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Amédée Darga

«Maurice, une plateforme rassurante pour investir en Afrique ou pour structurer les moyens de s’y rendre»

7 juin 2024, 21:33

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«Maurice, une plateforme rassurante pour investir en Afrique ou pour structurer les moyens de s’y rendre»

Amédée Darga, «Managing Director» de StraConsult

Nombreux sont les Mauriciens qui portent un intérêt particulier pour l’Afrique, dont la Journée mondiale a eu lieu le 25 mai. Parmi eux, Amédée Darga, ancien politicien ayant réussi sa transition de la politique vers le monde des affaires. Il a fondé StraConsult et a su intégrer le continent africain, qui occupait une place centrale dans sa carrière politique. Son engouement pour l’Afrique s’est aussi manifesté dans le cadre de la constitution du Mauritius Africa Business Club qu’il préside, plateforme visant à favoriser une forte relation commerciale et économique avec le continent. Il fait le point sur le parcours de cette organisation et propose des pistes pour que le pays puisse tirer profit des opportunités disponibles.

ll y a dix ans, un groupe de professionnels mauriciens, engagés dans divers segments de l’économie, a mis en place le Mauritius Africa Business Club dont l’objectif principal est de repérer les opportunités capables de donner une nouvelle impulsion économique à Maurice. Quelles sont les réalisations qui allaient justifier le recours à cette plateforme ?

Le Mauritius Africa Business Club a été créé avec les objectifs suivants : réunir ceux intéressés à faire des affaires en Afrique, et ainsi promouvoir le partage d’expériences, bonnes comme mauvaises, de l’information, et assurer le réseautage car il vaut mieux chasser en groupe que seul ; d’être une plateforme qui permettrait aux hommes d’affaires étrangers intéressés à se tourner vers le continent à rencontrer leurs pairs mauriciens et tenter d’engager des synergies ; d’être un organe de plaidoyer auprès des autorités mauriciennes pour l’élaboration d’une stratégie Afrique appropriée et le recours à des mesures potentiellement susceptibles de soutenir la démarche des entreprises vers l’Afrique, et finalement, ce club vise à promouvoir une meilleure connaissance des pays africains. Nous avons invité plus d’une douzaine de personnalités et d’hommes d’affaires de divers pays à rencontrer les membres de ce club. L’élaboration d’une stratégie Afrique a débouché sur la publication de deux documents de notre part.

Quel est le plan de travail du Mauritius Africa Business Club pour l’année en cours ?

Notre agenda pour 2024 comprend le programme Africa Country Brief. C’est dans ce contexte que nous avons eu droit à la présentation sur le Kenya, animée par le patron d’un cabinet de comptabilité de ce pays. Nous sommes également en train de finaliser la préparation d’une manifestation axée sur la promotion des relations entre la Grande péninsule et l’Afrique. Elle s’articulera autour d’une rencontre entre hommes d’affaires indiens et africains. Nous ne raterons pas une occasion pour faire la promotion de Maurice en tant que plateforme incontournable pour soutenir les entrepreneurs qui désirent réaliser leur projet de s’installer sur le continent et d’être à leurs côtés pour ce qui est de la structuration des moyens qu’ils ont identifiés pour faire aboutir leur rêve d’investir en Afrique. Le Mauritius Africa Business Club ne s’occupe pas de la mise en place de montage pour aider les entreprises intéressées à finaliser leur projet d’investissement sur le continent africain. Nous faisons un travail de sensibilisation avec pour objectif de susciter chez les entrepreneurs qui ont le sens de l’aventure la volonté de le faire en Afrique. Il est heureux que certains aient entendu le message que la croissance de leur entreprise ne peut se faire qu’en allant au-delà des frontières de Maurice et qu’ils se soient installés sur le continent.

S’il fallait aujourd’hui recourir à une telle initiative, quelles en seraient les motivations ?

Les mêmes qu’hier car il y a encore beaucoup d’opportunités à saisir pour des entreprises qui n’ont pas encore de stratégie d’expansion sur l’Afrique.

Vous qui connaissez bien l’Afrique, quelle est votre appréciation de sa situation de développement dans son ensemble ?

Il n’y a pas une situation homogène sur le continent africain. Ils sont 54 pays et cinq régions formatées autant par les caractéristiques de civilisations que par leur passé colonial respectif. Le développement économique et humain progresse très bien sur le continent mais de façon très inégale entre les régions et les pays. La région centrale, avec des pays comme la Centrafrique, le Mali, ou le Tchad, est une région très instable. C’est la région est-africaine, avec le Kenya, la Tanzanie, l’Ouganda et le Rwanda, qui a le meilleur niveau de développement et qui connaît une bonne croissance. Cette région présente donc de meilleures conditions pour investir. Ensuite, il y a la région australe avec la Zambie, le Botswana, la Namibie et l’Afrique du Sud. C’est une région qui aurait pu être puissante mais qui est plombée par la non-performance du Zimbabwe, pays qui a une puissance économique bloquée. À l’Ouest, le Nigeria, le Ghana, la Côte d’Ivoire et le Cameroun mènent un très bon train de développement. Pour 2024, l’Afrique aura un taux de croissance de 3,8 %, qui est plus élevé que celui de l’ensemble des pays du monde. L’Éthiopie a un taux de 6,7 %, La Tanzanie 6,1% et l’Ouganda 6 %.

