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Admissibilité des bandes sonores en cour

Me Antoine Domingue : «Aujourd’hui, 28 ans après l’affaire Bacha, nous disposons d’outils informatiques de comparaison »

25 octobre 2024, 22:00

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Me Antoine Domingue : «Aujourd’hui, 28 ans après l’affaire Bacha, nous disposons d’outils informatiques de comparaison »

Dans le cadre de l’affaire Missié Moustass, qui défraie la chronique, des questions cruciales émergent quant à la recevabilité des bandes sonores présentées. L’avocat Antoine Domingue, Senior Counsel, évoque la célèbre affaire Bacha ainsi que l’affaire «bal kouler» impliquant feu Raj Dayal, ancien commissaire de police et ministre de l’Environnement, pour illustrer l’importance de la vérification des sources. Dans le cas de Raj Dayal, l’homme d’affaires Patrick Soobany avait confirmé avoir remis une bande sonore directement à la police. Toutefois, la situation se complique pour Missié Moustass, car la provenance de l’enregistrement reste incertaine.

Quelles sont les conditions légales pour qu’une bande sonore soit admise comme preuve dans un tribunal, surtout si certaines parties confirment l’authenticité de leur voix alors que d’autres parlent de manipulation potentielle par l’intelligence artificielle ?

Il faut établir l’originalité, la légalité, la provenance et l’authenticité de l’enregistrement. Dans ce cas, il faut se référer à ce sujet au jugement de 54 pages de l’ancien chef juge Yeung Sik Yuen aux assises dans l’affaire State v Sir Bhinod Bacha (1996 MR 97), où il juge que : «I rule that cassettes KP1 and KP2 which the prosecution had sought to produce for the consideration of the jury were not admissible.» Il avait jugé que l’interception des communications téléphoniques entre l’accusé Sir Bhinod Bacha et une Suspected Female Speaker était anticonstitutionnelle et n’était autorisée par aucune loi. Les deux enregistrements avaient été remis par l’ancien juge Robert Ahnee, comme Police Informer, au DCP Kylassan Pillay (KP1 et KP2) le 5 juillet 1994 «for enquiry». Dans le cas de l’affaire «bal kouler», la bande sonore remise par l’homme d’affaires Patrick Soobany avait été qualifiée comme recevable en cour puisque la source a été identifiée, contrairement à cette affaire de Missié Moustass.

Sur l’authentification des preuves numériques, comment la justice procède-t-elle pour authentifier une bande sonore soupçonnée d’avoir été modifiée ou générée par l’IA ?

Il faut que l’interception soit autorisée par la loi pour que l’enregistrement soit admissible en cour de justice, et il faudrait soumettre l’enregistrement à une expertise afin de déterminer sa provenance et son authenticité.

Quels types d’expertise ou d’analyses peuvent être demandés dans ce genre de situation ?

Cela, il faudrait le demander aux experts. Tout ce que je sais, c’est que dans l’affaire Bacha, la Directrice des Poursuites Publiques d’alors, Me Anne Marie Cheung, et Me Fekna s’étaient appuyées sur le rapport, l’expertise et le témoignage du Professeur Kunzel, un Forensic Phonetic Scientist, qu’on avait fait venir d’Allemagne. Celui-ci avait seulement pu effectuer une «classical voice comparison of the male speaker» (c’est-à-dire Sir Bhinod Bacha), puisqu’il n’y avait pas de «reference material from any suspected female speaker», c’est-à-dire Madame Castellano.

Une enquête judiciaire peut-elle être entamée uniquement sur la base de bandes sonores, même si leur authenticité est contestée, ou faut-il d’autres éléments pour justifier une telle procédure ?

Une enquête peut et doit être diligentée, comme cela fut le cas dans l’affaire Bacha, où l’on avait déployé de grands moyens et fait appel à l’expertise étrangère. Dans le cas qui nous préoccupe, il me semble que nous pouvons avoir accès au «reference material of the suspected female speaker» et à celui du CP, le « male speaker », pour les besoins d’une «forensic voice comparison». Nous ne sommes plus en 1996, lorsque le jugement Bacha fut rendu. Aujourd’hui, 28 ans après l’affaire Bacha, nous disposons d’outils informatiques de comparaison. Que nous faut-il de plus ?