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Interview
Isabelle Descroizilles : «Maurice souffre aujourd’hui d’un manque de visibilité»
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Interview
Isabelle Descroizilles : «Maurice souffre aujourd’hui d’un manque de visibilité»

Isabelle Descroizilles, «Managing Director» de MJ Holidays
En marge du Budget 2025-26, Isabelle Descroizilles livre son analyse sur l’état actuel et le potentiel du secteur touristique mauricien. La directrice de MJ Holidays attire particulièrement l’attention sur le segment en forte croissance de la location touristique de courte durée, qui mérite d’être structurée et professionnalisée. La simplification des procédures d’obtention de licences pourrait permettre à des milliers de nouveaux opérateurs d’intégrer officiellement le secteur, qui générerait ainsi des retombées économiques significatives. Elle plaide également pour un accompagnement concret à travers des programmes de formation, un budget marketing dédié et un système efficace de collecte et d’analyse de données. Autant de leviers qui pourraient renforcer la contribution de ce segment au PIB, tout en élargissant la base fiscale.
Quelles sont vos attentes budgétaires cette année et quelles mesures concrètes souhaiteriezvous voir dans le Budget pour soutenir la relance et la croissance durable du secteur touristique ?
Nous opérons dans le secteur du short term rental, et l’une des grandes attentes c’est la professionnalisation du secteur en simplifiant les processus d’obtention des licences touristiques. Cela pourrait permettre à quelque 2 000 à 5 000 nouveaux acteurs d’intégrer officiellement le secteur touristique et ainsi de contribuer à hauteur de Rs 0,6 milliard à Rs 2 milliards au Produit intérieur brut (PIB), sans parler des effets multiplicateurs au niveau économique global et des revenus fiscaux. En parallèle, il faudrait accompagner cette démarche, d’abord par un programme de formation garant de la qualité, ensuite par un budget marketing spécifiquement alloué, et enfin par la mise en place d’un système de collecte et d’analyse de données. Le secteur est en pleine expansion, c’est le moment idéal pour saisir les opportunités qui se présentent.
Maurice connaît une baisse de fréquentation touristique ces derniers mois. Comment analysezvous cette tendance ?
En valeur absolue, la baisse enregistrée sur les quatre premiers mois de l’année n’est pas si importante. Cependant, c’est surtout le comportement des voyageurs qui interpelle. Aujourd’hui, sans données officielles à l’appui, on estime qu’il y a presque autant de chambres disponibles dans l’hôtellerie traditionnelle que dans le secteur de la location de villas et d’appartements, notamment les Airbnb. L’offre est, à ce jour, très largement supérieure à la demande, c’est un fait. Le profil des voyageurs est aussi très diversifié. Ils peuvent séjourner dix jours dans l’île mais partager leur expérience entre un hôtel 5-étoiles, puis un lodge et terminer par quelques jours dans une villa privée.
Quels sont aujourd’hui les freins principaux à la croissance du tourisme mauricien ?
Maurice souffre aujourd’hui d’un manque de visibilité. Même si notre capital affectif reste important sur les marchés historiques, nous ne pouvons nous en contenter. Pour maintenir la compétitivité, il est crucial de rester on top of the mind des voyageurs. La campagne Feel The Island Energy a permis de relancer notre destination avec une certaine fraîcheur. Il nous faut garder le cap et poursuivre les efforts afin d’être présents de manière continue, récurrente, je dirais même permanente, sur nos différents marchés.
Une stratégie de communication pérenne doit être pensée, et mise en place sur des marchés ciblés, qui répondent à ces critères : clientèle avec un réel pouvoir d’achat, desserte aérienne, réseaux de distributeurs solides. Notre branding manque encore de clarté. Il nous faut également mobiliser du budget pour gagner en impact et mesurer l’efficacité de nos actions marketing. Il faut surtout de la continuité et de la consistance.
Dans un contexte où la concurrence régionale est de plus en plus forte, que doit faire l’industrie hôtelière pour rester attractive ?
Il est crucial d’être constamment à l’écoute des clients, de leurs besoins et attentes et surtout des tendances du marché, tout en se réinventant continuellement Ce n’est pas simple, surtout lorsque le modèle a bien fonctionné pendant longtemps. Certains, et ils sont plutôt nombreux, sont sur la bonne voie. Notre industrie est dynamique et intègre de mieux en mieux la nouveauté.
