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Questions à… la chercheuse Nishta Jooty-Needroo
«Maurice a les atouts nécessaires pour réussir son pilier biopharmaceutique»
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Questions à… la chercheuse Nishta Jooty-Needroo
«Maurice a les atouts nécessaires pour réussir son pilier biopharmaceutique»
Nishta Jooty-Needroo, diplômée en gestion et en «Health Engineering».
Nishta Jooty-Needroo, jeune chercheuse et détentrice de plusieurs diplômes dont deux Masters en gestion et en «Health Engineering», est confiante dans la réussite de Maurice dans le secteur biopharmaceutique. Secteur qui aura aussi des effets multiplicateurs dans l’agriculture et la pêche notamment, et qui favorisera la création de petites et moyennes entreprises.
Quel est le facteur décisif qui vous a poussée vers la biopharmaceutique ?
Je faisais mes études universitaires à Montpellier en France quand on m’a présenté le secteur biopharmaceutique. Je l’ai trouvé très attrayant et dynamique. Ayant validé ma première année de médecine, j’ai eu la possibilité d’intégrer directement la deuxième année à la faculté de pharmacie pour étudier la biopharmaceutique. Depuis, je suis titulaire d’une licence et d’un master d’ingénierie dans le secteur biopharmaceutique, avec une spécialisation dans la recherche clinique, et plus particulièrement dans la gestion des données cliniques. J’ai eu l’opportunité de travailler dans l’industrie pharmaceutique, notamment chez Sanofi Aventis et Bristol Myers Squibb.
Après avoir passé dix ans en France, j’ai décidé de rentrer au pays. Le retour n’était pas aussi doux que je l’avais prévu. Je me suis retrouvée sans emploi pendant quelques mois et c’est à ce moment-là que j’ai décidé de faire des études à distance pour obtenir mon Masters in Business Administration. En parallèle, j’ai lancé mon entreprise de consultancy dans le domaine biopharmaceutique en proposant des services de clinical monitoring et de medical writing à des entreprises internationales. Ensuite, pendant deux ans, j’ai travaillé dans une entreprise locale, qui fait de la recherche clinique cosmétique et pharmaceutique. Depuis le début de 2016, je me suis mise à mon compte. Je propose mes services en tant que consultante dans le domaine
La biopharmaceutique est un domaine dynamique et innovant, qui évolue très rapidement et dans lequel il y a toujours des nouveautés. C’est cet aspect dynamique qui me plaît. J’apprends tous les jours des choses nouvelles. Le fait de participer au développement d’un traitement efficace pour une maladie afin de sauver des vies a été le facteur qui m’a décidée à me lancer dans ce domaine. Je suis fière de partager ceci avec vous. En 2021, j’ai travaillé sur deux études cliniques pour l’élaboration d’un traitement contre le Covid-19.
Depuis plusieurs années déjà, différents gouvernements ont annoncé le lancement du secteur biopharmaceutique. On l’avait même vu s’implantant à Rose-Belle. Quel constat faites-vous entre les paroles et les actes par rapport à ce secteur potentiel de l’économie mauricienne ?
La Clinical Trial Act a été votée en 2011 sous le leadership du Premier ministre de l’époque, le Dr Navin Ramgoolam. Ceci a permis à des entreprises pharmaceutiques d’effectuer des études cliniques et précliniques à Maurice. Depuis, on entend des bruits de projets dans le secteur biopharmaceutique mais on ne voit rien de concret. La création d’un parc biopharmaceutique ne rime à rien si on n’arrive pas à faire venir les Big Pharma à Maurice.
Il y a beaucoup de choses qu’on pourrait développer dans ce secteur pour en faire un pilier économique. À mon avis, tant que le secteur biopharmaceutique sera rattaché au secteur de la santé, on ne pourra pas avancer en tant que nouveau pilier économique. Il est indispensable d’avoir un budget spécifique et indépendant pour le secteur biopharmaceutique. Pourquoi pas créer un ministère de la biopharmaceutique comme en Algérie pour gérer toute la recherche fondamentale et découvrir de nouvelles molécules jusqu’à la fabrication et l’exportation de médicaments ? Ainsi, ce secteur aura l’autonomie de progresser afin de devenir un nouveau pilier économique.
