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Portrait
Marie-Christine Giblot-Ducray, présidente d’Escoffier Afrique du Sud: Hymne à la vie
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Portrait
Marie-Christine Giblot-Ducray, présidente d’Escoffier Afrique du Sud: Hymne à la vie
Elle a fêté ses 73 ans, il y a une semaine. Photos: Beekash Roopun et Marie-Christine Giblot-Ducray.
La Mauricienne Marie-Christine Giblot-Ducray, présidente d’Escoffier Afrique du Sud, dont l’entreprise de «catering» marchait du tonnerre à Johannesburg, a toujours vécu à 100 à l’heure. Tout ou presque lui réussissait. Puis, les tuiles ont commencé à lui tomber dessus. Il y a d’abord eu le Covid-19, qui a fait péricliter son business. Ensuite, un cancer virulent a emporté son compagnon avec qui elle était en couple depuis 20 ans. Et finalement, on lui a découvert un cancer colorectal mal placé, ne lui laissant comme choix que l’opération et le port d’une poche de colostomie à vie ou six mois à vivre. Elle a choisi la vie et aujourd’hui, elle pète la forme. À Maurice pour le mariage de sa nièce, elle a accepté de raconter son histoire de survie.
«Non, je ne suis pas en convalescence. Je vais bien. Je suis un miracle ambulant», répète Marie-Christine Giblot-Ducray, qui a fêté, croyez-le ou non, ses 73 ans, samedi dernier. «C’était une célébration de la vie, 73 Shades of Life», précise cette femme, élégante dans la tenue comme dans le propos mais qui n’est jamais contre appeler un chat, un chat. Elle ne manque pas d’humour non plus car elle a baptisé sa poche de colostomie Louis, en hommage à Louis Vuitton, célèbre malletier et maroquinier français, fondateur de la marque éponyme. Comment aurait-il pu en être autrement venant d’une disciple d’Auguste Escoffier, gastronome et «inventeur» de la pêche melba !
Marie-Christine Giblot-Ducray a une pêche incroyable. Samedi dernier, après sa célébration d’anniversaire, qu’elle a orchestrée et qui était réglée comme du papier à musique, avec repas gastronomique pour 45 convives et tour de chants de Robert Duvergé qu’elle connaît depuis l’adolescence, elle a ouvert ses cadeaux et n’a pas été se coucher avant 4 h 30. Au réveil, elle était en grande forme et elle la tient toujours d’ailleurs. Si bien que l’on a du mal à croire qu’il y a trois mois, plus précisément le 28 mars, elle a subi une longue chirurgie (bien que celle-ci ait été selon une technologie mini-invasive), destinée à lui enlever le cancer colorectal qui la mine depuis 2022, et qu’elle a passé plus de sept heures en salle d’opération.
La dernière fois que l’express avait parlé d’elle, c’était en 2015 lorsque son French Corner Catering Services avait décroché le contrat de restauration pour les Jeux d’Afrique en République démocratique du Congo et qu’elle et les sept chefs mauriciens qu’elle avait entraînés à sa suite avaient nourri pendant 15 jours, à raison de trois repas par jour, 6 000 athlètes, 4 500 volontaires et 500 Very Important Persons. Et ils avaient assuré la partie. À son retour en Afrique du Sud, elle a continué à opérer son service traiteur qui croulait sous les commandes et à organiser mensuellement des dîners gastronomiques de charité portant la signature d’Auguste Escoffier, et dont les revenus ont servi à financer des bourses d’études en cuisine pour les étudiants méritants. À ce jour, de nombreux étudiants ont bénéficié des largesses de l’Institut Escoffier d’Afrique du Sud.
Les coups durs
Tout se déroulait à merveille dans sa vie. Sauf que le monde entier n’avait pas prévu l’apparition du Covid-19 et ses conséquences. Au plus fort de la pandémie en 2021, le business de Marie-Christine Giblot-Ducray, comme bien d’autres entreprises d’ailleurs, est frappé de plein fouet. Son fils Christophe en profite pour lui demander de ralentir la cadence. Il reprend le French Corner Catering Services, et est obligé de dégraisser et de travailler avec une équipe réduite. Quand la nouvelle normalité se met en place, Marie-Christine Giblot-Ducray décide de prendre du bon temps et de voyager. Alors qu’elle assiste à un dîner de gala à Monaco, elle a mal au rectum et gigote sur sa chaise. Elle pense qu’il s’agit tout bêtement d’hémorroïdes et fait de l’automédication. Sauf que la douleur se précise et devient lancinante. Elle regagne l’Afrique du Sud en quatrième vitesse et consulte une chirurgienne-oncologue qui lui promet de write-off ses hémorroïdes en deux semaines. La praticienne lui prescrit des médicaments et des bains de séant. Mais rien n’y fait.