Mais l’hôtellerie n’est qu’un des acteurs : tout l’écosystème doit marcher de pair. La gestion de nos lagons, de nos îlots, de nos forêts, de nos villes, bref, tous les points de passage des voyageurs doivent refléter l’image que nous voulons donner aux marchés émetteurs. Si c’est l’accueil, l’authenticité, les paysages magiques… il faut que cette promesse soit tenue.
Les visiteurs sont parfois confrontés à des questions d’insécurité ou d’incidents liés à la drogue. Est-ce une réalité ressentie dans le secteur hôtelier ?
Bien évidemment… La sécurité a toujours été l’un des points forts de notre destination, une destination refuge justement sur cet aspect en particulier. Nous avons un besoin vital de conserver cet atout.
On parle beaucoup aujourd’hui de tourisme durable, d’authenticité, d’écotourisme… Voyez-vous un changement de mentalité chez les voyageurs ?
Très clairement oui. Chez MJ Holidays, nous avons des resorts à taille humaine, où la relation avec nos équipes et celle que nous tissons avec nos clients sont au centre : convivialité, transparence, sincérité, disponibilité. Nous tentons, à chaque fois que cela est possible, d’encourager les clients à adopter ces valeurs : économie d’énergie, achats en circuit court (local), soutien à la communauté locale, partenariats avec des artisans ou petites entreprises.
Pensez-vous que Maurice peut ou doit revoir son positionnement touristique dans les années à venir ?
Oui, il faut surtout le clarifier, l’écrire de la manière la plus simple et la plus concrète possible. Qu’avons-nous à offrir et que d’autres n’ont pas ? Pourquoi les visiteurs reviennent année après année ? Nous le savons, mais il faut être capable de l’exprimer à travers une identité visuelle, une expression simple, qui sera compréhensible de tous. Aujourd’hui, la communication doit être directe, simple et straight to the point. Ce sujet de positionnement est sur la table depuis de nombreuses années. J’espère que nous allons ensemble, en tant qu’industrie, pouvoir le définir et travailler dans la même direction.
Le secteur hôtelier est souvent critiqué pour ses horaires difficiles et son taux de rotation élevé. À votre avis, que faut-il changer pour attirer de nouveaux talents ?
L’hôtellerie n’est pas un métier comme les autres, il fait appel à des qualités bien spécifiques, qui tournent autour de trois mots : accueil, service et disponibilité. La difficulté, c’est qu’il faut être capable d’assurer ce service d’excellence quasiment 24/7 car le client réside sur place, et a des besoins et des requêtes auxquelles il faut pouvoir répondre à tout moment. Notre challenge, aujourd’hui, est sans nul doute de pouvoir concilier les nouvelles attentes des collaborateurs et celles des clients.
Des ajustements sont en cours depuis quelque temps déjà. Par exemple, chez MJ Holidays, le service de Réception/Conciergerie s’arrête à 20 heures et non à minuit, ce qui permet aux équipes de passer leurs soirées en famille. Le service de housekeeping et de maintenance s’arrête autour de 17 heures. Nous parvenons donc à trouver des compromis, qui satisfont nos équipes et nos clients.
Justement, votre groupe a mis en place certains avantages comme l’absence de travail de nuit. Pensez-vous que cela pourrait inspirer d’autres opérateurs ?
Je l’espère oui, pourquoi pas ? Il faut évoluer avec son temps, faire preuve d’ouverture et de créativité. Ce n’est pas simple, cela demande de remettre en question certaines pratiques, même certaines normes. L’ADN de MJ Holidays a été construit autour de l’impératif d’avoir des collaborateurs qui, fondamentalement, sont heureux au travail, c’est la pierre angulaire de nos orientations, de nos décisions.
Il y aura toujours des aires d’améliorations, et j’espère que nous continuerons à être à l’écoute de ces possibilités d’amélioration. Notre modèle est purement centré sur l’humain, et nous avons vraiment à cœur l’attractivité de notre marque employeur, de manière sincère et transparente. Nous privilégions ainsi une open door policy, c’est-à-dire qu’il est facile pour tous les membres de l’équipe d’être force de proposition.
Est-ce que vous constatez une meilleure fidélisation des employés grâce à ces conditions de travail ?
Oui, nous avons la chance d’avoir réduit le turnover, et de pouvoir compter sur l’engagement de nos équipes. Certains nous ont quittés, pour mieux revenir en comprenant que parfois, les promesses ailleurs ne sont pas tenues. Il fait bon travailler chez MJ Holidays : nous avons cherché à montrer le sens de chaque rôle dans ce grand puzzle, qui fait l’expérience de vacances chez nous. Au-delà du salaire, qui est normal et évident, la reconnaissance, la possibilité de grandir, l’écoute, la bienveillance font partie de notre quotidien. Ces valeurs nous guident au quotidien, autant que faire se peut.
