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Dix ans déjà… Depuis qu’il est parti – Jour pour jour

Deux vies, deux destins

11 juillet 2025, 11:20

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En ce 11 juillet 2025, dix années après son décès, Louis Rivaltz Quenette est toujours présent sur la scène littéraire et ce, au travers de ses livres. En y repensant, je ne peux m’empêcher, en toute modestie, de faire le parallèle entre son parcours de vie ici-bas et celui d’un poète de l’ère d’avant J.C., Quintus Horatius Flaccus, plus connu sous le nom d’Horace, décédé huit années avant Jésus-Christ.

Les deux hommes, d’origine familiale modeste, avaient en commun cette passion pour la philosophie et la langue latine ainsi que ce besoin impérieux et insatiable d’étancher leur soif du savoir. Leurs quêtes ne se sont arrêtées qu’à l’heure de leur décès.

Tout comme Horace, Rivaltz s’en est, hélas, allé, nous privant de sa voix, son rire, son talent d’orateur, mais il nous a fort heureusement laissé ses œuvres écrites. Si Horace avait gravé ses œuvres sur du marbre à l’époque de l’antiquité romaine, Rivaltz avait, quant à lui, gravé les siennes sur du papier à l’époque contemporaine. Horace ne se trompait pas en fixant dans la pierre les mots suivants : «Verba volant, scripta manent» : «Les paroles s’envolent et les écrits restent.»

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Les œuvres célèbres d’Horace perdurent encore des milliers d’années après son cheminement terrestre et tout porte à croire et ce, avec optimisme, que les écrits de Rivaltz se perpétueront aussi.

Ayant connu intimement l’homme, l’écrivain, l’historien et avant tout le père dévoué qu’était Rivaltz , je suis convaincue qu’en accord avec Horace, il transmettrait à notre génération présente, à notre jeunesse actuelle , le message suivant :

«Carpe diem, quam minimum credula postero» : «Cueille le jour présent sans te soucier du lendemain.»

De son vivant, notre père a su croquer à pleines dents le jour présent, tout en déterrant du passé des trésors y enfouis depuis des lustres. Il ne se souciait pas vraiment du lendemain et ce, avec raison, car au final, le lendemain n’a guère réussi à oblitérer tout ce qu’il avait écrit. Ses œuvres en sont la preuve, dont son article En marge d’une Évolution, paru dans la revue L’escale alors qu’il était encore tout jeune écrivain. Ce message que je reproduis ci-contre s’adressait à la jeunesse de l’époque mais reste toujours d’actualité car : les écrits restent.

À Toi Papa, avec notre profonde reconnaissance et notre Amour éternel.

Gilliane QUENETTE-BOISSEZON

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En marge d’une évolution

Invoquant le principe de la multiplication des effets due à la persistance de la force et à l’impossibilité d’un agrégat homogène infini, Herbert Spencer conclut que le progrès n’est que la transformation de l’homogène en hétérogène. La jeunesse mauricienne, semble-t-il, n’a pas échappé à cette hypothèse. À l’homogénéité de certaines collectivités isolées font place aujourd’hui des manifestations plus hétérogènes d’une jeunesse fortement éprise d’enthousiasme et de volonté.

Qu’il s’agisse d’une plus forte prise de conscience des divers groupements ethniques dans le cadre d’une évolution marquée de la politique locale ou simplement le témoignage d’une jeunesse voulant se libérer de certaines conventions qu’une société nourrie de préjugés imposait à son essor, l’esprit qui décide actuellement que cette jeunesse est forte et libre, capable de se faire entendre là où se décident les destinées du pays, où la parole est une force, et avec pour porte-parole un citoyen libre et indépendant reconnu par l’État, les espoirs sont permis. Mais l’objectivité des vues et la sublimité de l’idéal, éléments essentiels à la formation des jeunes, sont-elles à l’abri des influences dont certaines organisations deviennent l’objet surtout quand s’affirme la précarité des fonds. On connaît des difficultés financières qu’éprouvent certaines organisations qui se veulent désintéressées. L’idée des idéaux n’est plus spontanée et désintéressée que sur papier, et bien souvent ainsi les noyaux se dissolvent sous l’empire des influences secondaires. C’est alors qu’intervient le danger d’assujettissement aux contraintes éclos d’un esprit ou d’un dessein d’altruisme mâtiné aux clubs naissants toute matière nécessaire sans négliger la lente mais sûre infiltration d’une idéologie passante. Il suffit alors que quelques clubs subissent de telles influences pour que les jeunes se dressent contre les leurs et compromettent ainsi les possibilités d’une entité nationale.

S’il est indéniable que la jeunesse a besoin de formation, il est impérieux que celle-ci soit saine et objective. Il est inutile, voire dangereux, de demander à un jeune de parler politique, alors que la personnalité, le caractère et l’esprit de discernement de celui-ci ont mûri dans la sollicitude des partis. Prétendre le contraire, c’est préparer aux combats une horde de fanatiques dont on alimenterait les convictions par le constant rappel des privilèges accordés.

