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Budget 2024-25
Mort lente «assurée» du secteur agricole
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Budget 2024-25
Mort lente «assurée» du secteur agricole
Le secteur du thé est confronté à un vieillissement de la main-d’œuvre.
Le Budget 2024-25 a été accueilli avec des réactions diverses parmi les acteurs du secteur agricole à Maurice. Bien que certaines mesures soient perçues comme bénéfiques, beaucoup estiment qu’elles ne suffiront pas à relancer un secteur confronté à de nombreux défis. Des problèmes structurels persistants, tels que le changement climatique, le manque de main-d’œuvre et l’insuffisance des infrastructures, suscitent des préoccupations.
Kavi Santchurn, président de l’Agricultural Development Marketing Association (ADMA), critique les nouvelles mesures pour les petits planteurs en les qualifiant de «copier-coller» des années précédentes. Il affirme que ces initiatives ne suffiront pas à relancer le secteur agricole. «Les mesures annoncées ne relanceront jamais le secteur agricole. Depuis 20 ans, ce sont toujours les mêmes annonces. Ce n’est qu’un copier-coller», déplore-t-il. «Le problème doit être attaqué à la source. Le secteur est devenu un business pour les importateurs. La sécurité alimentaire doit être la priorité du pays à travers des mesures appropriées. En réitérant des mesures du passé qui n’ont pas produit l’effet escompté, nous n’obtiendrons rien. Bientôt, nous n’aurons que des légumes importés à Maurice», prévient-il. Actuellement, dit-il, la carotte locale est récoltée en abondance. «Pourquoi trouve-t-on de la carotte importée sur le marché local ?», demande-t-il.
Kavi Santchurn affirme qu’aujourd’hui, les agriculteurs déboursent plus d’argent que la subvention accordée par le gouvernement. «Il semble que le gouvernement ne connaisse pas la réalité des planteurs», déplore-t-il. Selon lui, la subvention de 50 % pour la construction de deux fermes abritées, jusqu’à un maximum de Rs 500 000, incluant le remplacement des filets en plastique, n’est qu’une mesure «répétée». Avec plus d’une centaine de planteurs sous son aile, il soutient que cette mesure n’est qu’une augmentation du montant. «Les planteurs vont certainement bénéficier de cette mesure, mais je ne crois pas que beaucoup voudront en profiter. Aujourd’hui, il est difficile de connaître le nombre exact de serres existantes et endommagées», regrette-t-il.
Kavi Santchurn souligne qu’une subvention est déjà accordée sur les semences de pommes de terre, faisant passer le prix de la tonne de Rs 80 000 à Rs 20 000. Concernant la subvention qui sera désormais accordée, entre autres, sur les semences d’oignons, il explique que cette mesure ne profitera pas aux planteurs, car la plupart ont déjà planté leurs semences d’oignons à leurs propres frais. «Ces mesures budgétaires entreront en vigueur en juillet, alors que les semences d’oignons sont achetées en avril. À moins que le gouvernement nous rembourse les sommes que nous avons payées», précise-t-il. Malgré les avantages des subventions, il trouve «inconcevable d’accorder des subventions aux petits planteurs mais aussi aux établissements sucriers».
Kavi Santchurn déplore que malgré les subventions accordées sur les semences, celles-ci ne soient pas appropriées. «On nous assure que les semences sont certifiées, mais at-on effectué les vrais tests ? Une fois que les semences sont mises en terre, les plantes sont affectées par une maladie. Comment peuvent-elles être affectées si elles sont certifiées ?», s’interroge le président de l’ADMA.
Il critique également la subvention accordée pour l’achat d’équipement par les petits planteurs, qualifiant cette mesure de répétitive, avec pour seule différence une augmentation du montant. «Pour acheter des équipements, un planteur doit avoir suffisamment de superficie sous culture. Un agriculteur n’achètera pas d’équipements s’il n’a qu’un arpent de terre. Cette mesure n’est pas pour ce planteur», dit-il. Selon lui, une mesure comme le «prix minimum garanti» pour les petits planteurs aurait été plus avantageuse pour absorber leurs coûts de production.
Les défis des petits planteurs de thé
La production annuelle de thé à Maurice tourne autour de 1 100 tonnes, tandis que la consommation atteint 1 800 tonnes. Les petits planteurs contribuent à cette production mais sont confrontés à divers problèmes. L’un des principaux défis du secteur, selon Manilall Dhoboj, secrétaire de la Grand-Port/Savanne Cooperative Tea Federation, est le vieillissement de la main-d’œuvre. Ce problème est bien connu, mais la mesure d’accorder la franchise de droits de douane pour l’achat d’un 4x2 aux cultivateurs de thé occupant au moins un arpent de terre sera bénéfique.
«Cette mesure profitera aux planteurs, la plupart étant âgés. Il est difficile pour eux de se rendre aux champs. Avec cette franchise, les agriculteurs pourront venir en véhicule, et ce dernier pourra également transporter d’autres travailleurs. Cela pourrait encourager davantage de personnes à travailler dans la culture du thé», explique-t-il. Les champs de thé se trouvent souvent dans des zones éloignées et rendent cette mesure encore plus nécessaire.