Elle revoit la chirurgienne qui lui parle d’une petite intervention pour obtenir un prélèvement et faire une biopsie. Elle s’y soumet. Quand elle reçoit les résultats et que le médecin lui annonce qu’elle a un cancer colorectal, un low grade cancer, Marie-Christine Giblot-Ducray, qui croit dans la médecine intégrative – combinaison de traitements conventionnels et de médecines complémentaires –, refuse avec force ce diagnostic. «Non, je n’étais pas dans le déni. C’était ma manière de signifier que je n’allais pas baisser les bras.» Et c’est ce que cette battante fait.
Tout en acceptant la chimiothérapie orale et la radiothérapie, elle soigne son cancer et son anxiété avec de l’huile, des gélules et de la crème de cannabis. Si elle tolère très bien la chimiothérapie orale qui n’occasionne aucun effet secondaire, après les deux premières semaines de radiothérapie, elle a le séant et l’entrejambe en feu. «It was hell on earth», raconte-t-elle. Sa vie est alors rythmée par les traitements et le régime strict qu’elle s’impose, qui comprend des légumes et du poisson bouillis, du concombre sur du pain et de l’eau. Après ces traitements pénibles, elle se croit tirée d’affaire. Sauf que le 31 décembre 2022 alors qu’elle est chez son fils au Portugal, elle recommence à souffrir de son séant. «À minuit, je hurlais de douleur.J’avais non seulement mal aux fesses mais aussi dans le bas du dos. Je savais que c’était revenu.»
Avant et après la perte de ses 17 kilos.
Elle repart en Afrique du Sud en catastrophe et le Dr Dave Kloeck, le mari de la fille de son compagnon Charlie, qui est cardiologue, l’emmène consulter un autre oncologue. Mais elle doit d’abord se soumettre à un PET Scan, qui révèle une récidive du cancer de quatre centimètres dans la partie inférieure de son corps. L’oncologue lui conseille une intervention chirurgicale et la réfère à un autre chirurgien, spécialiste en robotique, le Dr Daniel Surridge. Celui-ci lui parle de l’inévitabilité de l’intervention et de la pose d’une poche de colostomie, mais Marie-Christine Giblot-Ducray demande un temps de réflexion. Elle appelle son ami, le Dr Moodley, qui pratique la médecine intégrative et il lui conseille de «take the step», mais il insiste pour qu’elle réclame une intervention miniinvasive, soit par robotique avec le fameux robot Da Vinci, identique à celui que le groupe British American Insurance avait importé pour l’hôpital Wellkin à l’époque où cet établissement appartenait encore à la famille Rawat.
Marie-Christine Giblot-Ducray, n’étant toujours pas convaincue de passer sous le scalpel, consulte le Dr Surridge à plusieurs reprises. Entre-temps, comme un malheur n’arrive jamais seul, Charlie, le Suisse qui partage sa vie depuis 20 ans, et traité depuis cinq ans à l’immunothérapie pour un sarcome à l’estomac, connaît une récidive virulente de son mal. Marie-Christine Giblot-Ducray, qui le décrit comme «un ange sur terre», l’aide autant qu’elle le peut. Aucun médicament ou traitement ne peut contrer le cancer de son compagnon, qui a grossi au point d’avoir la taille d’un pamplemousse. L’état de santé de Charlie se dégrade rapidement. Elle le voit devenir l’ombre de lui-même et elle se sent impuissante. Quand il meurt le 8 juillet 2023, elle est dévastée. Après son mémorial, elle vient à Maurice en croyant se ressourcer mais se renferme sur elle. Pendant deux mois, elle ne voit personne et se fait livrer ses repas. Elle se soigne avec l’huile de cannabis.
Vivre ou mourir
Elle repart. Les mois passent, et elle pèse toujours le pour et le contre. Ce qui la rebute, c’est qu’elle trouve «inhumain de fermer les fesses de quelqu’un et qu’on lui mette un sac sur l’abdomen pour recueillir ses selles». Lors d’une de ses visites chez le Dr Surridge, elle lui demande ce qui va se produire si elle refuse l’intervention chirurgicale. Il la regarde et lui montre six doigts, lui signifiant ainsi que si on ne l’opère pas, elle ne lui restera que six mois à vivre. C’est son fils, qui lui fait valoir qu’elle a des petits-enfants et toute la vie encore devant elle, et son frère Guillaume qui finissent par la convaincre. Elle appelle alors le Dr Surridge et ils fixent l’opération pour le 28 mars 2024. Au cours d’une de ses visites chez ce chirurgien, il lui présente toute l’équipe pluridisciplinaire qui l’assistera lors de l’intervention, notamment le Dr Ethel Andrew, un Wound Surgeon, l’anesthésiste Natacha Jacowitzy, le Dr Gany, physicien qui est depuis devenu un ami, un médecin généraliste, un cardiologue et même un travailleur social.
