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Milan Meetarbhan: «Pravind Jugnauth brise le consensus national sur les Chagos»

18 septembre 2024, 22:00

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Milan Meetarbhan: «Pravind Jugnauth brise le consensus national sur les Chagos»

Milan Meetarbhan, avocat, spécialisé en relations internationales, ancien ambassadeur à l’ONU

Vous étiez chargé du dossier Chagos pendant quelques années, comment réagissez-vous à la nomination d’un envoyé spécial du nouveau gouvernement britannique sur la question chagossienne ?

Le gouvernement britannique avait annoncé, en novembre 2022, soit plus de trois ans après l’avis consultatif de la Cour Internationale de justice, le début des négociations entre les gouvernements britannique et mauricien sur l’avenir des Chagos. Le ministre des Affaires étrangères, James Cleverly, avait alors déclaré qu’il espérait conclure ces négociations avant mars 2023. Depuis, il y a eu plusieurs rounds de négociations. Mais quelque temps avant les élections générales au Royaume-Uni, une aile conservatrice du gouvernement sortant, ainsi que le successeur de Cleverly, David Cameron, se sont fait l’écho des réactionnaires américains qui souhaitaient maintenir le statu quo, surtout parce que, selon eux, Maurice serait proche de la Chine et pourrait accorder à Beijing des facilités sur les Chagos, une fois que le pays aurait récupéré sa souveraineté sur l’archipel. Ces prises de position ont marqué un temps d’arrêt dans le processus de négociations. Les décisions prises par le nouveau gouvernement travailliste, élu en juillet 2024, ont indiqué un changement de position avec, semble-t-il, une volonté de reprendre ces négociations.

L’annonce de la nomination de Jonathan Powell, qui a été dans le passé chargé de négociations cruciales pour les Britanniques sur d’autres dossiers majeurs, comme envoyé spécial du gouvernement britannique sur les Chagos est une nouvelle indication de ce changement de politique. Si c’est le cas, cela ne peut qu’être bien accueilli, même s’il faut le faire avec des réserves, car il s’agit d’un litige qui dure depuis plus de 50 ans, au cours desquels il y a toujours eu une fin de non-re cevoir de la part des Britanniques aux propo sitions mauriciennes.

Est-ce que vous estimez qu’une résolution de ce litige serait maintenant imminente ?

Il faut dire que la résolution de ce litige ne passe plus uniquement par une recon naissance de la souveraineté mauricienne par l’ancienne puissance coloniale, mais il paraît que le présent gouvernement mauricien a in troduit un nouvel élément majeur dans les négociations. En effet, même si des gouvernements successifs à Maurice se sont engagés à maintenir la présence américaine à Diego Garcia, dans le cadre d’un accord sur notre souveraineté sur l’archipel des Chagos, l’ac cent était mis surtout sur la souveraineté, qui est une question de droit et de dignité nationale. Il est maintenant question de loyer que les Américains devront payer à l’État mauricien pour l’utilisation de notre territoire ou encore, selon certaines informations, de compensation pour l’occupation illégale de notre territoire pendant cinq décennies. Donc cela élargit de façon significative le scope des négociations.

Il faut rappeler que les Américains ont maintenu, depuis 1965, une base militaire à Diego, que les Britanniques et les Américains eux-mêmes considéraient comme territoire britannique, sans payer de loyer aux Britanniques. On sait aussi qu’au moment où les Britanniques ont donné leur accord pour que les États-Unis installent une base militaire à Diego, la Grande-Bretagne a bénéficié, en échange, d’un rabais sur l’achat de missiles Polaris. Donc, on peut s’attendre à une réticence de la part des Américains à payer pour l’utilisation de Diego après le retour de l’archipel à Maurice, d’autamt qu’une telle décision pourrait avoir des rami fications sur la présence américaine ailleurs dans le monde.

Le Premier ministre a critiqué, dans une déclaration le week-end dernier, ceux qui se montrent sceptiques de l’issue des négociations en cours…

Il est dommage que Pravind Jugnauth tente une récupération politique de ce dossier. Il s’en est pris à ceux qui ne cessent de «zape» (aboyer), alors que lui travaille pour la reconnaissance de notre souveraineté. On peut dire que quand il s’agit de l’intégrité et de la souveraineté de notre pays, il faut impérativement maintenir un consensus national sur les efforts entrepris par l’État mauricien. Or, à chaque fois que Jugnauth en fait une affaire partisane, il brise le consensus national qu’il devrait, vu les fonctions qu’il occupe, préserver à tout prix sur un dossier aussi important. Dans sa déclaration du week-end, il a également, toujours dans le but de tirer un capital politique, réitéré une contre-vérité. Il a en effet déclaré que la conclusion d’un accord serait l’aboutissement d’un processus commencé par son père. Il méconnaît les faits historiques ou il les déforme pour en tirer un capital politique.

Sir Anerood Jugnauth (SAJ) n’a pas com mencé le processus, même s’il a eu le mérite d’avoir poursuivi la stratégie élaborée par le régime précédent. En effet, comme il a souvent été rappelé dans les médias, la stratégie adoptée dès 2010 consistait à entamer une action devant le Tribunal international du droit de la mer par rapport à la déclaration d’une Marine Protected Area autour des Chagos, ainsi qu’une campagne visant à faire adopter une résolution de l’Assemblée géné rale des Nations unies pour demander un avis consultatif de la Cour internationale de jus tice (CIJ). Alors que le travail sur le deuxième volet avait déjà commencé aux Nations unies et ailleurs, la décision fut prise par la suite d’attendre le verdict du Tribunal du droit de la mer avant de poursuivre nos efforts par rapport à la demande d’un avis consultatif de la CIJ. Le tribunal a rendu sa décision en mars 2015 et, comme prévu, la campagne vi sant à faire adopter une résolution de l’ONU a ensuite repris, comme il avait déjà été convenu auparavant.

Malgré le changement de gouvernement, SAJ a, contrairement à ce qui se fait trop souvent aujourd’hui, poursuivi la stratégie dans la droite ligne de ce qui avait été décidé en 2010 par son prédécesseur. Donc il est faux de dire que le processus qui pourrait, comme on le souhaite, aboutir à un accord sur notre souveraineté a été commencé ou initié par SAJ. Ce dernier a non seulement maintenu la stratégie initiale mais a également conservé la même équipe d’avocats nommée dès 2010. On a longtemps vendu le mythe selon lequel SSR avait «vendu» les Chagos et on veut maintenant créer un nouveau mythe.

Comment vous envisagez le déroulement des évènements en cas d’accord ?

Un accord, si on y parvient comme nous le souhaitons, serait en fait un accord trilatéral ou alors deux accords distincts agréés au cours de négociations trilatérales. D’une part, l’accord porterait sur la reconnaissance de la souveraineté mauricienne par les Britanniques et, d’autre part, il y aurait un accord portant sur l’autorisation accordée par l’État mauricien aux Américains pour maintenir une base sur notre territoire. Même si cela représenterait le scénario souhaitable, certains – même à Maurice – ont estimé qu’il serait plus réaliste de se focaliser sur un accord qui porterait sur la souveraineté mauricienne sur les Chagos à l’exclusion de Diego Garcia, en mettant au frigo pour l’immédiat la question de la souveraineté mauricienne sur Diego. Ce deuxième scénario comporterait des risques juridiques certains pour l’État mauricien et il faut espérer que le gouvernement mauricien, l’actuel ou le futur, insistera sur un accord global et non partiel.