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Megh Pillay

«Maurice ne peut se permettre le luxe d’une catastrophe»

20 janvier 2024, 22:00

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«Maurice ne peut se permettre le luxe d’une catastrophe»

Megh Pillay, Ancien CEO d’Air Mauritius.

Les turbulences secouant le transporteur aérien national suscitent exaspération et critiques. L’ancien CEO Megh Pillay pointe du doigt la décision controversée de l’administrateur de réduire la flotte pour «dipin diber» et les ressources humaines d’expérience. La sécurité opérationnelle et le recrutement précipité sont également soulevés, soulignant l’urgence d’une réorientation stratégique pour éviter une catastrophe.

Vous n’êtes pas insensible au chaos ou plutôt à la «parfaite tempête» (pour reprendre les mots de l’officier en charge de MK) prévalant à l’aéroport international SSR avec les retards et annulations des vols de MK, avant et après le cyclone Belal…

L’officier en charge de MK a fait son mea-culpa, confirmant ainsi le chaos lié aux retards, annulations, manque d’appareils, d’entretien de routine, de manque critique de personnel cléà différents niveaux, et de la mauvaise gestion des incidents récents qui pourtant arrivent parfois en période de pointe. Des incidents qui ont provoqué le buzz ici et sur nos marchés historiques à l’étranger. Le chaos était prévisible. MK a émergé de l’administration volontaire avec ses ailes arbitrairement coupées de plus de 40 %, avec six appareils de moins sur les 13 de sa flotte, et ses jambes amputées avec la mise sur la touche des employés expérimentés et talentueux formés au fil des décennies d’opérations sans faille. Et pourtant, une reprise retentissante du marché de voyage était anticipée dès la commercialisation des vaccins anti-Covid et avant la fin de l’administration en septembre 2021.

Pourtant, c’est l’administrateur Sattar Hajee Abdoula choisi par le gouvernement qui disait qu’il y avait des avions et du personnel en surplus et qu’il fallait alléger MK pour rentabiliser ses opérations ?

Effectivement, il voulait que le MK post-administration/Covid réduise son réseau de 50 %, et il s’est débarrassé de six avions gros et moyen-porteurs: deux A340, deux A330 et deux A319 «deemed surplus to requirements», d’après lui. Et on savait qu’avec ses 13 avions, MK offrait 2,3 millions de sièges et en vendait 1,7 million, soit un taux de remplissage de 74 % avant Covid. Plus de 98 % de vols programmés ont été exécutés avec une ponctualité de 80 %. Une performance opérationnelle et commerciale très honorable, dans les normes de l’industrie, qu’importe si les spécificités du réseau particulier à MK et l’éloignement de son home-base Maurice de ses sources de trafic passagers auraient justifié une performance inférieure. Le personnel d’expérience et cette flotte totalement fit-for-purpose pour ses missions étaient au top des normes de l’aviation malgré une perception publique parfois erronée. Donc, il n’y avait aucun problème à régler avec cette machinerie qui ne marchait que trop bien.

Cela ne justifiait donc pas l’insolvabilité de la compagnie ?

La seule et véritable cause de l’insolvabilité était l’endettement. Cet endettement dû à l’acquisition mal-inspirée de nouveaux avions dont MK n’avait pas besoin. D’ailleurs, deux A350 900 ont été livrés à la South African Airways, qui était aussi insolvable. Ces deux avions sont maintenant intégrés à la flotte de MK. Le véritable défi confrontant l’administration était l’endettement devenu insoutenable. Pas les ressources humaines ou l’adéquation de la flotte. En amputant arbitrairement ces deux éléments clés, on a introduit le défaut structurel dont souffre MK aujourd’hui. Cette insuffisance de la capacité opérationnelle, technique à bord et commerciale et administrative au sol, ne pourra être comblée de sitôt que par l’injection massive de fonds externes ou par ces nouveaux tarifs super-élevés qui ne reflètent que l’excès ponctuel de la demande face à l’offre de sièges. Les opérateurs de l’industrie du loisir et les autres stakeholders semblent n’avoir pas bien saisi le fait que le MK post-Covid est moins de moitié de ce qu’elle était. Sous cette pression du marché, MK avec de nouvelles têtes tente de répondre avec ses moyens de bord, découvre que les ressources lui manquent, et elle court dans tous les sens pour acquérir équipements et personnel.

L’administrateur aurait-il pu faire autrement ?

Bien sûr qu’il aurait pu. Presque en même temps que MK en avril 2020, Virgin Australie est entrée en administration volontaire sous Deloitte. En dix semaines, elle s’en est sortie bien restructurée et était back in business avec un accord de vente et une recapitalisation. Deloitte a ensuite vendu Virgin à la société d’investissement américaine Bain. Deux ans après, en juin 2023, Virgin avait complètement retrouvé sa profitabilité. Pour sa part l’administration de MK aura duré 18 mois. Elle en est sortie dans l’état qu’on connaît. Il semble qu’il y ait eu incertitude de la voie à prendre, hésitation entre soit une recapitalisation, soit une liquidation prolongée. Avec la première option MK aurait fait ce que d’autres compagnies en souffrance avec la fermeture des frontières ont fait : se mettre à l’abri en attendant que le cyclone Covid passe. Elle semble avoir tout de suite misé sur l’option liquidation sommaire avant un changement de cap tardif. Et puis arriva la recapitalisation !

Comment les autres compagnies en souffrance ont-elles survécu au Covid ?

