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Interview

«Maurice innove et sait s’intégrer dans la recherche scientifique mondiale»

11 juin 2025, 16:00

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«Maurice innove et sait s’intégrer dans la recherche scientifique mondiale»

Claire Blazy-Jauzac, Group Chief Executive Officer du Centre international de développement pharmaceutique

Lors du récent symposium international COSMETOTEST en France, le Centre international de développement pharmaceutique (CIDP) de Maurice a présenté le «CIDP Controlled Pollution Exposure System» (CCPES), une innovation unique permettant d’étudier, de manière standardisée, les effets de la pollution sur la peau. Pour Claire Blazy-Jauzac, «Chief Executive Officer» du CIDP, cette avancée illustre parfaitement le potentiel de Maurice en tant que laboratoire d’idées, capable de concevoir des outils scientifiques de portée mondiale. Grâce à sa diversité ethnique, son climat tropical propice aux essais tout au long de l’année, sa position géographique stratégique entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique, ainsi que sa stabilité politique, Maurice réunit les conditions idéales pour développer une filière de recherche et développement solide. L’île vise non pas à concurrencer directement les grandes puissances comme la France ou les États-Unis mais à se positionner comme acteur complémentaire, agile et innovant. Toutefois, Claire Blazy-Jauzac souligne l’importance d’un meilleur alignement entre formation académique et besoins concrets du secteur. Le renforcement des collaborations entre universités et industriels, ainsi que l’intégration de modules axés sur la recherche appliquée, les réglementations internationales et les technologies émergentes, sont des enjeux clés pour soutenir la croissance durable de ce secteur prometteur.

Que représente cette participation au symposium COSMETOTEST à Lyon, aux côtés de grandes institutions internationales ?

Cette invitation au symposium COSMETOTEST témoigne de la reconnaissance de notre expertise par les leaders du secteur. Cet événement de référence, entièrement dédié aux tests cliniques et précliniques en cosmétique, réunit, chaque année, les principaux acteurs internationaux. Intervenir aux côtés de Clarins, du CNRS Montpellier, de Givaudan, de DSM-Firmenich, Evonik, ou encore de L’Occitane, renforce inévitablement la légitimité scientifique du CIDP. C’est également l’occasion d’affirmer la capacité de Maurice à contribuer, de manière significative, à la recherche scientifique mondiale, tout en consolidant nos partenariats commerciaux, ainsi que nos échanges d’expertise avec les autres acteurs du domaine.

Pensez-vous que la présence d’un institut basé à Maurice dans un tel événement contribue à repositionner notre île sur la carte de la recherche scientifique mondiale ?

Absolument. À chaque fois que nous prenons la parole dans un forum international, cela constitue une manière de rappeler que Maurice ne se limite pas uniquement à son image de destination touristique. C’est également une île qui réfléchit, qui innove et qui est capable de s’intégrer dans les chaînes de valeur globales de la recherche scientifique.

Maurice est surtout connue pour ses plages mais peu pour sa recherche scientifique. Quels sont, selon vous, les atouts du pays pour développer une filière Recherche et Développement (R&D) forte ?

Maurice dispose de plusieurs atouts pour développer une filière R&D solide. Son cadre réglementaire, sa position géographique stratégique entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique, ainsi que sa stabilité politique, figurent parmi les éléments clés nécessaires pour créer un environnement propice à la recherche. De plus, la diversité ethnique et culturelle de la population permet des études cliniques représentatives tandis que le climat tropical et les saisons inversées permettent des essais tout au long de l’année. Enfin, l’île forme une nouvelle génération de talents qualifiés, plus ouverte à l’innovation et aux collaborations internationales.

Le pays peut-il réellement se positionner dans la recherche cosmétique et pharmaceutique face à des États comme la France, la Suisse ou les États-Unis ?

Maurice ne cherche pas à être le concurrent direct des géants comme la France, la Suisse ou les États-Unis mais elle ambitionne plutôt à se positionner comme un acteur complémentaire et agile. Grâce à notre expertise locale, notre réactivité et notre capacité à mener des études dans un environnement multiculturel, nous apportons une valeur ajoutée appréciée par nos partenaires internationaux. C’est cette combinaison d’excellence scientifique et de flexibilité, qui fait la force du CIDP.

Vous avez présenté une innovation développée ici par le CIDP. Est-ce la preuve que nous pouvons être un laboratoire d’idées et d’outils pour la recherche mondiale ?

