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Plumes engagées
Mon petit tigre
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Plumes engagées
Mon petit tigre

Sedley Richard Assonne.
À l’heure du tout à l’image et du buzz sans suite, «l’express» souhaite faire découvrir la plume de poètes, de chanteurs, d’écrivains et de tous ceux qui jettent leur âme sur le papier, et qui mettent en mots des réflexions profondes.
Mon île, mon petit tigre de papier,
Je me suis perdu, hier
Dans ta jungle de béton,
Entre les falaises de tes gratte-ciel,
En cherchant le pourquoi de ta transformation.
Le vieil alchimiste qui régnait au pied de la Citadelle
Qui changeait le rien en métal cher
Le vieil alchimiste, donc, un ferblantier d’un autre temps,
Proposa de la tôle ondulée pour t’embellir.
Et tu lui ris au nez.
Ce nez brûlé à la chaleur du primus,
Où le Beau cuit à petit feu
Pour enjoliver le gris du quotidien.
Je n’ai que faire du fragile, dis-tu,
Dans un pays où les cyclones ont droit de cité,
J’abhorre le toc, le faux brillant de l’aluminium !
Et tu cultivas ton souci de te complaire
Dans la poussière du ciment
Et la dureté de la pierre.
Mon petit tigre, feuler te pose problème,
Ta langue passée sur tes côtes meurtries.
Ce qui te sert de pelage, de plage,
Subit la quotidienne agression des vagues.
Tu espères retrouver des gestes familiers
Pour expliquer la présence de la mer.
L’eau, qui a toujours bercé ton sommeil,
L’immuable repos sur le sable mouillé
Qui fait chanceler les pyramides informatiques.
Tous les pharaons qui se succèdent
Sur les autoroutes de l’information
Craignent de finir dans les méandres de l’ordinateur
Tués par le cliquetis du clavier.
Mon île, mon petit tigre de l’océan indien,
Mon animal de zoo perdu,
Que refuserait Noé.
Je ne retrouve plus mon chemin
Dans le labyrinthe de ton matérialisme galopant
Malgré ces églises, ces mosquées, ces temples, ces pagodes,
Ces lieux de prière qui indiquent le chemin du ciel.
Trop d’indices me ramènent au froissement des billets,
Au goût du facile, à l’appel du chacun pour soi.
J’aurai donc besoin de te tuer, un jour.
De t’éliminer de la dynastie de basalte,
Afin de redonner royale prestance
À la carte qui attira en premier les Arabes,
Et qui n’est aujourd’hui que simulacre d’arc-en-ciel.
Car pour exister sur ton territoire,
Il faut se réclamer communautaire,
D’appartenance tribale et de culture ancestrale,
Un vrai fils du sol, quoi !
C’est peut-être par le feu, donc,
Celui du vieux volcan,
Que tout recommencera, en soufflant à pleins poumons
Sur la flamme du primus, dans l’atelier du ferblantier,
Comme aux premières fusions des forges de l’Éternel.
Ce peuple d’esclaves n’écoutera pas la voix
De celui qui crie dans le désert
Inquiété qu’il est par la présence des mammouths
Qui font des emplettes sur son existence
Ce peuple-là s’est habitué au fouet des fins de mois
Aux jours qui prennent des cheveux blancs
Et à l’indifférence qui date de la préhistoire
Nul ne sauvera ce troupeau suant sous le soleil !
Mon petit tigre, qui rêve de la Malaisie,
Rien n’indique que tu veuilles retrouver
Ce temps d’avant l’orgueil, d’avant le boom,
Quand l’humilité te tenait d’âme.
Tu étais île, alors,
Vraiment toi, nourrie de partage et de solidarité.
Ce temps n’est plus, hélas.
Tu as préféré le vacarme des embouteillages,
Le semdex, l’offshore, le port franc, le clinquant.
Des critères nécessaires pour être félin.
Tu mourras donc, animal honni,
Le jour où les oiseaux déserteront les arbres,
Le jour où les flamboyants refuseront
De donner du rouge
Pour célébrer la naissance des ans.
En ce jour de ta mort
Que tu t’es préparé longtemps à l’avance,
Quand tu raillais les prophètes de la morale,
Un éclair zébrera ton corps de part en part.
Nulle fuite ne te sera permise,
Tu subiras la colère de la mer,
Cette immensité liquide
Que tu avais cru dompter En comblant la baie de Les Salines.
L’éclair qui annonce le tonnerre, l’électricité du ciel,
Court-circuitera tes rêves de grand fauve.
Et l’eau engloutira tout ce que tu as patiemment construit,
Malgré tes coups de griffes désespérés.
Je serai là, d’ailleurs,
Au jour de ta fin.
Priant pour que toute trace de toi soit effacée.
Car, tu ne mérites pas qu’on perpétue ton souvenir
Toi, l’héritier de l’arrogance et du mépris !
Mais au jour de ta mort,
Je ne serai pas seul.
Ils seront avec moi,
Ceux que tu appelais des exclus.
Ces enfants de la marge,
Ces voyants inconnus.
Ils ne verseront pas de larmes,
Ni n’applaudiront à pleines mains.
Ils seront là, tout simplement,
Pour témoigner de ta cruauté.
Et quand montera le chant de l’espérance,
Quand le pèlerin aux mains blessées,
Nous montrera l’horizon,
Pour la naissance d’une nouvelle terre,
Je dessinerai les contours du pays métis.
De ce pays interactif,
Où la peur de l’autre n’existera pas.
Et le peuple de cette patrie vivra nu,
Habillé de la seule certitude de faire un !
Bio
Sedley Richard Assonne.
Auteur de plus d’une trentaine d’ouvrages, il a été lauréat du prix littéraire Ledikasyon Pu Travayer en 1998 avec son polar «Robis», du prix Grand Océan, section créolophone en 1999 à La Réunion avec «Pu poezi zame disparet» et du prix Jean Fanchettepoésie en 2003 avec «La poésie contre la guerre». Sa pièce de théâtre «The invisible man» a été jouée à Indianapolis, aux États-Unis en 2015 lors du «Indy Fringe Festival». Il est aussi parolier et auteur des chansons «Le Morne» (Cassiya), «Mahébourg» (Zulu), «Makalapo» (Sandra Mayotte) et «Santiman» (Bruno Mooken), et a fondé BazEkri20 en 2022, un espace culturel à Quatre-Bornes.
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