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Marché des devises : La BoM rassure, les importateurs crient toujours à la pénurie

30 juillet 2025, 18:00

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Marché des devises :  La BoM rassure, les importateurs crient toujours à la pénurie

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Malgré les assurances réitérées de la Banque de Maurice (BoM) sur une amélioration du marché des changes, la réalité sur le terrain reste tout autre pour de nombreux opérateurs économiques. Importateurs, commerçants, grossistes ou encore dealers agréés de devises étrangères témoignent tous d’un casse-tête persistant : se procurer des dollars américains – en quantité suffisante et à un taux raisonnable – demeure une épreuve.

Tant dans le circuit bancaire formel que chez les Foreign Exchange Dealers, les devises s’obtiennent souvent au compte-gouttes et à des taux bien supérieurs à ceux affichés officiellement. «Si nous demandons 100 000 dollars, il arrive que nous ne recevions que 10 000, parfois après un mois d’attente», confie un importateur frustré dans le cadre du dossier consacré à cette problématique de devises. «Ce n’est pas viable pour nos affaires. Nous devons acheter des devises plus chères ailleurs pour pouvoir honorer nos commandes.» (Voir le dossier en page 12).

Du côté de la BoM, on insiste sur une tout autre réalité. Le dernier Monetary Report de mai 2025, publié la semaine dernière, met en avant une amélioration significative du marché des changes depuis le début de l’année. Entre janvier et avril 2025, le turnover total du marché a atteint USD 4,6 milliards, en hausse par rapport aux USD 4 milliards enregistrés durant la même période en 2024. Les achats de devises par les banques et bureaux de change ont progressé de 12,1 %, atteignant USD 2,2 milliards, tandis que les ventes ont totalisé USD 2,3 milliards.

L’institution centrale attribue cette embellie à un ensemble de facteurs : la stabilisation de la roupie, le renforcement des réserves, l’encadrement plus strict des transactions via des institutions dûment licenciées ainsi que la remontée du taux directeur (+50 points de base en février), qui a rétabli un différentiel de rendement positif par rapport au dollar. Sur le plan monétaire, la BoM rappelle que la roupie s’est appréciée de 4,9 % face au dollar américain depuis janvier 2025.

Elle aurait profité d’un affaiblissement du billet vert sur les marchés internationaux en raison des incertitudes commerciales liées à la politique tarifaire du président Donald Trump. Ce dernier accentue sa pression sur la Réserve fédérale pour obtenir une baisse massive de son taux directeur, jusqu’à trois points de pourcentage, dans l’espoir de réduire les charges d’intérêts sur la dette publique américaine de USD 1 000 milliards. Ces turbulences ont, en parallèle, favorisé une appréciation de près de 15 % de l’euro par rapport au dollar depuis le début de l’année.

Pourtant, malgré ces données macroéconomiques relativement positives, les opérateurs économiques interrogés dénoncent un décalage entre les chiffres et leur vécu quotidien. Le marché des devises reste sous pression, avec des difficultés persistantes pour accéder aux devises, notamment au dollar américain, qui reste la monnaie de référence pour la majorité des importations. Certains estiment que le marché fonctionne toujours en sous-capacité, avec un arriéré non négligeable estimé à quelque USD 500 millions.

L’analyse d’un spécialiste du marché écrivant sous le pseudonyme The Observer, attire l’attention sur un élément technique : la banque centrale maintient un écart de 90 points de base entre l’offre et la demande – une mesure héritée d’un contexte de marché bien plus liquide. Cet écart, aujourd’hui jugé excessif, fausse les signaux de marché et décourage certaines transactions. (Voir plus loin).

🟥 L’explosion des importations de véhicules en ligne de mire

L’autorité monétaire, tout en reconnaissant certaines tensions conjoncturelles, identifie une cause principale à cette pression sur le marché : l’envolée soudaine des importations de véhicules neufs. Les concessionnaires automobiles ont multiplié les commandes pour profiter de la période de transition précédant la hausse des droits de douane annoncée dans le Budget 2025-26, présenté le 5 juin dernier par le gouvernement de l’Alliance du changement. Résultat : une sortie de devises de près de USD 200 millions rien que pour le mois de juin.

«Cette situation a eu un impact négatif à la fois sur le déficit commercial et sur la disponibilité des devises sur le marché», a confirmé le Premier ministre et ministre des Finances, Navin Ramgoolam, lors de la séance parlementaire d’hier. Il a précisé que le gouvernement ne compte pas prolonger la période de transition, malgré les demandes répétées du secteur. Une version contestée par Mrinal Teelock, secrétaire général de la Motor Vehicles Dealers Association, qui affirme que ces achats ont été réglés bien avant l’annonce des nouvelles taxes et que le secteur est injustement stigmatisé.

Néanmoins, à la BoM, on considère qu’avec 85 % des ventes annuelles de véhicules déjà réalisées au premier semestre, un déséquilibre structurel s’est installé sur le marché des changes. En parallèle, certains secteurs continuent d’alimenter le marché officiel en devises. L’hôtellerie et les services financiers ont, ensemble, généré USD 171 millions supplémentaires en entrées nettes depuis janvier. Environ 60 % des devises vendues ont été réorientées vers les activités de commerce de gros et de détail – un segment incluant notamment les concessionnaires automobiles.

Autre facteur dynamique, mais aussi complexe : les opérations de swaps de devises, qui ont atteint USD 3,9 milliards sur les quatre premiers mois de l’année, contre USD 2,5 milliards sur la même période l’année précédente. Si ces instruments permettent une certaine souplesse pour les acteurs financiers, ils ne répondent pas aux besoins en cash des importateurs en quête de dollars pour régler des factures immédiates.

Pour plusieurs analystes, la persistance de la pénurie de devises dans un contexte d’entrée relativement soutenue s’explique par un phénomène sous-jacent de rétention ou de spéculation. Des opérateurs – y compris parmi les plus grands – pourraient être tentés de retarder la vente de devises en anticipant une nouvelle dépréciation de la roupie. Ce comportement alimente artificiellement les tensions, exacerbe les pénuries ponctuelles et renchérit le coût des transactions pour les importateurs plus vulnérables.

Si la BoM dispose, en théorie, des moyens réglementaires et opérationnels pour identifier ces pratiques, elle demeure prudente dans sa communication, note certains observateurs. Reste que dans un marché aussi restreint que celui de Maurice, le moindre déséquilibre entre l’offre et la demande peut rapidement dégénérer en spirale.

La situation actuelle constitue un test important pour la nouvelle direction de la BoM. Alors que l’institution affiche sa volonté de moderniser la politique monétaire, d’encadrer les transactions en devises et de renforcer la transparence, elle doit désormais montrer sa capacité à traduire ces ambitions en résultats tangibles pour les opérateurs économiques. La confiance des acteurs du marché dépendra autant de la disponibilité réelle des devises que de la lisibilité de la politique monétaire.

Dans l’immédiat, un dialogue plus étroit avec les acteurs du marché – importateurs, institutions financières, autorités fiscales – semble nécessaire pour éviter que les tensions actuelles ne dégénèrent en crise de liquidité. Car au-delà des agrégats macroéconomiques, c’est bien la fluidité des échanges au quotidien qui conditionne la santé économique du pays.

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