Quel est votre regard sur l’avenir du tourisme à Maurice, dans un contexte mondial marqué par l’instabilité économique et les préoccupations écologiques ?
Il faut toujours regarder l’avenir avec un regard dans le rétroviseur. Et quel parcours tout de même pour un si petit territoire. Qu’est ce qui a fait son succès ? Que retient-on ? Pour ma part, il nous faut en priorité préserver l’humain, notre sens inné de l’accueil et la qualité des relations humaines car c’est ce que retient chaque visiteur dans son cœur. Pour ce faire, il faut ramener plus de Mauriciens dans les métiers du tourisme. Ensuite, nous avons l’obligation de préserver la beauté de nos paysages et la qualité de nos coraux, de respecter les dauphins et cachalots, de maintenir en l’état le peu de forêt endémique que nous avons, de même que nos plages. Le chantier est colossal, il y a tout à faire : protéger, éduquer, régénérer, transformer les habitudes, valoriser notre culture. Les voyageurs d’aujourd’hui et de demain attendent cela de nous, et ils nous le disent sans détour. Nos ressources de base, l’eau et l’électricité, ne sont pas infinies, je pense qu’il faudrait orienter nos stratégies vers un tourisme qui mettrait moins de pression sur ces ressources (plus de qualitatif versus le quantitatif), un tourisme aussi plus respectueux, plus collaboratif que simplement dans la consommation. Nous le faisons à notre échelle. Il serait cependant crucial de généraliser ces démarches.
Vous vous apprêtez à ouvrir un nouvel établissement, Eko Savannah, en décembre. N’est-ce pas un pari risqué dans un contexte d’incertitude ?
Il n’y a pas de pari sans risque. Nous ne pouvons connaître les retombées d’un projet en avance. Notre responsabilité est d’en dessiner les contours, de projeter une vision et de tout faire pour y arriver. En cela, Eko Savannah donne une nouvelle dynamique à MJ Holidays. Une nouveauté qui motive les équipes et qui nous pousse à nous questionner, à évoluer, à innover. Nous avons néanmoins aujourd’hui une solide expérience, des compétences prouvées en interne, des partenaires sérieux sur lesquels nous appuyer, et au-delà de cela, une furieuse envie de réussir. Nous aurons besoin d’aide et allons bientôt démarrer notre communication pour recruter nos futurs collaborateurs.
Pouvez-vous nous en dire plus sur l’ADN de ce nouveau «resort» ?
Eko Savannah jouit d’un cadre unique : à 360 degrés quand vous regardez autour de vous, il n’y a que la nature, les montagnes et cette végétation de savane bien spécifique à Tamarin. Un équilibre parfait entre liberté, hospitalité 5-étoiles et art de vivre à la mauricienne.
Nous souhaitons créer une destination resort avec un Club House de 1 200 m2 , pensé comme un lieu de détente et de rencontres entre touristes et résidents. Cet espace mêlera découvertes culinaires et culturelles, avec des apéros au coucher du soleil, brunchs du dimanche, vernissages, expositions et concerts acoustiques. Le bien-être n’est pas en reste avec une salle de fitness hyper équipée, des espaces massages, méditations et pilates mais aussi des espaces de coworking, offrant un mix parfait entre productivité et détente tropicale.
Quel public ciblez-vous avec ce troisième «resort» et en quoi celui-ci diffère de Marguery Villas et Mythic Villas ?
Marguery Villas est situé en plein cœur du village de Rivière-Noire, au milieu de cette vie trépidante alors que Mythic Suites et Villas, à Grand-Gaube, offre plus de tranquillité. Eko Savannah va proposer un lieu où l’on vient faire une pause, lâcher prise, ralentir, se reconnecter. Le cadre et les services y sont raffinés, l’attention aux détails – comme la décoration des villas qui y est somptueuse – est présente partout. Nous ciblons des épicuriens, qui recherchent de l’élégance et de la convivialité, une alternative contemporaine aux hôtels traditionnels.
Envisagez-vous de nouveaux projets ou d’autres ouvertures dans les années à venir ?
Nous avons des projets et l’avenir nous en dira plus.
«La gestion de nos lagons, de nos îlots, de nos forêts, de nos villes, bref, tous les points de passage des voyageurs doivent refléter l’image que nous voulons donner aux marchés émetteurs.»
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