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Madagascar: plaque tournante des drogues
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Madagascar: plaque tournante des drogues
En janvier, plus de 300 kilos de cannabis en provenance de Madagascar avaient été saisis au large de Pointe-aux-Canonniers. Six passeurs malgaches sont arrêtés. En février, 64 kg de cocaïne sont saisis à Tamatave. En mai 2023, huit Mauriciens sont arrêtés à Madagascar pour trafic d’héroïne d’une valeur marchande de Rs 12,5 millions. L’acheminement de la cargaison destinée à Maurice devait se faire par une vedette retrouvéeabandonnée à Nosy Be, dans le sud-est de la Grande île. Ces arrestations et saisies confirment que Madagascar est devenue un centre de tri pour l’héroïne, la cocaïne et le cannabis, même synthétique.
Radio France Internationale a consacré tout un dossier sur cette plaque tournante en s’appuyant sur un rapport détaillé d’une ONG, la Global Initiative Crime Organizationagainst Transnational Organized Crime. Cette chronique se veut un condensé de ce rapport qui explique comment et pourquoi Madagascar est devenue une plaque tournante des drogues pour toute la région.
Trafic exponentiel
La saisie en question s’élevaità 64 kg de cocaïne. Déjà, en 2001, 600 kg de cocaïne importés du Brésil avaient été saisis dans un entrepôt appartenant à une société, dont le directeur et trois de ses employés avaient été arrêtés. C’est le cheminement habituel qui se fait par ces sociétés écrans dites d’import/export. La Grande île est devenue un des grands couloirs de transit pour l’héroïne et la cocaïne, un relais qui prend sa source au Brésil.
On y trouve aussi de la méthamphétamine, venue d’Afghanistan en forte demande en Afrique par la route du sud. En outre, de la drogue achetée sur internet en Chine est livrée par la poste aux Comores et à Maurice. Cette émergence aura été rapide en raison de la position géographique de Madagascar, carrefour de routes mondiales, telle que le Canal du Mozambique. Entre et sort qui veut ?
Très faible surveillance
Le point de chute idéal est Tamatave (Toamasina), le port principal à commencer avec l’Asie du sud-est et au-delà. Jetez un coup d’œilsur la carte de cette île immense. Toute la façade couvre 5 000 km de côtes non surveillées. Impossible d’exercer un contrôle sur unetelle distance d’autant que l’île ne suit pas en vérité des règles de bonne gouvernance.
On assiste même maintenant à une forte explosion du cannabis de synthèse, la plus dangereuse de toutes ces drogues. L’astuce est simple et connue de Maurice. Un bateau principal transporte la cargaison de drogues en haute mer et des petits bateaux de plus en plus puissants récupèrent la marchandise qu’ils ramènent à terre. Le champ est libre pour les trafiquants puisque le pays ne peut mettre en faction des garde-côtes sur 5 000 km.
La corruption (notre amie bien-aimée !) gangrène tout le personnel, y compris les plus haut placés censés représenter l’État. Cette cocaïne est destinée et consommée par les plus aisés de la société, la haute bourgeoisie, tandis que le crack, version moins chère, gagne du terrain dans les rues. La cocaïne du pauvre. Si chez nous tout ce trafic est contrôlé par des barons locaux, tel n’est pas le cas à Madagascar. On dénombre cinq gros barons de la drogue mais ils sont tous sur le continent africain et aucun ne possède la nationalité malgache. Alors, pourquoi se gêner ?
Import et export
La plus grande région du monde pour le cannabis, la cocaïne, le cannabis de synthèse et les méthamphétamines est l’Asie du sud-est. Madagascar, les Seychelles et Maurice arrivent assez loin derrière mais sont des îles bien placées dans ce trafic mondial. Le cannabis et l’héroïne se retrouvent surtout le long de la côte est-africaine. Les Seychelles, qui ne comptent que 95 000 habitants, abritent 5 000 personnes souffrant d’addiction à l’héroïne ; un des plus forts taux des cours de l’héroïne au monde y est pratiqué. Si la consommation locale est exponentielle, une partie de ces drogues repart en avion vers l’Europe.
En Afrique de l’Ouest, on dénombre des millions de consommateurs de cocaïne. Selon la Global Initiative Crime Organization, d’ici 2050, l’Afrique sera devenue le deuxième plus grand consommateur au monde. Une fois encore, les mafieux de ces drogues œuvrent en toute impunité. En Afrique de l’Ouest, par exemple, ce trafic est contrôlé par la mafia italienne, le cartel sicilien et le cartel dit de Sinaloa au Mexique avec des laboratoires en Afrique du Sud.
Tout comme à Maurice et à Madagascar après les itinéraires décrits plus haut, les consommateurs demeurent certaines classes aisées et surtout des collégiens et des moins de 25 ans. Dans cette très grande île, la grande misère qui y règne n’arrange évidemment pas les choses. Il n’y a qu’à voir le nombre de passeurs et de passeuses malgaches, de simples pions, qui prennent tous les risques et débarquent chez nous. Comment alors résister à la tentation de devenir un chaînon de ce fléau qui décime notre île et notre jeunesse.
L’héroïne demeurerait la drogue la plus recherchée. À Madagascar, du moins dans certaines villes, y compris la capitale, il faut compter deux à trois joints consommés chaque jour par de jeunes toxicomanes. La santé mentale est vite atteinte et se dégrade. Certains affichent un comportement agressif. Avec les moyens du bord, des dépendants sont soumis à des cures de sevrage suivies d’un accompagnement de quatre mois au minimum. N’oublions pas en passant que le cannabis est largement cultivé à Madagascar même.
Coopération régionale
Maintenant que vous disposez de toutes les données sur le rôle pivot de la Grande île, on peut alors se poser quelques questions logiques. Quel est le degré de coopération étroite dans ce domaine entre les autorités malgaches et mauriciennes ? La Commission de l’océan Indien, qui regroupe toutes nos îles, joue-t-elle un rôle pour endiguer ce trafic aux proportions alarmantes ?
Comment expliquer qu’à Maurice, on arrête de nombreux passeurs, des intermédiaires locaux et très rarement ceux qui se trouvent à la tête de ce trafic juteux qui a pour proie notre jeunesse ? Nous nous retrouvons même parfois devant des situations rocambolesques. Certains habitants des quartiers en savent plus sur les lieux de vente et l’identité des vendeurs qui opèrent jour et nuit.
Remuons le couteau dans la plaie : faut-il croire qu’il existe dans notre île des zones de non-droit où la vente des drogues se fait en plein air et la nuit avec prix affichés sur des tableaux à la craie ? Des opérations coups de poing ne durent que quelques heures et le commerce reprend le lendemain ou quelques jours après ? Nos policiers ne peuvent se comporter en héros face à des gros bras agissant avec des moyens dangereux? Que deviennent toutes les conclusions de la commission Lam Shang Leen qui citerait même des noms ? Réponse : «Veloma.»
Lamé anba ros?
Ruée vers le saphir
En 1998, on a découvert à Madagascar le plus grand gisement de saphirs au monde. Rappelons que le saphir est une pierre précieuse, une gemme multicolore (sauf le rouge). Depuis, c’est la ruée vers cette zone désertique dans le sud de l’île où une ville, Ilakaka, est sortie de terre pour accueillir le flot incessant de chercheurs. Trouver un saphir signifie tout simplement changer de vie puisque le prix d’un saphir s’élève de 300 à 3 000 euros le carat. Même des hordes d’enfants s’y sont mises comme des forçats.
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