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Interview

Michaël Sik Yuen : «Je ne suis pas ici pour plaire aux gens, mais pour travailler !»

22 décembre 2024, 10:00

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Michaël Sik Yuen : «Je ne suis pas ici pour plaire aux gens, mais pour travailler !»

Michaël Sik Yuen, ministre du Commerce et de la Protection des consommateurs.

Il est responsable de mettre en œuvre une des promesses phares de l’Alliance du changement : faire baisser les prix. Michaël Sik Yuen, à la tête du ministère du Commerce, détaille non seulement son plan d’action, mais évoque aussi les problèmes qui continuent à plomber les finances de la State Trading Corporation…

Un des facteurs qui a contribué à la victoire de l’Alliance du changement est la promesse de baisser les prix. Vous avez un plan d’action ?

Nous avons déjà commencé à concrétiser ces promesses, le prix de l’essence a baissé. Ce prix est décidé par le Petroleum Pricing Committee. Si le compte de cet organisme est déficitaire, les prix ne peuvent pas être baissés. Aujourd’hui, pour l’essence, ce compte a un surplus d’environ Rs 200 millions. Pour le diesel, le déficit est de Rs 3,6 Mds. Donc, l’essence peut baisser, mais pas le diesel. Malgré cela, le ministère des Finances a fait des efforts. Les droits d’accise ont été diminués. Au total, avec cette baisse, c’est un manque à gagner d’environ Rs 1,3 Md pour l’État, mais nous l’avons fait. Il y a eu plusieurs réunions entre mon ministère et celui des Finances, car il y avait aussi la promesse du paiement du 14ᵉ mois à tenir. Toutes ces mesures étaient liées, raison pour laquelle les décisions ont pris du temps avant de tomber.

Comment la State Trading Corporation (STC) s’est-elle retrouvée dans cette situation ?

Le diesel a été vendu à perte pendant plusieurs années. Mais il n’y a pas que ce produit. Le même schéma a été répété pour les autres items. Le gaz ménager, qui coûte environ Rs 600, est vendu à Rs 190. Le riz ration, qui coûte environ Rs 15, est vendu à Rs 5,40. Les Rs 3,6 Mds dont je vous ai parlé, ne concernent que le Price Stabilisation Account. Il y a un autre déficit d’environ Rs 2 Mds sur la vente de ces trois produits. En tout, cela fait un compte négatif de Rs 5,5 mds pour la STC.

Il y a pourtant des prélèvements sur le prix de l’essence pour ces produits…

Laissez-moi vous expliquer comment cela marche. Les droits d’accise, qui étaient de Rs 11,87 avant la baisse, étaient collectés et reversés pour le ministère des Finances. C’est pareil pour la TVA. Puis, il y a les contributions pour le gaz, le riz et la farine, qui sont de Rs 7,20. Avant, c’était moins, mais les prélèvements pour le Covid Fund sur les carburants ont basculé sur ces contributions. C’est cet argent qui était utilisé pour acheter ces produits subventionnés, mais ce n’est pas suffisant. De plus, le prix de ces commodités ont grimpé, mais à Maurice, les prix ont été maintenus.

C’est d’ailleurs une des failles du système. La farine est subventionnée pour que le prix du pain soit maintenu à un niveau abordable. C’est une bonne chose. Mais cette même farine subventionnée est utilisée par les hôtels et les pâtisseries pour des gâteaux, qui sont par la suite vendus au prix fort. L’idée derrière la subvention était que tout le monde ait accès à une denrée de base. Les pâtisseries, même avec la farine subventionnée, ne sont pas vendues moins cher. Nous allons revoir tout cela.

Il est toujours possible de sauver la STC de la banqueroute ?

