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Interview
Mario Hannelas : «Une réforme de la pension universelle oui, mais pas au détriment des plus vulnérables»
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Interview
Mario Hannelas : «Une réforme de la pension universelle oui, mais pas au détriment des plus vulnérables»

Mario Hannelas, «Head – Tax Advisory» de DTOS
Dans le cadre du Budget 2025–26, Mario Hannelas, «Head – Tax Advisory» de DTOS, apporte un éclairage nuancé sur le débat entourant la «Basic Retirement Pension» (BRP). Il reconnaît le poids de cette pension universelle sur les finances publiques, tout en soulignant son rôle essentiel pour des milliers de familles. Une réforme est envisageable, mais elle doit s’appuyer sur un consensus national et tenir compte des réalités sociales et humaines.
🔵Le gouvernement introduit un impôt minimum alternatif pour certains secteurs rentables bénéficiant d’un faible taux d’imposition effectif. Selon vous, quels secteurs risquent d’être les plus impactés par cette mesure ?
L’impôt minimum alternatif (Alternative Minimum Tax – AMT) sera applicable à partir du 1er juillet 2025 sur des secteurs qui seront spécifiés dans la législation fiscale. Comme annoncé dans le discours du Budget, l’hôtellerie, les compagnies d’assurances, les compagnies engagées dans des activités immobilières, d’intermédiation financière et de télécommunications devront payer l’impôt minimum alternatif de 10 % de leurs bénéfices comptables si l’impôt normal, calculé selon les provisions de la loi fiscale après avoir bénéficié de tous les avantages éligibles mais avant déduction des crédits d’impôt, est moins. Il faut souligner que les compagnies d’assurances ayant des revenus d’assurance vie ont déjà sous le présent système fiscal une forme d’impôt minimum alternatif. Cette mesure affecterait de manière disproportionnée les entreprises de secteurs fortement dépendants d’investissements en capital. En comptabilité, les immeubles de placement sont normalement évalués à la juste valeur et il y a donc le risque que l’augmentation de la juste valeur pas encore réalisée subisse des impôts.
🔵Sur l’«AMT», le gouvernement a décidé de ne pas accorder de crédit sur les impôts subis à l’étranger, qu’en pensez-vous ?
À mon sens, c’est une double imposition qui ne met pas tous les contribuables sur un pied d’égalité.
🔵L’introduction du «Qualified Domestic Minimum Top-Up Tax» vise à appliquer un taux effectif minimum de 15 % aux filiales de groupes multinationaux. Maurice est-elle prête, selon vous, à mettre en œuvre cette norme mondiale de l’OCDE ?
En matière de fiscalité, Maurice a toujours été reconnu par des organisations internationales telles que l’OCDE et l’Union européenne comme ayant respecté des normes internationales. Ce qui explique notre statut permanent de «liste blanche» à des fins fiscales. En outre, Maurice avait déjà introduit des dispositions relatives à la Qualified Domestic Minimum Top-Up Tax (QDMTT) dans sa législation il y a deux ans pour démontrer son engagement envers l’OCDE. En fait, les GloBe Rules concernent principalement les grands groupes dont le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 750 millions d’euros. L’impact ne sera donc ressenti que par un petit nombre d’entités. Néanmoins, je suis conscient que la QDMTT est complexe et que sa mise en œuvre peut être onéreuse. Cette loi aura un impact sur les investisseurs concernés. Mais Maurice n’a pas d’autre choix car, en l’absence de cette mesure, l’impôt minimum mondial sera toujours en vigueur. L’objectif primaire de cette mesure est donc d’empêcher des pertes de revenus en faveur d’autres juridictions en collectant d’abord l’impôt au niveau national.
🔵Cette contribution exceptionnelle de 5 % sur le revenu imposable des entreprises réalisant plus de Rs 24 millions pourrait-elle nuire à l’attractivité du pays auprès des sièges régionaux ou des holdings ?
Cette augmentation de taux d’imposition risque de freiner la production, de décourager le travail et par ricochet impacter l’attractivité du pays.
🔵Le Budget cible surtout les grandes entreprises. Ce choix est-il justifié dans le contexte économique actuel ou cela risquet-il de créer un sentiment d’inéquité dans le tissu économique ?
Il est tout à fait compréhensible que les grandes entreprises, qui seront désormais soumises à un impôt plus élevé, soient mécontentes de la situation. Elles se retrouvent à devoir contribuer à la relance de l’économie. Comme le disait Mark Twain, «la mort, les impôts et l’accouchement ! Il n’y a jamais de moment propice pour aucun d’entre eux». Tôt ou tard, la situation devait se présenter. J’espère que, tout en faisant des sacrifices pour contribuer à l’économie, ces entreprises pourront également prospérer dans un avenir proche, une fois ces mesures levées.
🔵Le gouvernement affirme vouloir préserver la compétitivité du centre financier mauricien. Quelles mesures concrètes attendez-vous à cet effet ?
Malgré les mesures sévères qui s’annoncent, qui ne concernent pas le Global Business, je pense que Maurice devra trouver d’autres moyens pour retenir les investisseurs et en attirer de nouveaux pour conserver sa position et sa réputation de centre financier international de premier plan. Il faudra faire plus avec moins ; on pourrait par exemple envisager d’optimiser les ressources et se concentrer davantage sur le secteur de l’intelligence artificielle, à bon escient bien entendu.
🔵Le budget met l’accent sur le renforcement des compétences en matière de lutte contre le blanchiment (AML/CFT). Dans quelle mesure cela est-il essentiel pour maintenir la réputation de Maurice comme centre financier fiable ?
