des politiciens qui n’ont pas l’obligation constitutionnelle de préserver les données de l’instruction judiciaire et qui utilisent ces munitions pour tirer contre les opposants, en se réfugiant de surcroît derrière l’immunité parlementaire, on a franchi une ligne rouge – que la création de la FCC va légitimer. Et ce, sans passer par la Constitution ! C’est en effet une «troubling matter», comme dirait Rashid Ahmine. Surtout lorsque les visées politiques confèrent des pouvoirs exagérés et quasi-judiciaires à un simple nominé politique, qui ne doit obéir qu’à celui qui le nomme.

Ce qui chiffonne davantage l’opinion n’est pas seulement le timing du vote du FCC Bill, mais aussi le fait que le futur patron omnipotent de la FCC sera nommé par le PM, qui n’aura qu’à «consulter» le leader de l’opposition avant de «conseiller» au président de la République. Pas besoin d’un Constitutional Appointment Committee. C’est ainsi qu’un nominé politique comme Navin Beekarry obtiendra des pouvoirs quasi-judiciaires sans passer par la Judicial and Legal Service Commission et sans avoir besoin du feu vert du DPP. Alors que l’article 82 de la Prevention of Corruption Act (POCA, loi-cadre de l’ICAC) insiste sur le fait que «NO prosecution for an offence under this Act or the Financial intelligence and anti-money laundering Act shall be instituted «except by or with the consent of the DPP)», l’article 142 du FCC Bill nous est ainsi présenté : «Following the conclusions of an investigation and the receipt of a report (...), the FCC may institute such proceedings such as it may consider appropriate for any offence under this Act or the Declaration of Assets Act.» Le changement de tactique est clairement affiché et cette fois-ci, les pouvoirs du DPP ne sont pas amendés, car le régime n’a pas, tout comme après la démission du PMSD du gouvernement en 2016, la majorité des trois-quarts ! Encore heureux ! Puisque la FCC Act qui sera votée par simple majorité, sous la houlette d’un speaker qui veille au grain, pourra être contestée par rapport à son anti-constitutionnalité.

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Ce pays est foutu si l’opposition devient stérile !

Que font les députés de l’opposition à part brandir des pancartes dans la rue pour se plaindre du speaker ? Ils ne peuvent pas faire grand-chose, sauf manifester comme les politiciens extra-parlementaires devant le Parlement et empocher leur boni de fin d’année, comme le dirait Roshi Bhadain qui les invite à démissionner du Parlement pour provoquer des partielles qui, elles, déboucheraient alors sur les législatives. Mais les conservateurs dans les rangs de l’opposition ne veulent pas abandonner leur siège, même s’ils se font rabrouer ou expulser comme des enfants par un Sooroojdev Phokeer qui joue au tyran en leur tirant les oreilles dans tous les sens. J’ai parlé à plusieurs députés dans le sillage du FCC Bill. La plupart disent que ce n’est pas vrai de dire qu’ils restent cloués à leur siège parce qu’ils ont touché Rs 400 000 pour ce mois de décembre alors qu’ils sont privés de séances parlementaires, mais ils disent qu’ils ont peur que le gouvernement ne profite des chaises vides pour amender la Constitution et carrément virer le speaker, par exemple. Ce n’est pas vrai et Roshi Bhadain le dit depuis des mois. Il suffit que sept d’entre eux, issus de sept différentes circonscriptions, démissionnent pour provoquer des partielles simultanées. La pression sur le gouvernement serait énorme.

En réalité, dans l’opposition, personne ne veut se sacrifier, de peur de ne pas être réélu, ou de bousculer l’équilibre dans le terrible jeu de négociation d’alliances politiques. Si, disons, un parti comme le MMM a X nombre de députés, il pourrait réclamer au moins X tickets à Navin Ramgoolam et Xavier Duval. Il en va de même, de l’autre côté, pour le parti de Collendavelloo, d’Obeegadoo, ou de Ganoo face au MSM.

On nous sort aussi comme prétexte que le flou s’est installé sur le terrain par rapport au redécoupage électoral et que le profil de plusieurs circonscriptions a été altéré. Mais quid des circonscriptions qui ne seront pas modifiées ? D’autres disent que leurs fonds de campagne sont minimes ou gelés face aux fonds inépuisables du Sun Trust. Manifestement, ils ont peur de démissionner, d’affronter l’appareil d’État et de ne pas retrouver le chemin du Parlement de Phokeer... comme Roshi Bhadain qui avait rendu son siège, en juin 2017, à l’électorat de Belle-Rose/Quatre-Bornes. Mais le numéro 18 ne le lui avait pas retourné malgré son coup de force !

Les politiciens traditionnels, faisant partie d’un écosystème relativement pourri avec les électeurs, savent que les combats et le sens de l’engagement politique d’hier ne sont plus d’actualité. La politique est devenue une carrière pour la plupart. Les députés sont devenus, au fil des scrutins et des alliances, comme le gros des électeurs. Chacun profite en suçant les tétines du système obsolète, gouvernement, opposition, speaker et leurs agents tous risques.

Comment sortir de l’auberge de Phokeer avec des élus impotents qui attendent que le PM lance la course pour le renouvellement des élus ? Ils attendent le signal. Eux, atones, ne vont pas provoquer le déclic.