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Questions à...
Milan Meetarbhan: Mieux comprendre la séparation des pouvoirs et les recours constitutionnels
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Milan Meetarbhan: Mieux comprendre la séparation des pouvoirs et les recours constitutionnels
Milan Meetarbhan, constitutionnaliste.
Les recours à la Cour suprême contre des décisions d’organismes publics, voire du législateur, dominent l’actualité ces dernières semaines. L’éditorial de «l’express» du vendredi 23 mars s’est demandé si la Cour suprême peut contrer l’exécutif. Nous avons sollicité un éclairage davantage pédagogique que politique de Mᵉ Milan Meetarbhan, avocat et constitutionnaliste, sur les voies de recours judiciaires qui sont disponibles aux Mauriciens.
À un moment où la séparation des pouvoirs est souvent évoquée, pouvez-vous nous rappeler ce que dit ce principe ?
Le principe de la séparation des pouvoirs est considéré comme un pilier essentiel de la démocratie. Selon ce principe, les trois fonctions de gouvernance dans un État démocratique doivent être distinctes et conférées à trois organes séparés et indépendants. Ces trois fonctions sont celles du législateur, de l’exécutif et du judiciaire. Donc, on ne peut être législateur et juge en même temps ou faire partie du judiciaire si on est membre de l’exécutif ou du Parlement. Si certains États appliquent strictement la séparation des pouvoirs et, par conséquent, un parlementaire ne peut également faire partie de l’exécutif à l’instar des ÉtatsUnis, d’autres prévoient au contraire qu’on ne peut faire partie de l’exécutif que si on est membre du Parlement. En Grande-Bretagne, par exemple, on ne peut être ministre que si on fait partie du Parlement (la House of Commons ou la House of Lords).
Comme le régime constitutionnel mauricien…
Effectivement, nous avons adopté le modèle westminstérien et aux termes de notre Constitution, seul un membre de l’Assemblée nationale peut être nommé ministre, à l’exception de l’Attorney General qui ne doit pas nécessairement être un député même s’il siège à l’Assemblée après sa nomination comme Attorney General.
Donc, la Constitution mauricienne repose quand même sur le principe de la séparation des pouvoirs…
La séparation des pouvoirs n’est pas spécifiquement prévue dans la Constitution mauricienne. Cependant, l’article premier de notre Constitution prévoit que la République mauricienne est un État démocratique. La jurisprudence mauricienne a consacré le principe de la séparation des pouvoirs comme étant inhérent à un État démocratique.
Si les trois organes de gouvernance sont séparés et indépendants, est-ce que cela veut dire qu’aucun de ces organes ne peut être sujet à un contrôle quelconque ?
Non, le principe de séparation des pouvoirs comporte un deuxième volet. Si les trois organes sont indépendants l’un de l’autre, le principe de séparation des pouvoirs énonce également le contrôle que peut exercer un organe sur un autre. À titre d’exemple, le législateur peut exercer un certain contrôle sur l’exécutif à travers les questions parlementaires ou la dotation budgétaire. Le Parlement lui-même peut être «contrôlé» par le judiciaire qui peut invalider une loi dûment votée par le législateur.
D’autre part, l’exécutif peut aussi être soumis au contrôle judiciaire. Le judiciaire lui-même ne peut être sujet à un contrôle en tant que tel mais au cas où les juges rendent un jugement que le législateur estime ne pas être conforme aux besoins d’une société moderne, le Parlement peut voter une loi qui modifie la précédente sur laquelle les juges s’étaient appuyés pour rendre le jugement. Cependant, le législateur ne peut annuler la décision déjà rendue par le judiciaire et la nouvelle loi ne s’appliquera que dans le futur.
Dans quelles circonstances le citoyen peut-il demander l’intervention du judiciaire par rapport aux décisions de l’exécutif ou du législateur ?
À Maurice, notre régime repose sur le principe de la primauté de la Constitution. Cela implique que toute loi votée par le Parlement peut être invalidée par la Cour suprême au motif que la loi ou des dispositions de la loi sont contraires à celles de la Constitution. Outre le recours concernant la constitutionnalité d’une loi, la Cour suprême peut également être saisie en cas de violations des droits fondamentaux garantis par la Constitution. Si une question relevant d’une interprétation de la Constitution est posée au cours d’un procès devant une cour de district ou la cour intermédiaire, la cour peut référer la question à la Cour suprême pour être tranchée.
Le contrôle de l’exécutif, les ministres ou toute autre entité publique (au sens du droit public et non privé) s’exerce soit par voie de recours constitutionnel soit par le truchement d’une judicial review qui relève du droit administratif. Cette procédure permet, par exemple, à un citoyen de demander à la Cour suprême d’invalider une décision administrative ou d’ordonner une action quelconque si l’exécutif ou un organisme public a agi contrairement à la loi, ou de façon arbitraire ou déraisonnable. À titre d’exemple, si un fonctionnaire estime que des collègues moins qualifiés que lui ont été promus à un rang supérieur sans que la Public Service Commission ne respecte les critères établis, ce fonctionnaire peur faire une demande de judicial review afin que l’exercice de promotion soit annulé.
Donc, tout citoyen mauricien qui s’estime lésé par une décision du Parlement ou de l’exécutif peut contester cette décision devant la Cour suprême ?
En ce qui concerne l’exécutif, une absence de décision peut également être contestée. La réponse à cette question doit être nuancée. Oui, des voies de recours sont prévues par la Constitution ou en vertu du droit administratif. Cependant, ces recours sont astreints à des règles de procédure qui concernent notamment les délais pour contester une décision ou encore la qualité (le locus standi) de celui qui conteste la décision. Les délais sont très courts et le justiciable doit être directement concerné par la décision. Une ONG, par exemple, qui conteste une décision qu’elle considère d’intérêt public peut être déboutée par la cour parce qu’elle n’est pas directement impactée par cette décision. D’autre part, il convient également de souligner qu’une loi spéciale prévoit des conditions très strictes concernant des actions au civil contre les autorités publiques ou des fonctionnaires en réclamation pour rupture de contrat ou autre acte dommageable. L’exécutif n’est pas traité dans ces cas comme tout autre justiciable mais soumis à un régime distinct. Les juges n’ont jusqu’ici pas estimé que ce régime distinct est contraire à la Constitution.
Mais est-ce que le droit accordé au citoyen peut être exercé par un organisme public contre un autre organisme public ?
On a vu ces dernières années le commissaire de police Mario Nobin contester devant la Cour suprême la décision du DPP de ne pas poursuivre un individu. Ensuite plus récemment, le commissaire de police Dip a demandé à la Cour suprême de trancher un litige qui l’oppose au DPP pour savoir qui de la Police ou du DPP peut s’opposer ou non à une demande de libération sous caution d’une personne en détention. Il faut souligner que, dans ce dernier cas, la décision finale sur la libération ou non de cette personne relève du judiciaire et non de la police ou du DPP. Il ne suffit pas que la police ou le DPP s’oppose à cette libération pour que le judiciaire refuse d’accorder la liberté conditionnelle. Le magistrat écoute les parties et décide indépendamment de leurs prises de position. Mais le commissaire de police a toutefois décidé que la question de savoir qui de la police ou du DPP peut objecter ou non à la demande de remise en liberté est suffisamment importante pour demander à la Cour suprême de trancher. Des avocats étrangers ont été retenus pour le procès, aux frais des contribuables.
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