Ce nouveau pilier promouvra non seulement les secteurs biopharmaceutique et de la santé, mais aussi les secteurs de la pêche et des ressources marines, l’agro-industrie, les technologies et les petites et moyennes entreprises. On pourra aussi encourager les pêcheurs et leurs familles à entreprendre des travaux pour fournir des matières premières de la mer au secteur biopharmaceutique.
De quels atouts dispose Maurice pour réussir dans ce secteur ?
Aujourd’hui, grâce à la Clinical Trial Act, Maurice a un cadre légal et réglementaire minimum pour le secteur biopharmaceutique. Sur l’île, on a cinq Contract Research Organisations, qui sont des cellules locales pour faciliter la recherche clinique et préclinique dans le domaine cosmétique et biopharmaceutique. Nous avons aussi le Clinical Research Regulatory Council, qui régule les demandes de recherche clinique. Nous avons aussi des panels de patients multi-ethniques qui souffrent des maladies diverses telles que l’hypertension, le diabète, et les maladies cardiovasculaires, entre autres. C’est très intéressant de faire de la recherche clinique sur ce type de panels.
Pour aller plus loin que la recherche clinique, nous avons tout ce qu’il faut pour faire de la recherche fondamentale. Nous sommes entourés de la mer, qui représente une superficie de 2,3 millions de kilomètres carrés, une étendue plus grande que la superficie de la France, de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Espagne et du Royaume-Uni réunis, et qui contient plusieurs matières premières pour faire des médicaments et des produits cosmétiques. Et nous avons une flore unique au monde, nécessitant une recherche poussée pour pouvoir exploiter les ingrédients. Nous pouvons trouver de nouveaux traitements grâce aux ressources présentes autour de nous.
Croyez-vous que malgré les économies d’échelle, et l’existence d’une vaste armée de chercheurs et de techniciens dont dispose un pays comme l’Inde dans le secteur médical et pharmaceutique, Maurice parviendrait quand même à se faire une place dans le monde, comme nous le faisons avec notre industrie touristique ?
Oui… Nous avons des atouts comme susmentionné et avons des compétences humaines également. Des Mauriciens travaillent dans l’industrie pharmaceutique partout dans le monde. En créant des opportunités de métiers dans ce secteur, nous pouvons les faire revenir à Maurice. Nous avons des professionnels de santé qualifiés. Nous devons les former pour le secteur biopharmaceutique. Nous devons aussi proposer des cours adaptés dans le domaine de la biopharmaceutique à l’université afin d’avoir des professionnels dans le domaine.
À Maurice, nous avons tout ce qu’il faut pour concevoir de nouveaux médicaments. Nous pouvons utiliser l’océan et les plantes qu’il y a autour de nous pour faire de la recherche fondamentale, et trouver des nouveaux traitements et faire de la recherche préclinique et clinique pour valider ces traitements, puis enfin les produire à grande échelle pour les vendre à l’international.
Pourquoi ne pas viser à devenir le numéro 1 en Afrique dans la production de médicaments génériques ? Nous pouvons mettre en place une usine pour produire des médicaments génériques et exporter ces médicaments vers les pays africains… La plupart des matériaux sont présents dans la nature. Par exemple, on peut extraire la chitine, un matériau de grande valeur pour le biopharmaceutique, à partir de crabes à carapace molle (soft shell crabs).
En mettant en avant les atouts et les compétences humaines que nous avons, nous pouvons facilement devenir le leader dans ce secteur en Afrique. Et pourquoi pas dans le monde ? Il faut toujours viser haut. Certes, nous aurons des compétiteurs, mais en proposant des services et des produits de qualité à des prix préférentiels, nous pourrons forger notre place dans le monde.