Au jour dit, elle se rend au Milpark Hospital à Johannesburg. Marie-Christine Giblot-Ducray reste sept heures et demie en salle d’opération, son fils et sa fille Christie faisant les cent pas dans la salle d’attente en se rongeant les sangs. Elle sort enfin du bloc après qu’on lui a enlevé un cancer de 30 cm dans le bas du rectum, et passe cinq jours à l’unité des soins intensifs et cinq jours dans une chambre privée. Elle arrive à peine à manger tant elle a des nausées causées par la prise de nombreux médicaments en perfusion. C’est une infirmière qui change ses poches de colostomie deux fois par semaine. Pendant qu’elle est encore à l’hôpital, son fils lui annonce que son père est gravement malade et qu’il souhaiterait se rendre au chevet de ce dernier. Il vient à Maurice. Au bout de quelques jours, son ex-mari meurt. Marie-Christine Giblot-Ducray est bouleversée de voir la souffrance de ses enfants.
Lorsqu’elle peut enfin quitter l’hôpital, elle réalise qu’elle se sent nettement mieux et qu’elle aurait dû avoir fait cette intervention plus tôt. «Mais je n’étais pas prête avant.» Elle s’estime chanceuse d’être tombée sur une équipe de médecins hyper qualifiés. «Pour moi, ce sont des anges qui m’ont sauvé la vie.» Avant de venir à Maurice, elle les a d’ailleurs remerciés en les invitant à un dîner gastronomique chez elle, préparé sous sa houlette par ses anciens chefs qu’elle a retenus pour cette soirée mémorable. «Je tenais à les remercier pour la seconde vie qu’ils m’ont offerte.» Si au début, elle préférait ne pas manger des carbohydrates comme la pomme de terre, des pâtes, et des légumes comme le brocoli, le choufleur et les légumineuses pour éviter obstructions et gaz, une des infirmières lui a dit qu’elle pouvait recommencer à les manger au bout de deux mois. Et c’est ce qu’elle a fait.
Cinq semaines après l’intervention, elle a pu reprendre le volant. L’infirmière continue à venir chez elle pour changer sa poche de colostomie et l’a accompagnée à Maurice. «Même si je vais très bien et que je suis cancer-free, je ne me sens pas encore capable de changer Louis, mais cela viendra. À mon retour, j’apprendrai.» Elle a bondi de sa chaise quand elle a été faire enlever les points de suture et que le Dr Surridge lui a dit qu’à son retour de Maurice, il aurait voulu qu’elle se soumette à un protocole de chimiothérapie de huit semaines au cas où des cellules cancéreuses se seraient logées ailleurs dans son organisme. «Je lui ai répliqué: You tell me three times that I am cancer-free and now you want to put poison in my body!»
Elle consulte une fois de plus le Dr Moodley, et celui-ci lui conseille d’écouter le médecin et de suivre ce traitement. Le fait de porter une poche de colostomie à vie affecte-t-il sa féminité ? «Oui, je mentirai si je dis que ma féminité n’a pas pris un coup. Mais je me dis que la vie est plus importante que tout. Je mange de tout, toutes les quatre heures. Depuis que je suis à Maurice, je mange du curry bichique et des currys en tous genres, et toutes les autres choses que j’aime. Je me sens mieux dans ma peau car j’ai perdu 17 kg et je suis cancer-free. Je prends aussi des compléments alimentaires pour booster mon système immunitaire. Vraiment, je suis happy. J’ai repris ma Bible grâce au père Gérard Sullivan, mon ami de toujours, et je suis forever grateful of my new life…»
Marie-Christine Giblot-Ducray et ses deux enfants.
Deux événements marquants en fin d’année
Marie-Christine Giblot-Ducray a décidé de descendre de charge et a soumis sa démission en tant que présidente d’Escoffier en Afrique du Sud à Disciples Escoffier France. Elle entend passer la présidence à son vice-président. Elle le fera le 11 septembre, lors d’un dîner gastronomique d’envergure qu’elle organise à son domicile. Pour l’occasion, elle a retenu les services de chefs Escoffier, qui exécuteront un menu qu’elle a concocté de A à Z et où elle servira de la pêche melba, qui est le dessert signature. Une soirée qui sera sans nul doute mémorable pour tous ses invités.
Cette année, l’école des arts culinaires fondée par Auguste Escoffier, qui a révolutionné les opérations en cuisine et laissé plus de 5 000 recettes, fête ses 70 ans. À ce jour, il y a 30 000 chefs disciples d’Escoffier dans le monde. Pour marquer cet anniversaire, les disciples d’Escoffier ont un grand rassemblement du 13 au 16 novembre à Paris. Un programme étoffé attend les chefs qui feront le déplacement, soit un dîner dans un des plus anciens restaurants de la capitale française, une visite au marché de Rungis et cerise sur le gâteau, le 14 novembre, un dîner au Quai d’Orsay, placé sous la présidence d’Emmanuel Macron, le président de la République française. Sans compter un concours de jeunes talents qui a lieu tous les ans. Le lendemain, ce sera une soirée au Paradis Latin et pour le dernier jour, soit le 16 novembre, un dîner sur un bateau-mouche voguant sur La Seine. Marie-Christine Giblot-Ducray s’y rendra et dirigera une délégation de 14 disciples. Quand on vous disait qu’elle a la pêche…
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