Plusieurs lignes aériennes dépendantes du trafic international et paralysées en même temps que MK ont décidé de focaliser leurs énergies sur la préservation de leur flotte et la rétention de leur personnel expérimenté. Elles voulaient être prêtes à la relance dès l’ouverture des frontières. C’est ainsi que, privée de revenus opérationnels, Singapore Airlines leva 22 milliards de dollars en nouvelles liquidités pour subvenir à ses dépenses ponctuelles dont le remboursement des clients et ses obligations financières. Avec la reprise retentissante du transport aérien depuis 2022, elle a retrouvé pas seulement son excellent niveau d’efficience technique et commercial, mais elle affiche déjà une profitabilité record de ses 76 ans d’existence et rembourse sereinement la dette contractée. MK aurait pu être dans cette même position et reprendre avec sérénité son rôle de leader du marché avec une croissance assurée.

Dans son rapport de fin de mission (DOCA), l’administrateur explique pourtant avoir agi sur les conseils des consultants et du management en décidant de réduire la flotte par six avions...

Quand une directrice de MK et son management sans tête signaient le DOCA avec l’administrateur le 1er octobre 2021, le facteur Covid ne comptait plus dans la planification de la reprise éventuelle du transport aérien international. Mais avec la flotte globale clouée au sol, il n’était un secret pour personne qu’il y avait «an excess supply of aircraft on the market due to the Covid-19 crisis». Cependant, il a mis les six avions en vente, des avions qui ont été régulièrement mis à jour et modernisés «state-of-the-art» à grands frais et qui répondent à toutes les exigences des règles strictes de l’aviation civile internationale. Pas surprenant qu’on ait obtenu des miettes de 6,3 millions de dollars dont une partie payable dans deux ans. Montant insuffisant pour se payer un petit avion seconde main même à la casse aujourd’hui. Et on envoie un jeune gros-porteur A-330 200 de 12 ans au cimetière d’avions à Pinal Park en Arizona. Donc, MK était déjà en mode liquidation. Si le gouvernement était prêt à injecter Rs 25 milliards pour renflouer MK, pourquoi se précipiter à brader des appareils qu’on savait essentiels à l’exploitation de son réseau, et pour moins que pain et beurre à un moment précis où il n’y avait aucun acheteur sérieux ?

Des experts doivent savoir mieux que quiconque…

Il faut se rappeler que l’administration s’est fait épauler par des experts et avait aussi fait adopter un Business Plan de cinq ans avec un réseau réduit de 50 %. Cela ne semble pas avoir empêché MK de retourner sur le marché pour chercher des avions de seconde main et en wet-lease qui veut dire avec équipage et carburants comme si nous n’avons pas des Mauriciens capables d’opérer des vols commerciaux. Pis, on ne cherche désespérément à acheter ou louer qu’après la grande reprise de l’aviation globale quand il n’y a plus d’aéronefs dont on a besoin, même pas dans les cimetières d’avions. Donc, il est assez improbable que MK trouve des appareils répondant à ses spécifications comme ceux qu’elle avait bradés quand personne n’en voulait. Il faut savoir que les experts externes et internes prodiguent souvent des conseils complaisants. Il est certainement dans l’intérêt de l’économie du tourisme que MK ne réduise pas sa flotte en peau de chagrin comme l’a voulu l’administration. Et c’est déjà bien que MK se ressaisisse et revoie sa flotte à l’expansion. L’officier en charge annonce un retour partiel sur Rome et Chennai, cette fois-ci en un seul vol hebdomadaire. C’est bon signe que MK s’écarte du Business Plan de cinq ans avec un réseau réduit de 50 % prescrit par l’administration dans le Business Plan de cinq ans du DOCA adopté par le Board, les actionnaires et les créanciers en octobre 2021.

Quid de la sécurité du personnel navigant et des passagers avec tout ce qui se passe ?

Evidemment, on court de gros risques si, en manque d’appareils et de ressources compétentes, on continue à pousser sa flotte au-delà de ses limites. Admettant les incidents, l’officier en charge a annoncé l’urgence des recrutements tous azimuts de pilotes, mécaniciens et autres membres du personnel navigant et d’accueil au sol. Il sera certainement dans l’intérêt de MK, de son personnel et de ses passagers que la mobilisation des ressources précède l’exécution de son nouveau plan stratégique. Personne n’exploite une flotte à 100 %. Il faut prévoir plus de marge dans la flotte permettant les exercices de vérifications et d’entretien obligatoires, et le repositionnement rapide du personnel et d’équipements pour éviter l’effet boule-de-neige impactant l’intégrité opérationnelle de son réseau. Le management de MK ne devrait jamais se laisser entraîner dans une spirale interminable de fire-fighting pour plaire. Maurice ne peut se permettre le luxe d’une catastrophe.

Fallait-il donc des coups de gueule sur les réseaux sociaux, des articles de presse pour que l’officier en charge qui supplée un CEO suspendu depuis plus de trois mois, se décide de s’expliquer ?

Il existe des protocoles à dérouler en urgence lors des crises qui sont récurrentes en période de pointe. Le personnel et le management de l’escale à l’aéroport SSR et les autres grands aéroports en sont bien rodés. Ils ont souvent géré avec brio ces crises parfois aggravées par des conditions cycloniques mettant à l’épreuve toute l’infrastructure physique et humaine des services aéroportuaires. Il est vrai qu’avec la cessation des opérations pendant le Covid, le départ du personnel d’expérience et l’arrivée de nouveaux effectifs, il y a eu une perte inévitable de mémoire institutionnelle, et de réflexe spontané. On aurait pu inviter ceux mis à la retraite prématurément à revenir pour assurer une transition en douceur. Un Prem Sewpaul, ou un Joel Toussaint par exemple, ne refuseront jamais d’aider, comme tant d’autres éléments talentueux et de grande expérience qui aiment cette compagnie.