Lorsque je suis arrivé, j’ai regardé les dossiers prioritaires. Il y avait la baisse du prix de l’essence et mettre de l’ordre à la STC. Nous avons travaillé sur les projections pour sortir du rouge, et cela tourne beaucoup autour du prix de l’essence. D’ailleurs, selon nos projections, cela aurait été plus rapide sans la baisse du prix de l’essence. Plus le prix baisse, plus la sortie s’éloigne. Encore une fois, je précise que nous avons fait le choix de baisser. Avec l’ancien prix, le compte pour l’essence aurait été de plus de Rs 450 M au 30 juin 2025, et le déficit pour le diesel aurait été ramené à Rs 2,5 Mds. Mais avec les nouveaux prix, le déficit sera de Rs 3,2 Mds. Ça, c’est dans l’optique que les prix ne baissent pas encore. Mais nous sommes toujours sur la bonne voie. J’ai parlé à tous les employés pour leur dire que nous devons tous travailler pour sortir la STC de ce trou et ils l’ont compris.

Dans cinq ans, pourrez-vous promettre une baisse de la TVA à 10 %, comme l’a fait l’Alliance Lepep ?

Nous n’avons jamais fait cette promesse, donc je ne vais rien dire dessus. Nous avions parlé de 14ᵉ mois et nous l’avons fait. Les promesses faites de l’autre côté sentaient le désespoir. Je ne sais pas comment ils auraient mis leur manifeste en pratique. L’Alliance Lepep avait parlé du loyer des Chagos avant même la signature d’un accord définitif. Les Mauriciens ne sont pas bêtes !

Vous avez découvert des scandales depuis votre arrivée ?

Ma collègue Stéphanie Anquetil a posé une question sur les frais légaux de la STC. J’ai déposé une liste avec les détails au Parlement pour qu’elle soit rendue publique. Lorsque le Premier ministre donnait les détails des dépenses de l’ancien commissaire de police en frais d’avocats, je disais à mes collègues que ce n’était rien à côté des mêmes dépenses de la STC. Monn get sa, monn gagn so. Mo araze.*

Combien ?

Rs 157 M ! Amize mam ! Et je parle de ce que j’ai vu. Il y a aussi ce que je n’ai pas encore vu. Il y a encore des choses à découvrir. Lorsque mon nom a été cité pour ce ministère, des documents ont commencé à être détruits à la STC. Ziska paper shredder gagn bate. Je fouille dans les dossiers tous les jours. D’ailleurs, je viens d’annoncer à quelqu’un qui est au ministère depuis plusieurs années qu’il y a une fraude au niveau de la Credit Union alors que j’y suis depuis moins d’un mois. L’information a été confirmée. J’ai eu beaucoup d’informations car je rencontre pas mal de gens. Si vous avez des choses à me dire sur la STC, ma porte est ouverte.

Je vous le redis, je suis là pour mettre de l’ordre. Dans une fonction avec les employés, j’ai dit à ceux du département de la protection des consommateurs qu’ils ne me reconnaissent certainement pas car lorsque j’étais dans ce ministère il y a 15 ans, il y avait beaucoup de management meetings. Je leur ai dit que pour l’instant, ma priorité est la STC, mais à partir de janvier, tous les départements travailleront pour améliorer la situation.

Après la baisse du prix des carburants, il n’y a pas eu d’impact sur les autres produits. Votre ministère n’a-t-il pas un droit de regard sur les prix, surtout pour éviter les abus pendant la période des fêtes et avec le 14ᵉ mois qui sera payé ?

Je vais vous parler du sel. Certains font entre 400 % et 500 % de profits dessus. Bon, le produit reste abordable, mais c’est la réalité. On va intervenir bientôt. Vous savez, certains prix sont fixés, d’autres contrôlés et le reste dépend de la concurrence. Revenons au sel. Il y a plusieurs manières de gérer la situation. La première est de fixer le prix. Nous pouvons aussi mettre une marge de profit maximale. Ou encore, on peut en importer à travers la STC et faire jouer la concurrence. Un autre exemple est l’œuf. Dan Covid, ti pre pou gagn kado. Aujourd’hui, l’œuf se vend à Rs 13 ou Rs 15. Si personne ne fait d’efforts pour baisser les prix, nous allons intervenir pour les fixer ou réguler les profits. J’aurai une rencontre bientôt avec les producteurs de poulet. Dans ce domaine, nous n’avions pas autorisé l’importation pour que le secteur décolle et cela a créé de l’emploi. Mais s’il y a des exagérations sur les prix, s’il y a des concertations pour les maintenir, je vais recommander au conseil des ministres d’ouvrir l’importation.