Oui, tout à fait. Lors du symposium COSMETOTEST, nous avons présenté une innovation née à Maurice : le CIDP Controlled Pollution Exposure System (CCPES). Imaginé par le CIDP et développé avec un partenaire aux États-Unis, ce système permet d’étudier les effets de la pollution sur la peau de façon standardisée. Nous avons aussi étudié ces effets sur les peaux à problème comme le psoriasis ou le mélasma. À ce stade, les résultats montrent clairement l’impact de la pollution sur la pigmentation cutanée (mélasma, taches pigmentaires). Cette innovation prouve que Maurice peut être un laboratoire d’idées, capable de créer des outils scientifiques à fort impact mondial. Elle reflète notre savoir-faire et notre aptitude à offrir des solutions de pointe à travers des collaborations solides, répondant ainsi aux exigences du marché international.

Quelles ont été les principales étapes clés franchies par le CIDP au cours des cinq dernières années ?

Ces cinq dernières années, le CIDP a renforcé sa présence sur les marchés européen, brésilien et indien, tout en élargissant son offre. Nous avons lancé de nouvelles études, notamment sur les dispositifs médicaux, et renforcé notre expertise en dermatologie, faisant du CIDP une référence dans le secteur de la recherche en dermatologie et cosmétologie. Nous proposons des services complets, de la mise en place d’études cliniques à la rédaction scientifique, et nous développons des partenariats avec des institutions de prestige.

Notre portefeuille de clients ne cesse de s’élargir, avec de nouveaux grands noms de l’industrie comme Stada (société allemande), qui est l’un des plus gros fabricants de produits pharmaceutiques et de conseils en Europe, ou encore Perrigo, une société américaine spécialisée dans les produits d’automédication, entre autres. Par ailleurs, nous avons également constitué un comité scientifique interne pour piloter nos innovations et nous avons obtenu des certifications internationales en matière de sécurité informatique et de développement durable (EcoVadis et CyberVadis), ce qui témoigne de notre engagement infaillible en termes de qualité, durabilité et cybersécurité.

Quels freins ou défis spécifiques rencontrez-vous dans la conduite d’études scientifiques de haut niveau ?

Le principal défi est lié à l’accès aux compétences techniques très spécialisées, qui sont encore peu présentes localement. Il faut également renforcer les partenariats entre le monde académique et les entreprises. Enfin, la lenteur administrative peut parfois retarder la mise en œuvre de certains projets d’envergure. Il est important d’agir afin de renforcer les collaborations au niveau local, tout en s’assurant de l’engagement de toutes les parties prenantes concernées (académiques, gouvernementales et privées). Si nous voulons continuer à faire briller la recherche de notre pays, tous les acteurs (privé et gouvernement) doivent respecter leurs engagements.

En tant que CEO dans un domaine encore largement dominé par les hommes, quel regard portez-vous sur la place des femmes dans la science aujourd’hui ?

Les femmes ont déjà façonné le monde de la science, Marie Curie ayant reçu deux prix Nobel dans deux disciplines, d’abord en physique pour ses recherches sur la radioactivité, puis en chimie pour ses travaux sur le polonium et le radium. Pour la petite histoire, elle reste la seule personne à avoir été récompensée dans deux domaines scientifiques distincts ! Toutefois, encore aujourd’hui, les femmes doivent surmonter de nombreux biais, qui demeurent dans l’inconscient collectif des gens. Ainsi, il est essentiel de créer des environnements inclusifs, de promouvoir le mentorat et de rendre les carrières scientifiques compatibles avec leurs aspirations. Je crois profondément en la capacité des femmes à transformer la recherche par leur regard, leur rigueur et leur sensibilité. La société mauricienne est en train de changer, la place des femmes dans la société et dans les entreprises évolue, mais c’est également aux dirigeants et aux politiques de montrer l’exemple en créant des postes et des portefeuilles clés pour les femmes. Chez CIDP, nous sommes fiers de compter plus de 70 % de femmes dans nos effectifs, dont la majorité, si ce n’est la totalité d’entre elles, a effectué des études universitaires poussées. À titre d’exemple, nous avons des diplômées en Science in Pharmaceutical Technology du King’s college, London, en Applied Science de l’université de British Columbia au Canada, en Life Science de l’université Sunway en Malaysie et de l’université Lancaster UK, un doctorat en biochimie de l’université Pierre et Marie Curie, Paris, une diplômée en dermatologie et vénérologie du College of Physicians & Surgeons of Mumbai, une doctoresse en médecine de l’université de Médecine et de Pharmacie de Iuliu Haţieganu, Cluj-Napoca, Roumanie. Beaucoup de nos collaboratrices ont acquis une expérience à l’étranger avant de revenir à Maurice pour développer les Life Sciences aux côtés du CIDP.