Ces derniers temps, la Chine manifeste un très grand intérêt pour le continent africain et ce, pour plusieurs raisons. Autour de quels facteurs, l’ambition de Maurice de tirer profit du développement économique du continent devrait-elle s’articuler ?

Les Occidentaux diabolisent la stratégie de pénétration de la Chine en Afrique. La démarche de la Chine se situe dans la logique de la géopolitique et de la géo-économie du monde. L’Inde manifeste tout autant cette volonté d’être un acteur incontournable sur le continent, bien que, jusqu’ici, sa pénétration soit faible. Le Japon y est aussi. Il y a plus d’une centaine de compagnies singapouriennes qui évoluent dans une quarantaine de pays du continent africain. Olam, compagnie de Singapour, est un gros producteur agricole dans 19 pays du continent. Il est clair que l’Asie est aujourd’hui un partenaire de meilleur choix pour l’Afrique. Maurice a certainement des cartes à jouer que ce soit comme plate-forme rassurante pour investir en Afrique que pour structurer les moyens pour s’y rendre, mais aussi parce que, au fil des décennies, Maurice a su développer un ensemble de savoir-faire que ce soit dans le secteur du textile que celui de l’agriculture et de l’agro-industrie. Il s’agit d’un atout ayant une valeur considérable pour le pays.

Quelle place l’économie devrait-elle occuper dans le système éducatif mauricien ?

Le pays a besoin de jeunes ayant démontré d’énormes potentiels, ayant un esprit d’entrepreneurs et qui ont l’ambition de contribuer pour que Maurice atteigne de plus hauts paliers à l’aide de l’innovation. Des jeunes capables de rayonner au plus haut niveau dans le monde. Notre système d’éducation jusqu’au niveau tertiaire ne crée que des «babous», tant dans le secteur public que privé et qui n’ont comme ambition que de rouler en grosses berlines. Nous produisons une masse de diplômés de faible niveau. Nous avons une multitude de MBA, qui ne sait pas ce que MBA veut dire – Master in Business Administration. La plupart ne master rien du tout. Nous n’avons pas réussi à produire la masse critique dans les domaines de la science et des technologies. Les jeunes qui se sont aventurés à faire de telles études à l’étranger ne trouvent pas d’emploi dans les créneaux de leurs compétences. Il est inconcevable que les hauts fonctionnaires dans le secteur public soient grandement mieux payés que les professionnels scientifiques et techniques ! Nous avons déjà été dépassés par le Kenya par rapport au secteur digital.

Quel est votre constat des efforts fournis par Maurice sur ce plan jusqu’ici ?

Il y a pas mal de Mauriciens qui ont fait la démonstration du niveau de performance dont ils sont capables mais qui sont de la diaspora. Il n’y a pas d’efforts pour faire revenir ceux-là au pays. Même au niveau du secteur privé, on constate une préférence pour des cadres européens plutôt que de faire l’effort de mobiliser de hautes compétences de la diaspora. C’est un gros capital de compétences dont nous privons notre développement économique. À saluer ces quelques jeunes qui quittent leurs situations de salariés pour se lancer dans des start-up. Le gouvernement et les institutions financières doivent les soutenir.

Quels sont les pays du continent africain avec lesquels Maurice a le plus d’affinités ?

Cela dépend de ce qu’on entend par affinités. Un dirigeant politique avait prôné une diplomatie africaine se concentrant sur les pays de peuplement de Maurice, soit le Mozambique et le Sénégal, d’où la mise en place d’une ambassade au Mozambique alors que nous en avons déjà une en Afrique du Sud. Autant que je sache, personne, même pas le Centre Nelson Mandela, n’a jamais organisé un grand voyage, genre pèlerinages aux sources, vers ces deux pays. Par contre, nous avons plutôt une grande affinité sur le plan économique avec la région australe et la région de l’Afrique de l’Est. Il est heureux de constater qu’il y a 69 entreprises mauriciennes déployées dans 23 pays du continent, essentiellement dans ces deux régions.

Dans quelle mesure, cette prédisposition a permis à Maurice de renforcer ses relations avec l’Afrique ?

Maurice jouit d’un grand respect et d’une grande admiration auprès des pays africains comme exemple de stabilité, de gouvernance, d’État de droit et pour son secteur privé dynamique. Comme centre d’affaires du Global Business et financier, nous offrons une plateforme favorable. C’est un facteur qui a attiré beaucoup à aller vivre et opérer sur le continent, y compris des Africains eux-mêmes. (...) Le gouvernement a bien fait de mettre en place une gamme de mesures de soutien qui permettent déjà à certaines entreprises de s’installer en Tanzanie. Plutôt que d’aller investir dans des Special Economic Zones, Mauritius Africa Fund devrait mettre en place un projet de capital-risque en vue d’assurer l’accompagnement des entreprises qui veulent investir en Afrique. Enfin sur le plan de notre diplomatie africaine, il faudrait avoir une ambassade au Kenya et une autre à Abidjan ou alors un Roving Ambassador, avec l’économie au centre de ses préoccupations.