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Résidence artistique

Mamzel :Au carrefour de talents océan Indien

4 août 2025, 10:38

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Mamzel :Au carrefour de talents océan Indien

© Stephane Bellerose

Passer toute la nuit dans l’intimité d’Ida et ses deux filles, Amelia et Emma. Entre le salon et la salle à manger, ces trois personnages (joués par Géraldine Boulle, Ingrid Blackburn Latour et Kelly Ang Ting Hone) sont plongés dans le deuil et l’enfer de la drogue synthétique. Avec les mots de l’auteur et metteur en scène Thierry Françoise, elles vont dire, redire, dédire ce qui se passe dans la société mauricienne. Durant toute la semaine, l’équipe indianocéanique de «Mamzel» s’est retrouvée en résidence artistique au Caudan Arts Centre. La représentation est prévue pour le 19 octobre.

«On est un peu à l’université», souffle l’auteur et metteur en scène Thierry Françoise. Durant toute la semaine écoulée, son texte a été mis à plat. Dans les salles de répétition du Caudan Arts Centre, l’équipe indianocéanique de Mamzel, pièce en Kreol Morisien. s’est retrouvée en présentiel, après des mois de collaboration en mode virtuel.

Grâce au soutien du Fonds de co-création de la Commission de l’océan Indien (COI), dans le cadre du projet régional de développement des industries culturelles et créatives, des compétences de La Réunion et de Madagascar ont rejoint comédiens, musicien et techniciens de Maurice. Un travail collectif où le leitmotiv est «travailler pour retrouver le naturel sur scène».

Tout en mettant en avant la beauté du Kreol Morisien. «Un langage très imagé. Il y a une tendance à le chanter en jouant. Justement, il y a un travail pour casser ce côté chantant, pour ‘parler droit’, être plus froid», explique le metteur en scène.

Distribution

Le retour d’Ingrid Blackburn Latour

Vingt ans loin du théâtre. Avec Mamzel, c’est un come-back pour Ingrid Blackburn Latour. Elle incarne Amélia, «la fille aînée d’une famille détruite, d’abord par le départ d’un papa, ensuite celui d’une sœur. Entre les deux, cette fille aînée prend tout sur ses épaules. Mais quand la petite sœur s’en va, elle s’effondre. Et finit par tomber dans ce fléau qu’est la drogue synthétique. C’est une situation qui peut arriver dans n’importe quelle famille».

Comment se passe le retour à la comédie ? «C’est compliqué de sortir de sa zone de confort. A mes côtés, il y a des gens avec plus d’expérience du jeu», dit en toute franchise Ingrid Blackburn Latour. Pourtant les opportunités se sont présentées durant toutes ces années. Mais l’artiste – qui gère son école de danse – a dit non. Jusqu’à ce que l’envie de scène revienne en force. «D’habitude, je travaille seule avec des enfants. Je suis mon propre chef. Là, je réapprends à me laisser guider.»

Pour le metteur en scène, elle est «la perle rare», une comédienne avec des talents de danseuse. «Mais elle ne va pas danser pour danser. Elle va devoir chercher vraiment au fond d’elle-même, prendre des risques.»

Dans la distribution, on retrouve Géraldine Boulle, dans la peau d’Ida, une mèrecourage. «C’est très fort ce qu’elle a fait, on ne le saura qu’après. Je l’admire.» Plus qu’un rôle, c’est un message qu’elle porte. «C’est pour cela qu’il ne faut pas qu’il y ait de fausses notes. C’est cette profondeur qui est vraiment difficile à trouver.»

L’autre sœur, Emma, est jouée par Kelly Ang Tin Hone. Un rôle qui «dépasse tout ce que je m’étais fixé comme objectif», affirme la comédienne. «C’est vraiment un autre niveau de recherche. Cela tombe bien parce que je me suis engagée dans un travail de recherche sur les principes artistiques, théâtre, slam, contes, pour enseigner autrement.» De cette pièce qui aborde la problématique de la drogue synthétique, la comédienne ajoute : «Je travaille avec des jeunes, je vois tous les jours à quel point ça les touche directement et indirectement. Jouer ce personnage demande beaucoup d’énergie, de recul aussi.La difficulté réside dans la simplicité qu’il faut trouver sur scène. Vivre la banalité et jouer la banalité, ce sont deux choses complètement différentes. L’objectif de tout ce travail, c’est que le spectateur reparte en se disant : ce que je viens de voir sur scène, je le vois chez mon voisin.»

La part des chorégraphes

Pour que les corps soient justes

Deux chorégraphes figurent dans l’équipe de Mamzel. Notre compatriote Thabo Legrand s’est installé à La Réunion en 2017. Il n’en est pas à sa première collaboration avec Thierry Françoise. C’est par le biais d’exercices simples qu’il a lancé la mécanique des corps, pour «donner un maximum de soutien dans tout le processus de création des personnages. Ce sont des outils pour que les comédiens puissent exprimer au mieux ce qui est attendu de la pièce».

Michele Ange Ralaiheilinarivony, de Madagascar, a intégré le projet par le réseau de danse contemporaine. «C’est Jean-Renat Anamah qui m’a mise en contact avec Thierry Françoise.» Son regard sur cette pièce est un défi parce que la Malgache a reçu le texte en Kreol Morisien – sans traduction – une langue qu’elle ne maîtrise pas. C’est aussi une forme de recul par rapport au texte, pour guider les corps sur la musique des mots. Son apport, explique-t-elle, est de donner de la valeur au personnage en restant naturel.

Labothéâtre

L’authenticité des situations

Le duo Nicolas Derieux et Léa Szakaradek du Labothéâtre de La Réunion a aussi participé à la résidence artistique durant la semaine écoulée. En amont, ils ont accompagné le metteur en scène dans l’écriture de la pièce, au mois de janvier. Nicolas Derieux, Français installé à l’île sœur depuis une quinzaine d’années, dit d’emblée :«Je ne parle pas le Kreol Morisien.» Le travail d’accompagnement s’est donc effectué «non pas sur la poésie des mots. On ne se permettrait pas d’aider vraiment sur les mots quand on ne connaît pas la langue. La collaboration est sur la dramaturgie, sur la structure de la pièce».

Dans le concret : les premières versions de Mamzel ne donnaient pas un temps de parole «énorme» au personnage de Jean, joué par Adrien Beaugendre. «Jean était complètement effacé. Mais Jean étant le nouveau chef de famille, il faut qu’on l’entende, il faut qu’il soit là.». À partir de ce déclic, le metteur en scène a «recommencé le travail. Ce que l’on a fait du personnage de Jean ne ressemble plus du tout à ce qu’il était avant, c’est-à-dire le petit mec perdu au milieu de ces femmes». Nicolas Derieux est d’avis que dans la nouvelle version, «on peut s’y attacher, même si c’est un personnage plutôt négatif et pas hyper sympathique. Mais le fait que le personnage soit développé, on peut presque le comprendre, pour mieux le dénoncer».

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