Voyez-vous une évolution en termes d’accès des jeunes filles aux filières scientifiques ?

Oui, et je dois souligner que cette évolution est encourageante. De plus en plus de jeunes filles s’orientent vers les sciences, mais il faut aller encore plus loin. Pour cela, le rôle des écoles et des universités, à travers leurs programmes, et l’implication des familles et des modèles féminins dans ces domaines, sont absolument cruciaux. Il ne suffit pas d’ouvrir les portes : il faut accompagner et soutenir ces vocations de manière durable.

Quel message aimeriez-vous adresser à une jeune Mauricienne qui hésite à se lancer dans une carrière scientifique ?

«Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront», disait René Char, poète et résistant français. C’est une citation intemporelle et c’est ce que je dirais à une jeune Mauricienne, qui veut se lancer dans une carrière scientifique. Il faut savoir oser et saisir les opportunités, tout en restant soi-même.

Pensez-vous que les cursus universitaires mauriciens soient suffisamment alignés avec les besoins réels de la recherche en cosmétique, pharmaceutique et dermatologie ?

Il y a encore un décalage entre la formation théorique et les besoins pratiques du terrain. Un dialogue plus étroit entre les institutions universitaires et les acteurs industriels est, de ce fait, indispensable. Il faut également intégrer davantage de modules orientés vers la recherche appliquée, les réglementations internationales, ainsi que les nouvelles technologies.

Quels sont vos projets de développement ou d’investissement dans les années à venir ?

Ces cinq dernières années, nous avons connu une forte croissance alors que la qualité de nos prestations est désormais reconnue par les plus grands noms de la dermocosmétique, à l’instar de L’Oréal, Pierre Fabre, Chanel, LVMH, Nivéa, Johnson & Johnson ou encore Cipla. Dans les années à venir, notre ambition est de faire de Maurice un pôle régional de référence en recherche clinique dermocosmétique. Pour y parvenir, nous prévoyons de renforcer nos capacités techniques en investissant dans du matériel de pointe pour le diagnostic et l’évaluation, tout en intégrant l’IA dans nos protocoles d’études. Enfin, nos infrastructures seront revues afin d’accueillir un plus grand nombre de volontaires et de patients. Nous travaillons également à la mise en place d’un centre d’excellence en dermatologie, qui sera dédié à l’innovation et à l’évaluation de solutions pour les peaux à besoins spécifiques.

Actuellement, nous sommes en train de mener une étude pour évaluer les habitudes cosmétiques de la population mauricienne car cela nous permettra d’avoir une représentation des routines cosmétiques locales en fonction du type de peau et de cheveux. En parallèle, nous poursuivrons nos efforts pour former et renforcer les compétences locales, à travers des partenariats avec les universités et la création d’opportunités pour les jeunes talents mauriciens souhaitant s’orienter vers la recherche scientifique. Ces projets s’inscrivent dans une vision à long terme, qui allie excellence scientifique, impact économique et rayonnement international.

Comment voyez-vous l’évolution du secteur de la recherche dermocosmétique ?

Aujourd’hui, les laboratoires développent des produits inclusifs, qui se doivent d’être efficaces pour une grande variété de types de peau et de cheveux, ce qui fait que cela nous oblige à recruter beaucoup de volontaires dans des délais encore plus restreints. Avec sa population multiethnique, Maurice possède un avantage compétitif car les produits pourront être évalués par un grand nombre de personnes ayant des types de peaux et de cheveux très diversifiés. Malgré la petite taille de notre territoire, nous sommes représentatifs d’une grande partie de la population mondiale.Maurice a toutes les cartes en main pour répondre à cette demande, à condition bien évidemment de continuer à investir dans le développement des compétences, la qualité et l’innovation.

Avec l’émergence de l’intelligence artificielle, de la science des données ou de la médecine personnalisée, comment le CIDP s’adapte-t-il à ces nouvelles tendances scientifiques ?

Nous avons déjà intégré l’IA dans nos outils d’analyse d’images cutanées et nous explorons des partenariats en data science pour enrichir nos études. Ces technologies permettent d’améliorer la précision, d’accélérer l’analyse des résultats, et de produire des recommandations plus personnalisées. Notre vision consiste à allier rigueur scientifique et innovation technologique pour rester à la pointe du secteur.

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