La jeunesse mauricienne devrait être plutôt conduite à une vie saine et forte intelligence de l’histoire de son pays. Elle trouvera là, à l’abri des défectuosités de la passion, la genèse de cette société multi-raciale dont elle a le privilège de faire partie. Elle comprendra les multiples et difficiles étapes de notre civilisation et saura dans son irrésistible élan vers les cimes s’émouvoir du respect des diverses cultures qui ont enrichi ce pays au fil des siècles. Sa rayonnante personnalité témoignera de l’abnégation et de l’héroïsme de ceux qui ensemble ont construit notre édifice national. L’entité mauricienne cessera alors d’être une utopie : «Tynoit, mari acudio»

Bien sûr que l’étude de notre histoire et de notre civilisation ne suffit pas. La formation intégrale ne consiste pas seulement en cela, mais ce qu’il importe, c’est que les organisations de jeunes évoluent sous l’égide de la plus franche camaraderie, refusant, malgré les pires difficultés, des patronages intéressés.

L’avenir du pays est entre les mains d’une jeunesse capable de crier bien haut ses aspirations et non celles d’une faction dont elle serait les supports. Se servir des hommes de demain pour faire du progrès une réplique du passé, c’est se préparer au fanatisme une génération faite pour l’exemple du monde.

Rivaltz QUENETTE

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Au-delà de l’amour filial

Il y a des images qui parlent. Et parfois, des silences qui enseignent plus que mille discours. Sur la gauche, un visage familier à ceux qui ont cru en la République mauricienne : Rivaltz Quenette. Recteur, penseur, homme de lettres et d’éthique, disparu un 11 juillet sans faire de bruit, comme les sages. À droite, une statue figée dans le marbre : Horatius, poète latin de la mesure et de la vertu. Deux hommes séparés par deux mille ans. Mais la même lumière dans le regard : celle des pédagogues. Des vrais.

Rivaltz Quenette n’a jamais gouverné ce pays. Il n’a jamais été ministre, ni membre d’un conseil d’administration de quelque société d’État en ruine. Mais il a formé des générations entières à penser, à douter, à résister aux raccourcis du pouvoir. Dans un pays de slogans et de profits, il fut une voix de gravité. Une voix que l’on a oubliée. Comme celles des enfants qu’on n’écoute plus.

Car c’est cela le vrai drame de notre République : nous avons transformé l’école en parking à résultats, les élèves en algorithmes de concours, les profs en exécutants de bulletins. On enseigne à remplir des cases, pas à habiter le monde. À quoi bon diplômer si l’on ne transmet plus la soif d’apprendre ?

Rivaltz, lui, parlait du cœur. Il écrivait que «se servir des hommes de demain pour faire du progrès une réplique du passé, c’est se préparer au fanatisme une génération faite pour l’exemple du monde». Qui a encore le courage d’écrire cela aujourd’hui, dans ce pays où la parole éducative est soumise aux calculs politiques et au formatage bureaucratique ?

Ordre, lucidité, discipline morale

Ce n’est pas un hasard si la photo du jour le place à côté de Horace. Sa fille l’a sciemment choisie car elle connaissait intimement son père qui pensait comme un Romain. Avec ordre, lucidité, discipline morale. Il savait que le rôle de l’éducation n’est pas de flatter les attentes sociales, mais de former des citoyens. Il savait que les enfants ont besoin de racines, pas d’excuses. Il savait que l’État devait d’abord protéger les esprits.

Aujourd’hui, au Parlement, on débat de pensions et de milliards. Les slogans pleuvent. Les meetings grondent. Mais où sont les voix pour parler des enfants qu’on laisse derrière ? Des écoles délabrées, des enseignants découragés, des manuels périmés ? Où est le ministère qui relirait Quenette avant de faire une réforme ? Où est le dirigeant qui ose citer Horace en séance publique ?

Le silence des intellectuels mauriciens est assourdissant. Et celui de Rivaltz, après sa mort, résonne comme une leçon. Il ne nous a pas laissé un parti, une fortune ou un héritage politique. Il nous a laissé des textes, des élèves et une exigence : ne pas trahir la jeunesse.

Alors, à tous ceux qui pensent encore qu’éduquer est une affaire de cœur, pas de chiffres : relisez Quenette. C’est notre Horace. Et il nous a déjà tout dit. Reste à savoir si nous avons encore assez d’enfance en nous pour l’entendre.

Nad SIVARAMEN

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Au fil des années et des images

Untitled design (4).png ■ Saluant Joseph Tsang Mang Kin en août 1996 sous le regard de Rajesh Bhagwan.

Untitled design (5).png ■ Rivaltz Quenette et François Mitterand à l’Assemblée nationale le 13 juin 1990.

Untitled design (6).png ■ 9 novembre 1993 : lancement du livre de Rivaltz Quenette, «Les 25 premières années de la corporation municipale (1850 - 1875)», en compagnie d’Ahmad Jeewah, ex-lord-maire.

Untitled design (7).png ■ Swaley Kasenally, Ajay Daby et Louis Rivaltz Quenette à l’Assemblée nationale.

Untitled design (8).png ■ Rivaltz Quenette et SAJ lors d’un dîner le 3 novembre 1989.

Untitled design (9).png ■ Lancement de la nouvelle édition de l’ouvrage de Rivaltz Quenette consacré à Jean Lebrun par le Mahatma Gandhi Institute – 11 août 2014.

Untitled design (10).png ■ 3 avril 2008. Rivaltz : «Tynoit, mari acudio.»

Untitled design (11).png ■ Armand Maudave, Rivaltz Quenette, Moorgesh Veerabadren, ancien lord-maire.

Express.mu (620 x 330) (10).png ■ Beau-Bassin–Rose-Hill : citoyenneté d’honneur à Rivaltz Quenette, le 9 novembre 1998.

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