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Interview de... Rajesh Jeetah
«Ma famille et moi restons toujours dans le viseur du régime»
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Interview de... Rajesh Jeetah
«Ma famille et moi restons toujours dans le viseur du régime»
Rajesh Jeetah, ancien député et ministre travailliste
Arrêté pour un «délit» qui aura choqué plus d’un, l’ancien ministre rouge est revenu dans l’actualité quelques années après les universités qualifiées de «marron» et l’affaire Betamax. Dans l’interview qu’il nous a accordée, Rajesh Jeetah relate son arrestation, parle de la persécution continue de sa famille, de l’éducation et évidemment de politique, dont les «irrégularités» aux dernières élections générales…
Vous revoilà dans l’actualité. Il y a environ deux mois vous avez été accusé d’avoir fait une fausse déclaration sur un accident. Vous avez décidé de tout nous raconter…
Je suis redevenu un citoyen normal même si je suis un des vice-présidents et membre du Bureau politique du Parti travailliste (PTr). Mais la police, ayant reçu des ordres d’en haut, a décidé de m’arrêter en septembre après une déposition concernant mon véhicule qui avait percuté un arbre dans mon verger à Barkly quelques mois auparavant. Je faisais marche arrière quand mon véhicule a percuté un arbre et un de mes feux arrière a été endommagé. C’est sur le conseil d’un ami policier que j’ai fait une entrée au poste de police. Une mesure de précaution, car s’il arrivait qu’il y ait un cas de hit-andrun dans les parages , la police aurait pu m’arrêter ou m’interroger et elle m’aurait demandé pourquoi je ne l’avais pas signalé au poste de police. Tout s’est bien passé lors de ma déposition et j’ai été agréablement surpris d’apprendre auprès du policier qui l’enregistrait qu’il avait reçu un diplôme de ma main quand j’étais ministre de l’Éducation.
Mais quelques mois après, j’ai été appelé à me rendre dans mon verger et ce jour-là il y avait 19 policiers, dont des Scene of Crime Officers. J’étais surpris et je me demandais ce qui m’arrivait. J’ai demandé si je devais retenir un homme de loi. Là on m’a dit qu’une charge de false and malicious denuncitation avait été retenue contre moi et que je devais me rendre en cour où j’ai été relâché après avoir fourni une caution. Au tribunal, après l’intervention de mon homme de loi, Me Gavin Glover, la charge a été changée en causing public mischief. La police a voulu changer un cas d’accidental damage en road accident. La suite, vous la connaissez, le magistrat a rayé l’affaire. Le chef inspecteur qui menait l’enquête a déclaré qu’il avait agi sur «des ordres venant d’en haut». Ce n’est pas Dieu qui lui a donné des ordres. C’est justement un régime qui veut du mal à tout prix à un opposant politique.
■ Mais il semble que ce soit pour être dédommagé par votre assurance que vous ayez fait cette déposition ?
Mon excess au niveau de l’assurance est de Rs 20 000. Je savais que remplacer ce feu n’allait pas me coûter plus de Rs 5 000. Alors cela ne tient pas la route. La raison était pour éviter toute surprise au cas où il y aurait eu un cas de hit-andrun, comme m’avait conseillé mon ami policier. Cette affaire a mobilisé une trentaine de policiers et pris le temps d’un magistrat qui selon moi a des affaires plus importantes à écouter.
■ En apprenant cette affaire bizarre, les Mauriciens se sont souvenus de cet accident très bizarre, quand votre voiture était entrée en collision avec un cerf en 2011...
(Rires) Moi-même je n’y avais pas cru quand le policier (VIPSU) qui conduisait ma voiture de fonction (j’étais ministre) m’a rapporté ce cas. Je me suis demandé ce qu’il avait pu boire ce jour-là. On a beaucoup rigolé au Parlement. Mais au final, il y avait bien eu un accident et une étrangère avait même témoigné. Le policier avait eu tout à fait raison de rapporter tout accident, aussi minime soit-il. Il n’y avait eu aucun dommage causé à la voiture.
■ Pour revenir à l’accident de Barkly, pensez-vous que le régime ait une dent contre les Jeetah, après avoir fermé toutes les universités que votre famille avait ouvertes et après l’affaire Betamax ?