On croit à ce stade de développement des technologies que l’intelligence artificielle deviendra le principal moteur pour faire tourner les recherches scientifiques et médicales. Pensez-vous que Maurice dispose d’assez de ressources humaines rompues aux dernières technologies ?
La solution, c’est la formation. Si nous n’avons pas assez de ressources humaines compétentes, il est temps de proposer ces types de formations à l’université pour relier technologie et pharmaceutique. Il faut aussi former les ressources humaines existantes aux nouvelles technologies. Il faut assurer une formation continue par rapport à la technologie et la biopharmaceutique car ces deux domaines évoluent rapidement.
Le secteur biopharmaceutique ouvre la porte vers la création d’emplois. On aura besoin de scientifiques, d’administrateurs, et de marketers, entre autres. Tout le monde peut trouver sa place. À Maurice, tristement, il y a beaucoup de diplômés sans emploi. Ça serait bien de les réorienter vers ce nouveau secteur.
Avec ce nouveau pilier économique, qui va créer de l’emploi, empêcher l’exode des cerveaux, et promouvoir la formation continue, on va attirer le Big Pharma et les investisseurs. Ainsi, on pourra de nouveau faire de notre pays un high income country.
En raison de la forte prévalence du diabète et des maladies cardiovasculaires à Maurice, pouvons-nous exceller dans la recherche sur ces pathologies et la production subséquente de médicaments destinés à leur traitement ?
Selon les récentes statistiques, Maurice se classe en septième position au monde par rapport au diabète. Sur cinq habitants, il y a un diabétique. C’est presque le même scénario pour les maladies cardiovasculaires. C’est très alarmant.
Pour trouver des traitements efficaces, il faut faire de la recherche clinique sur les patients. Nous avons ici des panels de patients que nous pouvons utiliser pour attirer les Big Pharma pour que ces grandes entreprises pharmaceutiques viennent faire de la recherche clinique chez nous.
Pour ce qui est de la production des médicaments, ce serait moins cher de les produire ici. Certes, construire une usine implique un coût mais produire des médicaments localement sera rentable pour notre économie. Surtout si on les exporte vers d’autres pays.
Les prix actuels des médicaments sont exorbitants. Le projet Pharmacare, proposé par le Parti travailliste, sera un soulagement pour les personnes âgées qui n’arrivent plus à joindre les deux bouts pour acheter leurs médicaments. Produire des médicaments localement aidera à baisser le prix des médicaments. Ainsi, on pourra rendre accessibles des médicaments efficaces pour toute la population.
Pensez-vous que la mauvaise gestion de nos établissements de santé publique pourrait ternir l’image de l’éventuel secteur biopharmaceutique ? Quelles sont les mesures que vous préconisez afin de donner à nos hôpitaux un rayonnement de classe mondiale ?
Même si le secteur biopharmaceutique et le secteur de la santé doivent être indépendants, surtout financièrement, tout est lié car la recherche clinique a lieu dans les établissements de santé. Il est important d’avoir une bonne gestion des hôpitaux publics pour attirer les grandes entreprises pharmaceutiques et les investisseurs de ce secteur à Maurice. La recherche repose sur la qualité des données cliniques et cela ne sera possible qu’au sein d’établissements bien gérés.
Comme mesures à préconiser, il y en a plusieurs… Il est très important d’informatiser les établissements de santé. Le système actuel de cartes est archaïque. Il suffit de créer un profil pour chaque patient, qui sera accessible aux professionnels de santé dans n’importe quel hôpital. De cette façon, on s’assure de la protection des patients par rapport aux traitements et la prise de médicaments. Ainsi, ils seront bien suivis par les professionnels de santé. Ceci diminuera également le temps d’attente dans les établissements de santé.
La propreté et l’hygiène dans ces établissements sont primordiales. Le taux des maladies nosocomiales est en hausse. C’est important de protéger les patients qui sont vulnérables. Il nous faut des personnels de santé qui sont non seulement bien formés mais aussi bien équipés.
Il faut avoir des équipements de santé qui fonctionnent pour pouvoir sauver des vies.
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