Donc la baisse des prix n’est pas pour demain ?

C’est une promesse que nous allons tenir ! Ce n’est pas une chose facile. Pa nek pez bouton sa. Si le gouvernement met trop de pression, cela peut mener à des ruptures de stock car certains produits ne seront plus importés. C’est le consommateur qui sera pénalisé. Il faut voir comment trouver un équilibre. Il n’y a pas de TVA sur des produits comme le riz, le beurre ou le lait. Lorsque je suis arrivé au ministère, j’ai fait une longue liste de produits, qui inclut les pâtes, les céréales, le café, la nourriture pour bébé en pot, les légumes surgelés ou en conserve et d’autres. Ce sont des produits que nous pouvons considérer comme de première nécessité. Tous ces produits sont vendus avec 15 % de TVA. On travaille déjà sur une option avec le ministère des Finances. Une autre solution serait que la STC entre sur le marché en important des produits.

N’est-ce pas déjà le cas ? Les produits Smatch n’ont pas eu l’effet escompté…

Le projet peut être amélioré. Il y a des intermédiaires. Selon moi, il faut que l’instance travaille directement avec les gouvernements ou s’approvisionne directement avec des fabricants. Bon, si jamais il y a un intermédiaire qui nous dit pouvoir fournir de l’huile à être vendue à Rs 50, on prendra.

Il n’y a pas que les consommateurs qui font face aux problèmes. Vous avez rencontré les commerçants ?

Nous ne sommes pas là pour mettre des bâtons dans les roues de qui que ce soit. Il y a une semaine, lors de l’assemblée générale de la General Retailers’ Association, j’ai écouté leurs problèmes et je leur ai répondu. Je leur ai donné l’assurance que mon ministère agira comme un pont entre l’association et les autorités concernées.

Ils font face à quels problèmes ?

Le plus gros souci est le manque de devises. J’ai soulevé cette question avec le gouverneur de la Banque de Maurice (BoM). Si vous allez chercher des dollars à la banque, vous n’en aurez pas. La banque vous dira qu’il faut attendre quelques jours, mais ce sera à un taux différent et il faudra en réserver. Cela devient un business et j’espère que cela va changer ; sinon, il faudra voir, au niveau du gouvernement, comment gérer ce problème. Un autre souci majeur est le fort taux de rotation du personnel. Les magasins se tournent vers les employés étrangers et là, c’est l’obtention des permis qui est problématique.

Ensuite, il y a le port. Quelquefois, cela prend tellement de temps que des bateaux repartent. Si cela arrive en ce moment, c’est tout le mois de décembre qui est perdu et en janvier ou février, le commerçant se retrouve avec un stock de produits. Face à tout cela, j’ai dit que mon ministère fera le lien et organisera des rencontres avec les personnes concernées. Par exemple, il y aura des réunions avec les représentants du port ou de la BoM. Ce serait bien qu’eux aussi entendent les doléances directement des acteurs du domaine.

Et pour la pénurie de carburants à Rodrigues, votre ministère fera quoi ?

AEL DDS a rajouté deux tanks aux commandes normales. De plus, au lieu de les remplir à 91 %, ils sont remplis à 94 %, ce qui fait des milliers de litres en plus. Deux autres réservoirs seront rajoutés en janvier. L’autre problème est que le MV Trochetia est actuellement en dry dock. En janvier, tout retournera à la normale. Pour prévenir d’autres pénuries, il y a deux choses à faire. Rehausser encore la capacité de stockage ; et pour cela, la compagnie a aussi demandé à la MPA un espace supplémentaire. Puis, il faut augmenter la fréquence du déplacement du MV Trochetia. Avec trois voyages et un volume plus important de carburants stockés sur place, le problème sera résolu.

Il n’y a pas que l’alimentation. Les médicaments sont tout aussi chers, malgré l’introduction du «regressive mark-up».