Maurice reste une juridiction très compétitive et attrayante pour les investissements transfrontaliers. Comme vous le savez, Maurice a pu sortir de la liste noire de l’Union européenne et de la liste grise du GAFI et revenir rapidement sur la liste blanche en 2022 et 2021 respectivement, en agissant de manière responsable. Il est extrêmement important pour Maurice de maintenir sa crédibilité et sa réputation en tant que centre financier international afin de continuer à prospérer et de prendre pied sur le continent africain.
🔵Que pensez-vous de la décision du gouvernement de revoir le champ d’application et la méthodologie pour le principe de pleine concurrence sous les provisions de l’article 75 de l’«Income Tax Act» ?
Il était temps que Maurice revoie ce principe de pleine concurrence. Pendant des années, l’absence de lignes directrices a été une source d’incertitude pour les investisseurs. Cela a conduit à une pratique incohérente de la MRA. Une bonne méthodologie va certainement mener à plus de transparence tout en simplifiant le système en réduisant les litiges et ainsi améliorer notre compétitivité.
🔵Quelles sont les principales préoccupations exprimées par vos clients à la suite des annonces fiscales du Budget ?
Les réactions sont quelque peu mitigées dans la mesure où l’on attend plus de clarté sur certaines annonces telles que l’application de la Fair Share Contribution en ce qui concerne les étrangers bénéficiant d’un dividende de leur société holding à Maurice.
🔵Quels sont vos commentaires sur la réforme de l’impôt sur le revenu des individus et la «Fair Share Contribution» pour les personnes fortunées ?
Les tranches d’imposition ont été réduites de 11 à 3, ce qui simplifie le système, donc une très bonne chose. La proposition d’exonérer les jeunes de 18 à 28 ans touchant moins d’un million de roupies est louable. Un plus grand nombre de personnes sera aussi exonéré de l’impôt lorsque leur revenu imposable est inférieur à Rs 500 000. Néanmoins, il existe une anomalie : un jeune qui gagne Rs 1 000 001 sera assujetti à l’impôt, et paiera Rs 50 000 avec juste une roupie de plus. Donc, nous pensons qu’il est nécessaire de corriger cette anomalie. Nous constatons que la même anomalie s’applique avec la Fair Share Contribution pour une personne avec un revenu imposable de 12 millions et une roupie qui devra subir un impôt additionnel de Rs 1 800 000 qu’on peut qualifier d’absurdité. Donc, ce serait bien si le gouvernement pouvait revoir ces anomalies afin que ce système soit plus juste et équitable.
🔵Craignez-vous des effets indirects de ces réformes fiscales, comme des restructurations d’entreprises ou des délocalisations pour éviter la nouvelle fiscalité ?
Il est probable que certaines entreprises, en particulier les multinationales, envisagent de se réorganiser, voire de se délocaliser dans d’autres juridictions. Cela ne sera pas bon pour notre économie. Nous devons également envisager les choses sous un angle optimiste. En dehors des aspects fiscaux, Maurice est classé 13e sur 190 pays dans l’indice de la Banque mondiale sur la facilité à faire des affaires (Ease of Doing Business). À mon avis, Maurice reste une destination attrayante pour les investisseurs. Par exemple, le délai de traitement des demandes d’autorisation, pour créer une entreprise, pour effectuer des transactions bancaires, ou même pour s’adresser à l’administration fiscale est tout à fait raisonnable.
🔵Quels conseils donneriez-vous aux entreprises opérant à Maurice pour bien se préparer à ces changements, notamment en matière de conformité fiscale et de planification ?
Les entreprises devront s’organiser efficacement et optimiser leur situation fiscale tout en respectant la Loi.
🔵Le coût du système de pension universelle (BRP) continue de peser lourdement sur les finances publiques. À votre avis, une réforme structurelle est-elle inévitable pour garantir la viabilité à long terme du système ?
La BRP, que nous appelons pension de vieillesse, est une pension à laquelle toute personne à l’âge de 60 ans et satisfaisant des critères spécifiques de résidence est éligible. La pension à janvier 2025 se monte à Rs 15 000 et offre un apport très important dans le budget mensuel de beaucoup de familles mauriciennes surtout avec le coût de la vie qui n’a fait qu’augmenter au fil des années; je parle, entre autres, de la location des maisons, de la nourriture, des médicaments. S’il est vrai que le comptable en moi est d’accord que la pension universelle pèse lourd sur les finances publiques, je suis d’avis qu’il ne serait pas justifié de demander, par exemple, à quelqu’un qui a travaillé pendant 40 ans et plus, surtout dans un domaine où le travail est très physique de travailler encore et d’attendre cinq ans de plus pour être éligible à la pension universelle. Et que fait-on des personnes qui n’ont pas travaillé ou qui ont dû – pour des cas de force majeure –arrêter de travailler. Certains diront que c’était leur choix mais nous savons que dans beaucoup de cas il y a des raisons valables comme un enfant autrement capable ou un parent malade. Que faire dans ces cas ? Une solution serait de cibler les personnes pouvant travailler jusqu’à 65 ans et ne toucherait dès lors pas leur pension.
Oui, une réforme est nécessaire et en vue de la sensibilité de ce que représente cette pension, il est important qu’il y ait un consensus de toutes composantes de la société. Il faudrait avoir autour d’une table avec les décideurs politiques, des représentants de la société civile, des syndicats, des travailleurs sociaux, etc. Et pourquoi pas – et là c’est mon côté un peu idéaliste qui parle –des réunions de nos parlementaires avec leurs mandants pour écouter, discuter et trouver des solutions.
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