Manilall Dhoboj souligne qu’il est difficile pour un jeune de gagner Rs 20 000 par mois dans le secteur du thé. «C’est l’un des problèmes qui affecte ce secteur.» De plus, les planteurs n’obtiennent pas de «top up» financier du gouvernement. L’augmentation du prix des engrais n’est pas à l’avantage des agriculteurs, qui «travaillent au jour le jour» par rapport à ceux qui ont un revenu mensuel garanti. «Malgré les difficultés, les planteurs ne veulent pas abandonner leurs cultures et continuent à investir régulièrement, mais la production diminue de jour en jour. Ce secteur est négligé depuis longtemps. Les quelques mesures existantes nous permettent de lutter, sinon il serait difficile de s’occuper des champs», dit-il.
Le prix des fertilisants augmente, un grand désavantage pour les planteurs de thé qui doivent fertiliser leurs champs trois fois par an. Les averses emportent souvent les fertilisants, ce qui entraîne des pertes pour les planteurs. La subvention de 50 % pour les engrais pourrait les aider, selon lui.
L’offre de Rs 6 millions pour poursuivre le Road Mending Scheme pour les coopératives de thé et aider à la relance de ce secteur est un pas dans la bonne direction, selon Manilall Dhoboj. «L’accès sera plus facile pour les véhicules qui viennent récupérer les feuilles, permettant de gagner du temps et d’assurer que les feuilles quittent les champs à temps.» Les cultivateurs pourront également se rendre plus facilement aux champs, que ce soit à bicyclette, à pied ou par un autre type de véhicule. Il ajoute que les routes sont en mauvais état depuis longtemps en raison de la topographie du sol et des averses. Cependant, cette mesure va améliorer la situation des travailleurs sans la résoudre complètement.
Changement climatique Rakesh, un planteur dans le Sud, constate que depuis l’année dernière, les fortes pluies ont provoqué des inondations dans ses champs, entraînant une perte de presque 30% de sa récolte. Les sols saturés d’eau compliquent la culture et favorisent le développement de maladies. Il souligne la nécessité de meilleures infrastructures de drainage et de techniques adaptées pour gérer ces conditions.
Anushka, productrice d’aubergines dans l’Est de l’île, partage cette inquiétude. L’excès d’humidité a détérioré ses récoltes et favorisé l’apparition de maladies fongiques. Elle estime qu’un soutien est nécessaire pour développer des variétés de légumes plus résistantes et pour offrir des formations sur les meilleures pratiques agricoles face aux défis climatiques.
Plusieurs acteurs du secteur soulignent l’importance de l’adoption de techniques agricoles durables pour améliorer la résilience des cultures. L’utilisation de méthodes comme la culture en hauteur ou en pots pourrait offrir des solutions pour mieux faire face aux aléas climatiques. Un expert en agriculture durable pense que si ces défis sont abordés de manière proactive, il sera possible de concilier les objectifs du Budget avec les réalités du changement climatique et de bâtir un avenir plus stable pour l’agriculture mauricienne.
Une fois les semences subventionnées mises en terre, les plantes sont affectées par une maladie.
Parallèlement, Riaaz Lallmohamed, technicien de profession et amateur de jardinage bio, partage son expérience sur les défis du jardinage à domicile. Il utilise des produits biologiques pour éviter les pesticides et cultive des légumes en pots sur le toit de sa maison. Cependant, il constate que les récentes pluies ont causé des problèmes comme la pourriture des racines et le développement de moisissures. Il note que les fortes pluies ont endommagé ses plantes et rendu le jardinage plus difficile, même à petite échelle. Il exprime également une préoccupation plus large : «De moins en moins de jeunes s’intéressent à la terre et au jardinage. La majorité des jeunes visent des carrières dans des domaines comme l’informatique ou la communication, et les métiers de la terre risquent de se perdre.» Il est crucial, selon lui, d’encourager les jeunes à découvrir le jardinage pour assurer la pérennité de cette activité essentielle à notre autonomie alimentaire.
Kreepalloo Sunghoon, secrétaire de la Small Planters Association, exprime son mécontentement quant aux dispositions du Budget, qu’il considère comme insuffisantes pour soutenir les planteurs et augmenter la production locale. Il déplore également que ces mesures n’abordent pas les problèmes majeurs du secteur, tels que le manque de main-d’œuvre, les maladies des cultures et la qualité des terres agricoles.
Il souligne que les efforts du gouvernement auraient dû se concentrer sur l’encouragement des jeunes à s’intéresser à l’agriculture, afin de revitaliser le secteur. Il déplore que, faute de mesures incitatives, les planteurs actuels soient de plus en plus découragés. Cette situation a conduit certains d’entre eux à abandonner leurs champs, aggravant ainsi la situation. Pour lui, sans une approche plus proactive et ciblée, les problèmes persistants risquent de s’aggraver, compromettant les objectifs de sécurité alimentaire et de réduction de la dépendance aux importations.
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