Oui, selon mes proches, il y a cette persécution. Ce qui m’a le plus attristé, c’est quand ma mère et mon beau-père, deux vieilles personnes, ont appris mon arrestation à la radio. Une mère qui entend cela, vous imaginez le choc. Si j’ai commis un crime ou quelque chose d’illégal, je suis prêt à assumer les conséquences mais pas pour ces affaires qu’on invente. En ce qui concerne des universités qualifiées de «marron», laissez mois préciser que c’est une initiative de mon père, feu Ramnath Jeetah. On connaît son passé pour l’éducation à Maurice. Il a créé le collège Eastern à Flacq, une des meilleures institutions privées du pays à une certaine période. Il a été un disciple de France Némorin, dont la réputation dans le domaine de l’éducation est connue. Il a été associé aux frères Bissoondoyal, dont on connaît la contribution à l’émancipation des travailleurs engagés et à l’éducation de leurs enfants. Même si le collège Eastern comptait jusqu’à 3 500 élèves, à peine quatre ou cinq pouvaient poursuivre dans l’enseignement supérieur. D’où cet intérêt de la famille pour ouvrir ces universités avec la collaboration des autorités indiennes. Cela a commencé avant que je ne devienne ministre de l’Éducation et ces universités étrangères n’étaient pas très renommées mais dans les années 60-70 et début 80, de jeunes Mauriciens avec ou sans SC s’y rendaient pour être diplômés. Combien d’entre eux ont contribué au développement du pays ou ont été de bons enseignants. Le but de mon père était de permettre à des jeunes qui n’ont pas les moyens de poursuivre des études supérieures. Mon grand-père maternel, Moheeputh Fowdar, dont une école à Camp-de-MasquePavé porte le nom, a également beaucoup contribué à l’éducation. L’éducation chez les Jeetah est une affaire familiale. Mon père a été dans les plantations et n’a pas eu la chance de faire de grandes études. Il a travaillé très dur. Mon beau-père se rendait de Tyack pour dormir sur un chantier dans la capitale. Ce n’est pas du jour au lendemain qu’il est devenu un grand contracteur. Je ne comprends pas ce harcèlement contre la famille. Peutêtre que le MSM ne digère pas encore cette défaite que je lui ai infligée, dans une élection partielle, il y a 20 ans, à Piton/Rivière-duRempart considéré comme un bastion de sir Anerood Jugnauth ! On me qualifiait alors de néophyte en politique.
■ N’empêche que les diplômes n’étaient pas reconnus par la Tertiary Education Commission (TEC) ?
Oui, certains critères de la TEC devaient être respectés. Il fallait apporter des mesures correctives. On a parlé d’irrégularités et si tel était le cas, vous pensez que le gouvernement issu des élections de 2014 aurait laissé la famille Jeetah tranquille sur ce dossier ? Mais j’ai un grand regret…
■ Lequel ?
OK. Il n’était pas d’accord avec ces universités et les a fermées. Mais pourquoi le gouvernement a-t-il fermé cette branche de l’Indian Institute of Technology de Delhi à Montagne-Blanche, projet lancé après que le Premier ministre, Navin Ramgoolam, a eu des discussions avec son homologue indien ? Ce n’est pas donné à tout le monde de fréquenter un tel institut. Oui j’ai beaucoup de chagrin qu’on n’aura pas une telle chance encore d’avoir un tel institut à Maurice.
■ Et l’affaire Betamax ?
Vous savez mieux que moi ce qui est arrivé. Le Privy Council a donné tort au gouvernement. La conséquence est que le peuple en paie encore les frais.
■ Un mot sur la performance de la ministre de l’Éducation ?
Une faillite totale. Elle prend des décisions sur un coup de tête. Tou en balao. Une ministre qui affirme qu’elle ne soucie pas du taux de réussite mais pourvu que des enfants aient reçu une certaine éducation ! Je connais bien ce ministère. Nous avons une ministre qui ne croit pas en l’importance d’un audit.
■ La dernière partie sera consacrée à la politique. Serez-vous candidat aux prochaines élections générales ?
Je suis actif au PTr pour faire partir ce gouvernement. Un ticket électoral n’est pas ma priorité. Seul, le PTr a des difficultés à satisfaire plusieurs de ses membres. Une alliance à trois, c’est plus difficile encore. Donc, pour moi, la priorité, c’est qu’on se débarrasse de ce gouvernement.
■ Vous n’allez pas quitter le PTr si vous n’avez pas de ticket, contrairement à certains de vos anciens collègues ministres ?
Pas question. Je suis chagrin pour mes amis. Ils sont libres de quitter le PTr. Mais je suis peiné quand ils commencent à raconter des faussetés sur Navin Ramgoolam. Ce n’est pas correct.
■ Donc vous êtes optimiste de la victoire de l’alliance de l’opposition ?
Je ne veux pas me mettre à la place de l’électorat. C’est lui qui va décider. La tendance générale est que le gouvernement actuel sera battu. Mais attention, j’aurais répondu la même chose en 2019, mais pas en 2014. Il y a eu bien des choses qui se sont passées aux dernières élections générales…
■ Sans doute vous voulez parler des fraudes, mais elles n’ont pu être prouvées, même pas au Conseil privé ?
Savez-vous qu’on n’a que 21 jours pour contester une élection ? C’est peu de temps. J’ai vu comment a fonctionné la computer room dans ma circonscription. J’étais le premier à me poser des questions et celui qui a informé Navin Ramgoolam de mes interrogations sur ce système le jour du scrutin. Cette salle d’ordinateurs était utilisée pour connaître ceux qui avaient voté et surtout ceux qui n’avaient pas voté. Le but, c’était d’aller «gratter» ceux qui n’avaient pas voté. Ce sont les proches du MSM qui ont obtenu des informations auprès de ces salles informatiques. Dans ma circonscription, à Rose-Belle/Vieux Grand-Port, un village entier avait voté MSM ! Comment cela peut-il se passer ? Je lance un défi à quiconque de me montrer comment des bulletins peuvent être classés, comme cela a été le cas dans la circonscription no 5 (Pamplemousses-Triolet), avec un T-square. Si quelqu’un peut le faire devant moi, je lui donnerai mon 4 x 4 qui a été récemment dans l’actualité en cadeau !
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