Soyons clairs. Le coupable est la dépréciation de la roupie. Puis, il y a les problèmes dans le port. Si ces deux problèmes ne sont pas résolus, nous pourrons faire tous les efforts du monde, mais rien ne changera. Revenons aux produits alimentaires. Si nous enlevons la TVA sur tout, les prix baisseront par 15 %. Mais si la roupie chute en même temps, nous revenons à la case départ. Ce n’est pas un problème que nous pourrons résoudre en 24 heures.

Il y a aussi l’importation parallèle. Je ne suis pas en train de dire que nous allons le faire ou pas. Personnellement, je suis pour. Maintenant, il faudra voir comment mettre en place le système, car lorsque nous parlons de médicaments, nous n’avons pas droit à l’erreur. Il faut réunir tous les stakeholders autour d’une table pour en discuter. Si ce système est mal mis en place et a un impact négatif sur la santé des patients, autant continuer à payer les médicaments au prix fort. Mais vous savez, dès que les discussions ont commencé, plusieurs acteurs du secteur ont cherché à me rencontrer. Il y a ceux qui sont contre, d’autres qui sont pour…

Les petits importateurs, les grands importateurs et propriétaires de pharmacies ne sont pas sur la même longueur d’onde. Vous savez comment plaire à tout le monde ?

Mo pa la pou pler tou dimounn ! Mo la pou fer mo travay !*** **Je suis là pour plaire aux consommateurs!

Le gouvernement est en place depuis un mois, et les critiques se font déjà entendre. Vous les entendez aussi ?

Vous avez un exemple ?

Les nominations, par exemple ?

Encore une fois, nous allons faire ce que nous avons promis. Nous ne pouvons pas venir et tout faire le premier jour, c’est impossible. Certaines promesses seront réalisées dans les semaines qui viennent, d’autres prendront des mois. Mais il faut d’abord qu’il y ait des lois dans ce sens. Entre-temps, il y a des urgences. Concernant les nominations, il y aura bien une instance composée des membres du gouvernement et de l’opposition pour évaluer les candidats. Si on attend de voter les lois avant de procéder à toutes les nominations, nou pou bouz fix. Il y en a qui ne peuvent pas attendre. Regardez la STC même, par exemple. Si on attend de préparer la loi, d’en débattre et de la voter avant de nommer quelqu’un à la tête, on va tout droit dans le mur. Air Mauritius, c’est pareil et là, je parle en tant qu’ancien ministre du Tourisme. Le métro fait Rs 2 milliards de pertes par an. Nous allons travailler sur ces projets de loi.

Lors du meeting à Curepipe, vous aviez dit que la ville Lumière est devenue la ville Noire. Vous avez un projet pour rallumer les lumières, avec vos deux colistiers ministres ?

Je ne reconnais plus Curepipe. 10 an de cela, bann larout ti kouma velour. Aujourd’hui, je dis aux gens de venir rouler à Curepipe s’ils veulent endommager leur voiture. Là, on attend le départ des conseillers municipaux pour donner un nouveau souffle à la ville. Nous sommes à l’écoute de nos mandants. Vous savez, lors des porte-à-porte, nous passons beaucoup de temps à écouter les mandants, je m’imprègne de leurs problèmes pour pouvoir les résoudre. C’est d’ailleurs pour cela que je savais que nous allions gagner les élections, Missie Moustass ou pas. Maintenant que c’est fait, nous allons tout faire pour honorer les engagements pris.

On va vous revoir au Parlement avec vos «sousou» et autres «brinzel» ?

Balna ki bizin amene aster. Lorsque nous leur parlions au Parlement, ils ne nous écoutaient pas. Zot ti pe pran seki nou dir pou bann boufonad. Le message que je voulais faire passer est que la population souffre, mais le gouvernement ne l’entendait pas.

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Frais légaux de la STC : La liste déposée au Parlement

Le ministre du Commerce a déposé la liste des hommes de loi sollicités par la STC de décembre 2014 à novembre 2024 au Parlement. La somme dépensée pour le paiement des honoraires de 25 avocats, dont plusieurs issus de firmes internationales, s’élève à Rs 157 733 205,31.

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